10/06/2010
Bassin du Nil

Dix ans de négociations n'ont pas mis fin à la controverse autour des eaux du fleuve

Selon un analyste, bien que l'accord sur le Nil ait soulevé la
controverse, il devrait permettre d'aboutir à une répartition plus
équitable de l'eau et de minimiser les risques de conflit entre les
États riverains.  "Le problème du Nil réside dans le manque de
coopération dans la gestion de l'eau",
selon Debay Tadesse,
chercheur principal à l'Institut d'études de sécurité d'Addis-Abeba. "Il
y a suffisamment [d'eau] pour tous les États riverains et cet accord
devrait ouvrir la voie à une gestion plus équitable."

L'Accord-cadre sur le partage des eaux du Nil du 14 mai a été signé par
l'Éthiopie, le Rwanda, la Tanzanie et l'Ouganda, mais il sera ouvert à
signature pendant un an. Il résulte de la rencontre des ministres
chargés de l'eau à Charm el-Cheikh, en Égypte, au cours de laquelle le
Burundi, la République démocratique du Congo – RDC, l'Éthiopie, le
Kenya, le Rwanda, la Tanzanie et l'Ouganda ont accepté l'accord.
L'Égypte et le Soudan l'ont rejeté, car, selon eux, le projet d'accord
ne reflète les exigences que de sept des neuf États qui partagent les
ressources en eau. Les deux pays proposent de poursuivre les
négociations. "Pour l'Égypte et le Soudan, ainsi que pour les huit autres pays
riverains, la question de savoir combien d'eau ils peuvent utiliser pour
irriguer leurs terres agricoles et répondre aux besoins de leur
population croissante [est] devenue [une] [question] existentielle qui
éclipse les autres conflits politiques qui déchirent la région",
expliquait
Nadia Anne Zahran sur  Middle East Channel. Début mai, l'International
Crisis Group indiquait que la controverse risquait de polariser la
région, mais également de renforcer la détermination de l'Égypte à
maintenir le statu quo en se ralliant au Soudan et en s'opposant aux
autres pays.

Le nouvel accord signé à Entebbe, en Ouganda, après dix ans de
négociations, prévoyait également le remplacement de l'Initiative du
bassin du Nil par la Commission du bassin du Nil, une commission
permanente qui facilitera sa reconnaissance légale dans les pays
membres. Le Kenya signait l'accord le 19 mai et Charity Ngilu, la
ministre de l'Eau et de l'Irrigation du Kenya déclarait : "Désormais,
nous pouvons utiliser les ressources en eau à notre guise. Il
appartient maintenant à l'Égypte et au Soudan d'aller de l'avant dans
l'esprit de coopération sur la base d'un Nil, un Bassin, une Vision. Ce
ne sont pas deux États sur neuf qui peuvent nous empêcher de mettre en
œuvre cet accord-cadre".
Afin d'être ratifié, cet accord doit encore
être signé par la RDC et le Burundi.

Un accord (presque) contraignant –  "Le nouvel accord
ne contraint que les parties signataires, ce qui veut dire que si
l'Égypte et le Soudan ne le signent pas, ils ne seront pas soumis aux
contraintes de l'accord… [Toutefois] le principal argument est de donner
à tous les membres une chance équitable sans qu'aucun d'entre eux
puissent tirer profit de 90 % du fleuve",
a expliqué à l’IRIN un
participant à la négociation. L'actuel monopole de l'Égypte, a ajouté
cette source, était indéfendable. "Cette situation était jugée
inacceptable par plusieurs membres ; c'est pourquoi un nouvel accord a
été négocié", a-t-il indiqué. "Une règle va être appliquée pour
l'exploitation des ressources en eau du fleuve. L'accord n'invente rien,
il codifie des lois internationales existantes portant sur les voies
d'eau." Jusqu'à présent, l'Égypte est restée sur ses positions. "Tout
projet qui a un impact sur le flux de la rivière doit être approuvé par
l'Égypte et le Soudan en conformité avec les traités internationaux",
indiquait
le ministre des Ressources hydrauliques et de l'Irrigation, Mohamed
Nasreddin Allam à Reuters, le 18 mai. "L'Égypte suit de près les
projets de production d'énergie dans le bassin du Nil".
Selon Debay Tadesse, l'Égypte et le Soudan n’ont cependant d'autres
choix que de négocier avec les autres États riverains. "Il leur reste un
an pour prendre une décision, mais ils devront en prendre une",
a-t-il
dit à IRIN le 19 mai. "Ils ne pourront contrôler ce qui se passe dans
les États riverains du Nil supérieur que s'ils signent l'accord.
Ignorer ce qui se passe dans ces États constituerait une menace pour
l'Égypte et le Soudan. Par exemple, si l'Éthiopie ou le Kenya
construisent de nouveaux barrages, l'Égypte voudra être tenue au
courant."
Selon la source présente aux négociations d'Entebbe : "Personne ne va
priver d'eau les pays situés en aval, mais nous devons pouvoir utiliser
les ressources de manière équitable. Les conflits qui éclateront seront
résolus par la Commission du bassin du Nil... et même s'ils ne peuvent
être résolus à ce niveau, nous pourrons faire appel à des organismes
tiers, telles que la Cour internationale de justice. Mais je ne pense
pas que ce sera nécessaire."
Selon Kithure Kindiki du département de
droit de l'université de Nairobi, au Kenya, ni les demandes
unilatérales de l'Égypte pour le maintien du statu quo sur le Nil, ni
les menaces proférées par les États situés en amont du fleuve, comme la
Tanzanie, l'Ouganda ou le Kenya, de bloquer le système Nil-Victoria ne
sont recevables. "La légalité des traités portant sur les eaux du Nil
devrait être considérée au regard des principes du droit international
sur la succession d'État et sur la manière dont celle-ci affecte les
obligations des traités"
, a-t-il indiqué dans un article publié en
décembre 2009. "Tous ces traités, à l'exception de celui de 1959, ont
été adoptés alors que tous les États co-riverains (sauf l'Éthiopie)
étaient gouvernés par des pouvoirs coloniaux étrangers".
L'article
recommande trois approches pour résoudre l'impasse sur le partage des
eaux du Nil : 1. la conclusion des négociations et l'adoption d'un
nouveau traité contraignant pour tous les pays riverains ; 2. la
promotion de la ratification de la Convention des Nations unies de 1997
sur le droit relatif aux utilisations des cours d'eau internationaux à
des fins autres que la navigation ; et, 3. le renvoi de la question de
la légalité des traités du Nil devant un forum judiciaire ou
d'arbitrage. L'accord vient modifier les clauses de deux traités que la
Grande–Bretagne coloniale a conclus avec l'Égypte en 1929 et avec le
Soudan en 1959. Ces traités accordaient la part du lion à l'Égypte et au
Soudan, soit près de 87 % du débit du Nil. Ils donnaient également à
l'Égypte le pouvoir d'opposer son veto à la construction de barrages ou
d'autres projets [susceptibles d'affecter le débit du fleuve] dans les
pays situés en amont. Pour contrôler le niveau de l'eau, l'Égypte
entretient des équipes le long du fleuve, notamment à sa source, à
Jinja, et à Malakal, au Sud-Soudan. D'après les critiques, ces traités
remontent à l'époque coloniale parce qu'ils ont été signés avant que les
autres pays riverains ne soient souverains, mais l'Égypte insiste sur
le fait qu'ils ont été élaborés dans le but de protéger ses intérêts. "Les
droits historiques que détient l'Égypte sur les eaux du Nil sont une
question de vie ou de mort. Nous ne les compromettront pas",
aurait
récemment déclaré, selon Reuters, le ministre d'État pour les Affaires
juridiques Moufid Shehab au Parlement.

Lors d'une conférence de presse qui s'est tenue à Khartoum le 11 mai
dernier, Ahmed Al-Mufti, conseiller juridique pour le Soudan auprès de
l'Initiative du bassin du Nil, annonçait que le gouvernement soudanais
ne signerait pas l'accord avant que les neuf autres pays trouvent une
solution aux clauses conflictuelles. D'après les observateurs, la
position de Khartoum pourrait changer si le Sud-Soudan vote pour
l'indépendance au moment du référendum prévu en 2011. L'Érythrée, qui jouit du statut d'observateur dans les négociations,
s'est fait l'écho des positions du Caire et de Khartoum. Dans une
déclaration publiée par le ministère érythréen de l'Information, le
président Isaias Afwerki disait que les États situés en amont avaient
rédigé "de mauvais accords et de mauvaises règles" en matière
d'utilisation des eaux du Nil. Le président érythréen aurait également
dit à la télévision égyptienne "qu'en plus d'aggraver la situation,
cela provoquait aussi des tensions".

Un sursis d’un an face à l’explosion de la demande – Selon la ministre
ougandaise de l'Eau et de l'Environnement, Mary Mutagambwa, les
négociations ne sont pas terminées. "L'accord ne sera ratifié que
lorsqu'il aura été signé par les membres, et ceux-ci ont un an pour le
faire", a
-t-elle précisé à IRIN à Entebbe. "[Il] nous offre la
possibilité de nous unir et nous développer. [L'Égypte et le Soudan] ne
veulent pas que l'usage actuel cesse. Il faut les convaincre et j'espère
que nous serons capables de le faire d'ici un an."
Du lac Victoria à la Méditerranée, le Nil parcourt 6 825 kilomètres, ce
qui en fait le fleuve le plus long au monde [H2o. ou deuxième plus long,
après l’Amazone, récemment hissé au premier rang]. Il déverse quelque
300 millions de mètres cube d'eau par jour dans la mer et permet à
l'Égypte, où les précipitations sont rares, de satisfaire environ 90 %
de ses besoins en eau. Quatre cent millions de personnes vivent dans les
pays riverains du Nil. D'après les experts, la population de l'Égypte
pourrait atteindre 130 millions d'ici 40 ans et la demande en eau,
augmenter en conséquence. L'Éthiopie souhaite quant à elle construire
plus de barrages sur le Nil Bleu et le Soudan a promis à des fermiers
étrangers de vastes espaces agricoles. Les fermiers kényans veulent
développer l'irrigation, l'Ouganda a prévu de construire des barrages et
la Tanzanie a l'intention d'installer un pipeline de 170 kilomètres
pour approvisionner les zones arides à partir du lac Victoria.

Selon l'ISS, d'ici 25 ans, près d'un Africain sur deux vivra dans un
pays confronté à une pénurie d'eau ou en situation de "stress hydrique" à
cause de la rapidité de la croissance démographique et du développement
économique. Dès 2025, une douzaine de pays africains auront rejoint
les 13 qui souffrent déjà de stress hydrique ou de pénurie d'eau.
"L'enjeu est considérable pour tous les acteurs de la région et
peut-être même pour les relations entre Arabes et Africains dans leur
ensemble. Elles ont déjà été mise à rude épreuve pas des années de
négligence et un conflit ouvert au Soudan",
a fait remarquer Mme
Zahran. "À l'heure où le réchauffement climatique continue d'affecter
une région déjà desséchée, la dépendance au Nil, qui traverse 10 % du
continent et 10 pays africains, ne fait qu'augmenter."

IRIN – AllAfrica
21-05-2010