18/05/2022
France

Sécheresse : L'irrigation augmente quand la ressource diminue

Lors de la réunion du Comité d’anticipation et de suivi hydrologique (CASH) du 18 mai 2022, France Nature Environnement alerte sur l’augmentation de l’irrigation en France. Les chiffres du Recensement général agricole 2020 qui viennent de paraître sont éloquents : la surface agricole utile diminue, mais la part de surface agricole utile irriguée augmente, partout, dans toutes les régions. Les parcelles jusque-là en agriculture pluviale sont peu à peu converties à l'irrigation. À l’heure où la sécheresse touche tout le territoire, ces transformations de l’agriculture ajoutent des pressions sur une ressource en eau déjà gravement menacée. Selon les chiffres du Recensement général agricole 2020, l’irrigation a augmenté dans toutes les régions de France. En France métropolitaine, on constate une augmentation de 14 % de la surface irriguée entre 2010 et 2020. Certaines régions déjà en grand déficit hydrique augmentent ainsi la pression sur leurs ressources. Par exemple la région Occitanie, qui connaît déjà de grandes difficultés dans la gestion de l’eau, voit une augmentation de 12,90 % de sa surface agricole utile irriguée. D’autres régions commencent à prendre cette direction. C’est le cas des Hauts-de-France, où l’irrigation explose : à surface agricole utile quasi constante, l’irrigation a augmenté de près de 78 %.

La double particularité de l’usage irrigation est qu'il est concentré sur l’été, c’est-à-dire durant les mois où la ressource est la moins disponible, et que l’eau prélevée ne retourne pas dans les milieux aquatiques, comme c’est le cas par exemple des prélèvements eau potable, puisqu’elle est utilisée par les cultures arrosées. Ces prélèvements ont donc un impact beaucoup plus fort sur une ressource en eau fragilisée, et pour cela ils doivent être gérés dans un cadre collectif, inexistant dans de nombreux territoires. Le Varenne agricole qui a présenté sa feuille de route le 1er février s’est basé sur des données d’irrigation périmées, datant de 2010. Or les données de 2020, curieusement inutilisées, montrent une évolution préoccupante : la surface agricole se réduit, mais les parcelles restantes ont tendance à se convertir à l’irrigation, impactant nécessairement les ressources en eau des territoires. De nombreuses questions se posent : quelles sont les principales cultures arrosées ? Où sont les données publiques sur les nouveaux prélèvements ? Quel est le contrôle des volumes prélevés ? Comment éviter les risques de déséquilibre déjà observés sur un tiers du territoire français ? Pour Florence Denier-Pasquier, administratrice FNE et spécialiste de la gestion quantitative de l’eau, "la sécheresse actuelle nous oblige à regarder la situation en face. Il y a un vrai risque que les cumuls de nouveaux prélèvements pour l’irrigation soient incompatibles avec l’effondrement des ressources en eau disponibles. Le changement climatique évolue vite et il est urgent d’avoir une politique beaucoup plus cohérente de gestion quantitative de l’eau, fondée sur des données à jour." 

La sécheresse actuelle est aussi sérieuse qu’elle était prévisible, dans un contexte de changement climatique et d’aggravation des phénomènes météorologiques extrêmes. Dès qu’un manque de précipitations hivernales survient, comme ce fut le cas début 2022, nous nous retrouvons face à une situation précaire vis-à-vis de la ressource en eau. C'est une mise en tension de tous les usages, que ce soit pour l’eau potable, le refroidissement des centrales nucléaires, la production d’hydroélectricité, de nombreuses productions économiques et bien sûr l’agriculture. Sur chaque territoire, l’eau est une ressource en partage entre usagers, qui doit être gérée collectivement dans le respect des milieux aquatiques. La réponse d’urgence à cette crise est dans les mains des préfets. Il en va de leur responsabilité de prévenir ces situations, dans le cadre de la nouvelle réglementation Sécheresse nationale, et de leur vigilance pour assurer le contrôle de tous les prélèvements. FNE rappelle qu’une vraie prévention des sécheresses se prépare en amont, et non au moment de la crise. La réponse de long terme se situe dans les choix des politiques publiques d’atténuation et d’adaptation au changement climatique, dont la politique de l’eau et des milieux aquatiques, gravement malmenée par le récent Varenne agricole.

En 2019, les Assises de l’eau ont mis autour de la table tous les usagers de l’eau et les acteurs de la protection des milieux aquatiques afin d’arriver à des accords inédits, dont un objectif de réduction des prélèvements d’eau de 10 % en 5 ans et de 25 % en 15 ans. Les derniers chiffres de l’irrigation vont en sens inverse. Pour mieux gérer ces crises, vouées à se multiplier et à s’aggraver, il est nécessaire de mettre en place une réelle politique publique organisant la sobriété de tous les usages de l'eau. Ces usages sont interdépendants, et aujourd’hui le compte n’y est pas : les économies faites dans un secteur sont réduites à néant par la surconsommation d’un autre. Pour partager l'eau, il faut partager les efforts, et donc organiser collectivement la sobriété et que les prélèvements impactants soient effectivement réduits. La sobriété doit s’accompagner d’un ensemble de solutions fondées sur la nature : l'agroécologie, la préservation de zones humides et de paysages bocagers, la désimperméabilisation et la renaturation des sols, qui permettent de ralentir le cycle terrestre de l’eau douce. Elles favorisent leur stockage dans les sols et les nappes phréatiques et permettent d’assurer une meilleure disponibilité de la ressource, sans avoir à la stocker dans des infrastructures artificielles où l’eau s’évapore.

Il est temps de revenir à l’objectif collectif des Assises de l’eau, nous ne ferons pas l’économie des économies d’eau ! 

France Nature Environnement