Mobiliser des
scientifiques du monde entier autour des rivières intermittentes sur la
base du volontariat, tel est le projet fou lancé par un chercheur
d’IRSTEA. Objectif : améliorer nos connaissances sur ces rivières
asséchées une partie de l’année et ainsi pallier au manque de données.
Depuis
la Bolivie, Thibault Datry, éco-hydrologue à IRSTEA, a eu une idée un
peu folle : mobiliser des chercheurs du monde entier pour étudier les
rivières intermittentes. 2 000 emails plus tard, une initiative
internationale est lancée, en partenariat avec l’IGB (l’Institut Leibniz
d'écologie des eaux douces et des pêches intérieures, implanté à
Berlin) et l’IRBAS (Intermittent River Biodiversity Analysis and
Synthetis, le projet, lancé en 2013 et soutenu par le Centre de synthèse
et d'analyse sur la biodiversité de la Fondation pour la recherche sur
la biodiversité et l’ONEMA a donné lieu à une base de données de
biodiversité des rivières intermittentes) : The 1000 intermittent rivers
project.
"Notre idée est simple : une seule et même manip facile
et peu coûteuse effectuée sur 1 000 rivières dans le monde pour couvrir
un maximum de situations. Nous obtiendrons ainsi un jeu de données
unique dont l’analyse fera grandement avancer les choses." Un projet
sans financements et uniquement porté par des chercheurs volontaires :
le pari était audacieux mais 80 laboratoires ont répondu présent dans
près de 25 pays – de la Namibie à l’Antarctique, en passant par
l’Équateur ou encore l’Inde, et près de 400 rivières sont envisagées sur
tous les continents.
Pourquoi lancer une telle initiative ? Bien que
les rivières intermittentes représentent la moitié du réseau mondial
des cours d’eau, elles ont été mises de côté tant par les chercheurs que
les gestionnaires pendant de nombreuses années, car perçues comme peu
intéressantes à la fois d’un point de vue hydrologique et biologique. En
résultat "très peu de données sont disponibles sur ces écosystèmes,
ce qui limite profondément notre compréhension de leur fonctionnement et
de leur biodiversité, ainsi que notre capacité à les gérer et protéger, explique Thibault Datry, porteur du projet IRBAS. En
particulier, les quantifications globales de la contribution des cours
d’eau au cycle du carbone et au réchauffement climatique ont largement
sous-estimé le rôle de ces rivières : pourtant, même quand elles ne sont
pas en eau, elles sont très actives biologiquement !" En effet,
quand une rivière est asséchée, elle accumule de la matière organique
(bois, feuilles mortes, biofilms…) parfois en très grand quantité. Lors
de la remise en eau, toute cette matière organique est décomposée en
partie biologiquement, puis est entraînée vers l’aval. Les conséquences
de ces remises en eau sont mal connues, mais peuvent être terribles. "Par
exemple en Australie, des pulses d’eau avec des taux très faibles
d’oxygène dissous sont répandus sur des milliers de kilomètres à l’aval
de secteurs intermittents, avec des conséquences catastrophiques sur les
écosystèmes aquatiques." Avec le protocole mis en place, les
scientifiques vont acquérir des données sur la quantité et le type de
matière organique accumulée sur des tronçons asséchés sur des centaines
de rivières. Une description quantitative va être réalisée, en prenant
en compte le contexte (présence de végétation, durée de la période en
assec, climat, etc.). Des sous-échantillons seront ensuite envoyés en
laboratoire pour une description plus qualitative : "Nous allons
décrire la réactivité biologique de cette matière, quantifier les flux
de dioxyde de carbone/méthane qu’elle génère et caractériser les
communautés microbiennes. Retrouve-t-on les mêmes bactéries dans les
lits de rivières asséchés du monde entier ? Ou encore, a-t-on à faire à
de la matière inerte qui va être transportée jusqu’à la mer, ou à de la
matière organique très réactive qui va participer au réchauffement
climatique et menacer la qualité des écosystèmes aquatiques situés à
l’aval ?" Entre 2 000 et 5 000 échantillons sont attendus au cours
des deux prochaines années. Pour y faire face, les analyses seront
réparties entre l’Université de Grenoble, l’Université du Pays-Basques,
l’IGB et IRSTEA à Lyon. "On va avoir une telle quantité de données,
dans différentes conditions – jusqu’en Antarctique ! – qu’on va pouvoir
faire des comparaisons très puissantes inter-systèmes, inter-continents,
etc.", précise un Thibault Datry.
Derrière cette démarche de science participative, c’est tout un réseau international de collaborateurs qui se met en place. "C’est
la première fois qu’un réseau à l’échelle extra-européenne met en
relation des personnes qui travaillent sur les cours d’eau intermittents
!" Cette initiative fait suite à un projet de synthèse et analyse
de la biodiversité des rivières intermittentes, également porté par
Thibault Datry. Et après ? "On peut imaginer tout un tas d’autres
manips, notamment pour décrire les communautés d’invertébrés terrestres
dans les rivières intermittentes. L’idée est d’inscrire ce projet dans
la durée." Rivières intermittentes, mais recherches en continu donc…
La collaboration se poursuit en ligne sur les réseaux sociaux,
notamment Twitter : des laboratoires/équipes annoncent leur
participation, des scientifiques partagent leurs manips en direct, etc.
>>#1000IRP
Mille et Une rivières intermittentes
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