La victoire politique de la bourgeoisie en 1789 entraîne un bouleversement profond de la pratique sociale des eaux courantes.
Mais cette action est engagée à partir de déterminants séculaires. Nous nous sommes rendus compte qu'une part des référentiels idéologiques et même certaines rationalités techniques qui animaient les acteurs de la période révolutionnaire étaient très anciens. Ils ont trait au rapport homme/eaux courantes que l'on trouve dans les sociétés européennes avant le 18ème siècle. Selon nous ce rapport a été modelé par trois influences principales. Ainsi que Guillerme l'a expliqué, dans les sociétés indo-européennes, l'eau n'est utile à l'homme que domptée, conduite, dirigée. Sous l'influence de la Réforme, la nature et les eaux courantes sont pour la première fois considérées par une certaine partie de la société exclusivement comme une ressource disponible et exploitable. C'est également à cette époque que l'appropriation individuelle du sol ou des éléments de la nature est présentée comme nécessaire à l'amélioration de la productivité. Enfin, au 16ème siècle, la réhabilitation des écrits des médecins grecs et romains permet de reposer le problème de l'insalubrité de l'air des marécages. Les connaissances nouvelles et les techniques développées au 18ème siècle auront aussi une influence fondamentale. Ainsi, cette période voit les premières lois formalisées d'écoulement de fluides et l'amélioration des méthodes de cartographie qui donneront aux ingénieurs les outils essentiels permettant le développement de techniques hydrauliques efficaces. La circulation atmosphérique de l'eau sera mise en évidence et le concept de bassin hydraulique se vulgarisera parmi les élites scientifiques. Influencés par la conception newtonienne d'un univers mécanisé et ordonné, les ingénieurs agronomes et médecins "condamnent les excès des eaux courantes" et préconisent leur domestication. Tout converge vers la volonté de: "récupérer les eaux utiles et chasser les eaux nuisibles, éviter les engorgements et la stagnation, améliorer la circulation des eaux courantes". Les agronomes et les physiocrates renouvellent l'intérêt pour les eaux courantes qu'ils considèrent comme la pièce maîtresse du développement économique. S'inspirant du modèle hollandais, ces experts pensent que toute amélioration des productions agricoles passe par la maîtrise des eaux, et l'intensification des échanges agricoles entre régions par le développement des canaux. Cela va entraîner un renouveau des dessèchements. Le contrôle de l'eau (son évacuation des terres humides) n'est encore qu'un facteur de valorisation foncière.
C'est dans les grandes villes, comme l'ont montré Goubert et Guillerme que se met en place le mécanisme qui va permettre une première étape de la marchandisation, elle concerne l'eau de boisson.
Parallèlement l'État impose sa marque sur le réseau hydraulique. Le pouvoir royal affirme sa légitimité en tant que source de droit par des règlements de plus en plus précis s'appliquant aux principaux fleuves du royaume ; l'administration royale des eaux et forêts, puis des ponts et chaussées prend en charge l'expertise des travaux. Des aides financières de plus en plus conséquentes sont accordées pour l'endiguement et les canaux et des dons royaux secourent les victimes d'inondations.
La période Révolutionnaire est fondamentalement une rupture qui permet une nouvelle donne.
C'est une rupture juridique. Des droits d'usage des cours d'eau qui étaient jusqu'alors fortement imprégnés des privilèges nobiliaires et ecclésiastiques disparaissent. L'individualisme radical égalitaire appliqué à la propriété exclusive du sol s'étend aux eaux courantes aux dépens des formes d'auto-contrôle de l'ancien régime ; les usages locaux qui régulaient les cours d'eau en seront bouleversés. L'eau quitte le droit féodal pour entrer dans une nouvelle législation qui s'inspire du droit romain.
Pour les eaux courantes, comme pour le sol, la question de l'appropriation exclusive devient fondamentale, mais cette notion étant difficile à définir et encore plus à faire accepter, son contour restera très flou jusqu'à la fin du 19ème siècle. C'est surtout sous l'Empire que seront fixées les limites de la propriété privée quand elle est confrontée avec l'utilité publique. Cette réforme apparaît cependant comme inachevée ; l'eau ne fait l'objet que de quelques articles du Code Civil et à cause de l'absence d'un Code Rural les usages agricoles et industriels de l'eau des rivières non domaniales ne sont pas abordés par la loi. Cette absence apparaîtra, à tous ceux qui prônent le changement et la modernité, comme un frein au développement économique. Elle favorisera par contre l'emprise réglementaire de l'administration.
Cette nouvelle donne se traduit également par la réorganisation et la rationalisation de l'administration des eaux courantes par l'État. Le but est de stabiliser le niveau des fleuves tout au long de l'année et de fonctionnaliser les rivières : les grandes doivent servir la navigation et le commerce, les petites, l'industrie et l'agriculture. Pour les petites rivières, le département est le cadre de cette vaste opération d'adunation qui vise à harmoniser les mots et les choses. L'administration centrale, quand à elle, exerce son autorité directe sur les rivières navigables et flottables, les dessèchements généraux, les canaux d'irrigation, sous le contrôle des nouveaux serviteurs du public : les polytechniciens du corps des Ponts et Chaussées.
On peut donc dire que la Révolution pose les bases de la marchandisation des eaux courantes:
Les révolutionnaires gardent une représentation de la nature issue du 18ème siècle qui détermine leurs principes d'intervention : ils veulent améliorer la circulation des flux, évacuer rapidement vers l'océan les eaux stagnantes des marais et étangs, régulariser le cours des fleuves jusqu'à leur embouchure.
Ils reprennent les idées physiocratiques selon lesquelles l'eau est une pièce maîtresse du développement économique ; le réseau hydrographique va être envisagé presque exclusivement du point de vue de ses usages agricoles jusqu'au programme de canaux proposé par Becquet.