Le contexte des années 1880 contribue à modifier l'organisation des usages des eaux courantes. La crise agricole, l'intérêt nouveau des banques et des sociétés de travaux publics pour les réseaux d'eau, les rivalités politiques entre républicains et conservateurs entraînèrent une accélération de l'aménagement des eaux pour l'agriculture.
Deux changements importants interviennent :
1. De nouveaux rapports s'instaurent entre l'État et le monde paysan. Le gouvernement de 1881 crée un ministère propre à l'agriculture. Les aménagements hydrauliques (surtout l'irrigation) seront largement subventionnés par ce nouveau ministère qui aura une politique très dynamique dans le midi touché par le phylloxera puis le mildiou (la submersion des vignes est utilisée comme traitement). Jusqu'alors ce secteur faisait surtout l'objet de l'intervention réglementaire de l'État, mais peu de fonds publics lui étaient octroyés. Une volonté plus interventionniste se dégage.
2. Un nouvel acteur du privé se substitue à la bourgeoisie foncière qui abandonne les grandes opérations d'aménagement agricole qu'elle juge peu rentables; elle redéploie sa stratégie à l'étranger et surtout dans les colonies. Ce sont les banques et les sociétés de travaux publics qui prennent le relais.
De nouveaux rapports s'instaurent entre public et privé. Ils apparaissent notamment dans l'aménagement du canal de la Siagne qui est un des premiers réseaux contrôlé par la société Lyonnaise des Eaux.
On s'aperçoit que cette gestion privée des eaux (ici pour l'irrigation et l'eau potable) se développe selon trois axes stratégiques qui seront repris par toutes les grandes compagnies d'eau jusqu'à nos jours :
Tous ces éléments concourent à la constitution d'une branche industrielle prestataire de services dont la gestion échappe totalement à la sanction du marché ; elle travaille sans risque et sa rémunération est sans lien direct avec ses résultats ; c'est une sorte de capitalisme de rente.
Mais les pesanteurs subsistent, elles s'illustrent par une nouvelle législation : le Code des eaux de 1898, qui n'envisage les eaux courantes que du point de vue de leur utilisation agricole et veut les organiser et les policer.
Les conceptions et les pratiques évoluent lentement. Ainsi l'assainissement ou l'irrigation d'une terre ne sont encore considérés par la puissance publique comme par les compagnies concessionnaires que comme un moyen d'obtenir une plus value du sol. La redevance des utilisateurs est encore très souvent versée en nature (blé) et reste proche du métayage. La répartition de l'eau et la mesure des volumes distribués entre les intéressés se heurtent toujours à des difficultés techniques et alimentent les controverses. Le calcul du prix de revient effectué par les gestionnaires des canaux reste élémentaire et imprécis. Il faudra attendre 1890 pour que l'administration commence à analyser et à comparer réellement les coûts des canaux qu'elle construit. De toutes ces incertitudes résulte une extrême disparité des prix de l'eau distribuée. Sa valeur intrinsèque n'est pas encore vraiment prise en compte. Il semble que les utilisateurs n'accepteront de payer l'eau d'irrigation, mais cela mériterait d'être développé, qu'avec la mise au point de réseaux d'eau sous pression et l'utilisation des compteurs (en Afrique du Nord après la première guerre).