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Mathieu FRANCILLARD
photographe

H2o – juin 1999

 

Découvrir les jardins de Versailles d'une autre manière...

Les jardins de Versailles se donnent aux visiteurs qui doivent se déplacer pour en jouir. Louis XIV voyait d'ailleurs dans ce "déplacement" beaucoup plus qu'une nonchalante et capricieuse promenade. C'était pour lui un rituel dont il exigeait qu'on respectât le déroulement. Intitulé "Manière de montrer les jardins de Versailles", ce rituel ne comporte pas moins de six versions dont la première est datée du 19 juillet 1689 à dix-huit heures, pour la visite de la Reine d'Angleterre. D'où tirait-il le plus de satisfaction : de la contemplation des eaux jaillissantes, ou de l'asservissement d'une eau si rare à Versailles ? Aucun n'écrit ne vient nous éclairer sur ses pensées intimes ; pas même la quatrième version du rituel écrite de sa main vers 1703.

À l'époque de Louis XIII on entend déjà parler de l'étang de Clagny ; une pompe située dans l'angle du parc de Versailles alimentait le château. En 1663, Le Vau construisit un édifice appelé "grande pompe" composé d'un corps central abritant les pompes et flanqué de deux bâtiments circulaires destinés à recevoir l'eau. L'installation mécanique construite par Joly comprenait quatre pompes actionnées par deux manèges à chevaux. On trouve ainsi le premier principe d'alimentation en eau des bassins par gravitation comme encore actuellement. La pompe de Joly fut ensuite aidée par trois moulins à vent que Le Vau fit bâtir au nord de l'Étang de Clagny.

Enfin, on construisit un système de retour sur la base d'un moulin permettant de renvoyer l'eau des bassins à l'étang. Ces premières installations permirent les jeux d'eau qui furent l'un des principaux attraits de la grande fête que Louis XIV donna à la cour le 18 juillet 1668. Pour augmenter l'apport aux Étangs de Clagny, on draina les communes du Chesnay, de Vaucresson et de la Celles Saint-Cloud au moyen d'aqueducs souterrains. Parallèlement, quatre moulins à vent refoulaient depuis l'étang du Val-de-Bièvre jusqu'au sommet du plateau de Satory. L'eau s'écoulait ensuite vers le réservoir de Satory par une conduite en fonte ; ce site a disparu suite à l'élargissement des voies SNCF au niveau de la gare de Versailles Chantier. Vers 1668, le moulin de Launay compléta cette installation. À partir de 1675, Gobert intendant des bâtiments du roi étudia et réalisa le réseau des "étangs inférieurs". Ce projet pu s'accomplir grâce aux travaux de l'Abbé Picard qui développa le principe du niveau à lunette, autorisant ainsi les travaux de nivellement. Ce nouveau réseau se composait de rigoles qui acheminaient l'eau aux étangs de Saclay ("étang vieux"), d'Orsigny et du Trou Salé. Des aqueducs souterrains rejoignaient Satory et son réservoir. Pour franchir la Bièvre, il fut construit un pont à deux étages long de 450 mètres que l'on peut admirer sur la commune de Buc.

En 1685, l'étang de Villiers et "étang neuf" de Saclay complétèrent ce réseau. En parallèle aux "étangs inférieurs", situé plus au nord, le système des "étangs supérieurs" voit le jour à partir de 1684. Il comprend les retenues du Mesnil-Saint-Denis, de la chaîne Saint-Hubert, Pourras, Corbet, Bourgneuf et Hollande, de l'étang de La Tour au sud-est de Rambouillet et de l'étang du Perray achevé en 1685. Les "étangs supérieurs" se jetaient dans le Carré de Trappes au dessus des étangs de Gobert et pouvaient alimenter par gravitation les réservoirs de Montbauron. Ceux-ci furent réalisés sur l'ordre de Louvois en 1685 et pouvaient recevoir à la fois l'eau de Seine (Machine de Marly) et celle des "étangs supérieurs". Les "étangs inférieurs" quant à eux parvenaient au Carré de Saclay et alimentaient ainsi les réservoirs de Gobert. Entre Rambouillet et Versailles un vaste réseau permettait ainsi le drainage et l'écoulement du plateau sur 34 kilomètres, modifiant radicalement les dispositions hydrographiques naturelles ; au point qu'à présent il paraît délicat de l'abandonner. En tout treize étangs et retenues pouvant stocker près de huit millions de mètres cubes d'eau, près de deux cent kilomètres de rigoles dont vingt cinq en aqueduc souterrains, recueillent les pluies tombées sur plus de treize mille hectares. Il faut bien avouer que, pour l'époque, il s'agissait d'un travail gigantesque !

Mais le système des étangs présentait l'inconvénient de dépendre de la pluviosité ; d'autre part ces eaux de ruissellement n'étaient guère propres à la consommation. Aussi, un projet gigantesque vit le jour : celui de refouler l'eau de Seine sur le plateau de Louveciennes. Avant de se décider, des études furent menées et un essai à petite échelle organisé au moulin de Palfour, au pied du Coteau de Saint-Germain. Arnold De Ville un homme d'affaire s'associa au charpentier liégeois Rennequin Sualem pour une œuvre commune : la Machine de Marly. C'est le 16 juin 1684 que la Machine fut essayée sous les yeux du roi. Pompée dans la Seine l'eau aboutissait au sommet de la tour nord du pont aqueduc de Louveciennes formé de trente-six arches et long de six cent quarante trois mètres.

De la tour sud partaient des conduites pour alimenter les réservoirs de Marly connus sous le nom "des Deux Portes". Un aqueduc souterrain conduisait ensuite les eaux de Louveciennes aux réservoirs de Picardie puis ceux de Monbauron empruntant le Mur de Montreuil, haut de vingt trois mètres et long de plus d'un kilomètre. Construit en 1685, ce "mur" fut démolit et remplacé par un tuyau de fonte en 1736. Ainsi, à la fin de 1685, l'eau de Marly entre dans Versailles. Mais du fait du besoin en eau du Parc de Marly et de l'arrivée de l'eau des étangs à Versailles, on réserva la production de la Machine au domaine de Marly.

Il fallu attendre 1736 pour que l'eau de Seine réapparaisse à Versailles. Après la mort de Louis XIV, les fontaines publiques furent arrêtées et les eaux "bonnes à boire" dérivées dans les propriétés des riches bourgeois. Il subsiste encore aujourd'hui la majorité des ces infrastructures. Certaines sont même toujours en activité trois cent trente ans plus tard ! C'est le Service des Fontaines de Versailles, Marly et Saint-Cloud – rebaptisé Service des Fontaines du Château – qui fut chargé de veiller sur ce précieux héritage par le Ministre de la Culture. Tache ardue ! Pour des raisons matérielles bien sûr, mais surtout parce que la restructuration de ce patrimoine fait appel à l'humilité de notre siècle devant l'œuvre de ceux qui l'ont précédé.

Une humilité dont nous faisons preuve assez volontiers lorsqu'il s'agit du patrimoine monumental et artistique du passé, mais dont nous sommes plutôt avare lorsqu'elle bouscule nos certitudes, et bat en brèche notre naïf complexe de supériorité dans le domaine des sciences et techniques. Certitudes et supériorité qui nous ont aveuglés au point de n'avoir pas su reconnaître la grandeur et l'audace d'un système capable de détourner et de canaliser les cours d'eau, en utilisant les lois de la nature, et au point parfois de l'avoir détruit. Le résultat, c'est l'insuffisance des ressources en eau du parc de Versailles. .

 


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