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Le mythe fondateur du déluge

 

Puis le Seigneur leva Déluge, sa Grand-Arme,
Et monta le terrifique Char, Tempête irrépressible.

(L’Enuma Elis, tablette IV.)

Mais si l’eau, élément primordial, est à l’origine du monde, elle est aussi l’instrument de la colère divine, l’outil qui provoque la fin. De tous les mythes de Mésopotamie, le plus connu et le plus récurrent est celui du déluge, de l’anéantissement de l’humanité engloutie sous les eaux. Nul ne sait exactement d’où il est né. Certains archéologues l’identifient aux pluies abondantes qui ont marqué pendant des siècles la période dite mésolithique, après la fin de la première glaciation. Il aurait peut-être aussi pour origine les crues massives du Tigre et de l’Euphrate qui, dans un temps très court, ont pu recouvrir de grandes étendues de terres. Une autre hypothèse, très contestée, fait du déluge le récit mythique de l’envahissement de la mer Noire, jusqu’alors simple lac glaciaire, par les eaux de la Méditerranée franchissant le détroit du Bosphore, environ 7 500 ans avant notre ère.

Mais qu’il soit inspiré par une catastrophe naturelle ou par la fascination d’une civilisation agricole pour les crues à la fois bienfaisantes et destructrices, ce mythe souligne la finitude de l’homme et la puissance parfois négative des dieux vengeurs. Une violente colère divine et le monde est submergé par les eaux, la race humaine est anéantie. Face à cette implacable tentative d’extermination, l’homme montre cependant l’étendue de ses ressources. Il suffit d’un seul survivant pour que la vie reprenne. Le déluge mésopotamien est l’épreuve qui permet la renaissance de l’humanité.

D’origine sumérienne, ce mythe universel existe sous plusieurs versions dans la mythologie mésopotamienne. L’histoire débute toujours par la colère des dieux face à l’indiscipline des hommes.
 

Le mythe d’Atrahasîs, le Supersage

Que les eaux de la pluie soient retenues en haut ;
En bas, que les eaux ne surgissent plus de leurs sources.
Que le vent souffle et assèche le sol ;
Que les nuages s’épaississent et retiennent la pluie.

(Enlil a recours à la sécheresse.)

Le plus ancien récit est d’origine babylonienne et date du XVIIème siècle avant J.-C. Il met en scène le héros Atrahasîs, "le Supersage". Des années après avoir créé l’humanité, les dieux s’inquiètent de la surpopulation de la Terre et de l’évolution des hommes, devenus particulièrement bruyants et hargneux. Leur vacarme sur Terre empêche Enlil, Seigneur du Vent, de dormir.

Pour les obliger à se taire, Enlil déchaîne des fléaux divers qui mèneront finalement au déluge.

Il lance d’abord l’Épidémie. Mais sur terre, Atrahasîs le Supersage demande conseil à Enki/Ea, dieu de l’Intelligence et des Eaux souterraines, qui lui donne la solution pour endiguer le fléau. Les hommes continuent de se multiplier bruyamment.

Enlil lance alors un second fléau : la Sécheresse. Il ordonne à Adad, le dieu de l’Orage, de stopper la pluie. Les supplications d’Atrahasîs, qui s’adresse à lui sur les conseils d’Enki/Ea, font d’abord fléchir Adad. Mais le vacarme humain ne cessant pas, une terrible sécheresse tombe sur la terre qu’Atrahasîs, suivant toujours les conseils d’Enki/Ea, parvient à surmonter.

Le Seigneur du Vent, furieux, intensifie la Sécheresse et demande l’aide de tous les dieux. Enki refuse et trouve encore le moyen de diminuer l’aridité. Mais il ne peut empêcher Enlil de recourir, avec l’assentiment des autres dieux, à un cataclysme radical : le Déluge. Pour sauver la race humaine, il envoie un songe prémonitoire à Atrahasîs et lui commande de construire un bateau.

Après le déluge, une nouvelle humanité se reconstruit peu à peu, mais les dieux, rendus prudents par leur précédente expérience, décident de conserver le pouvoir sur terre. Avec la déesse Ishtar, maîtresse de la Souveraineté, Enlil part en quête de l’homme le plus méritant, apte à régner sur le royaume terrestre. Ils fondent sur les rives de l’Euphrate la cité de Kish et remettent les attributs de la royauté à Etana, considéré comme le plus sage d’entre les hommes.

On retrouve ce même récit, avec quelques variantes, dans un texte babylonien considéré comme le plus ancien texte littéraire connu (fin du IIIème millénaire), l’Épopée de Gilgamesh où le héros se nomme Utanapishtim et dans un texte sumérien datant du IIIème millénaire, où le survivant du déluge est Ziusudra, roi de Suruppak, dont le nom signifie : "vie des longs jours" ou "vie des jours lointains".

 

 

Enlil, père de dieux et dieu sumérien des airs et du vent.

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L’Épopée de Gilgamesh

Au premier point du jour, le lendemain,
Monta de l’horizon une nuée
Dans laquelle tonnait Adad,
Précédé de Sullat et de Hanis,
Hérauts divins qui sillonnaient monts et plaines.
Nergal arracha les étais des vannes célestes,
Et Ninurta se précipita pour faire déborder les barrages d’en-haut…
Les foules n’étaient plus discernables dans cette trombe-d’eau…
Six jours et sept nuits durant,
Bourrasques, pluies battantes, ouragans et Déluge ne cessèrent de ravager la terre.
Les dieux étaient épouvantés par ce Déluge…

L’Épopée de Gilgamesh est la version la plus célèbre du Déluge. Elle retrace les aventures du jeune roi d’Uruk, "le grand homme qui ne voulait pas mourir", parti en quête du secret de l’immortalité. L’élément liquide, par le secours qu’il lui apporte ou le danger qu’il représente, est au cœur de sa quête et de sa rédemption.

Accablé de douleur et de désespoir d’avoir perdu son compagnon Enkidu, terrorisé par la mort, Gilgamesh entreprend un long et périlleux voyage pour trouver Utanapishtim et son épouse, les deux survivants du déluge, qui ont reçu, des Dieux, le secret de la vie éternelle.

Pour parcourir les distances, surmonter les épreuves, éviter de mécontenter les dieux, le héros respecte, à chaque étape, un rituel précis de purification avec l’eau d’une rivière ou d’un puits qu’il creuse. Parce qu’il présente de l’eau pure et de la nourriture comme offrande au dieu-Soleil Shamash, il réussit à gravir les vertigineux Monts-Jumeaux et à traverser le Jardin des Gemmes qu’aucun humain n’a jamais atteint. Il obtient ainsi l’aide d’Urshanabi, le batelier de Shamash, son seul espoir de franchir, sain et sauf, l’Eau-mortelle, cette mer démesurée au-delà de laquelle habite Utanapishtim et qu’aucun humain n’a jamais franchi.

L’eau est mortelle pour quiconque la touche. Pour faire avancer la barque, Gilgamesh coupe dans la forêt 120 perches de 30 mètres, qu’il enfonce une à une dans l’eau. Lorsque l’eau menace de mouiller ses doigts, il lâche la perche et en empoigne une autre qu’il plante dans la vase. Il propulse ainsi l’embarcation en plantant obstinément, une après l’autre, les 120 perches sans jamais toucher l’eau de ses mains. La 120ème reste fichée dans l’eau. Après trois jours de traversée, le bateau et ses deux passagers atteignent l’autre rive sous le regard étonné d’Utanapishtim.

 

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Gilgamesh, roi d'Uruk, et le batelier Utanapishtim, "celui qui a trouvé la vie".

 

Un fabuleux déluge – Le vieil homme lui raconte ce fabuleux déluge qui fit de lui un immortel. Tout commence à Shurupak, sur les bords de l’Euphrate où les principaux Dieux sumériens, Anou, Enlil, Adad, etc. prennent la décision de noyer la Terre sous un déluge d’eau pour anéantir la race humaine qu’ils accusent de tous les maux. Saisi de pitié, Enki, le dieu de l’Apsou, l’Eau douce, tente de sauver les hommes en révélant le châtiment divin au batelier Utanapishtim. Pour assurer sa survie, celui-ci entreprend immédiatement la construction d’un navire sur lequel il fait monter sa famille, son bétail et tous les animaux qu’il peut rassembler.

À peine a-t-il achevé qu’Adad, le dieu de l’Orage, déclenche le déluge. Précédé par Shullat et Hanish, les hérauts divins, il fait éclater comme jamais le tonnerre tandis que Nergal, dieu des Enfers, de la destruction, de la guerre et des catastrophes naturelles, ouvre les vannes du Ciel, que Ninurta, dieu guerrier, fait déborder les barrages et que les dieux infernaux incendient le pays.

Pendant six jours et six nuits, sans interruption, des pluies torrentielles engloutissent plaines et vallées. Les terres sont rapidement submergées. La fureur des eaux est telle qu’elle finit même par effrayer les dieux, responsables de la catastrophe, qui se réfugient dans le ciel d’Anou. Au septième jour, la tempête s’apaise et la mer se calme. Tout est recouvert de boue. Tous les hommes ont péri, sauf le batelier et son épouse qui pleurent devant l’épouvantable spectacle.

De son bateau qui a dérivé sur les flots déchaînés et échoué au sommet du mont Nizir, le Mont du Salut, Utanapishtim, dont le nom signifie "celui qui a trouvé la vie", attend patiemment la décrue avant de regagner la terre. Il lâche une colombe, puis une hirondelle, qui reviennent, n’ayant trouvé aucun endroit où se poser. Un corbeau, lâché plus tard, ne revient pas, signe de la décrue des eaux. Alors Utanapishtim foule le sol boueux et dépose une offrande sur le sommet de la montagne.

Enlil, le dieu de l’Atmosphère, découvrant le couple de rescapés, entre dans une rage folle. Il le convoque devant le Grand Conseil où les Dieux, terrorisés par la violence des pluies, prennent sa défense et lui accordent l’immortalité. Choisi pour perpétuer l’espèce humaine après le déluge, le couple est conduit à l’embouchure des fleuves, où il demeure depuis.

L’Épopée de Gilgamesh illustre le conflit entre les forces de la nature, la volonté des dieux et celle des hommes. L’eau est au cœur de chaque épreuve, elle a une portée métaphysique. Le déluge babylonien, qui préfigure celui de la Bible, est l’instrument du châtiment terrible infligé par les Dieux à l’humanité, mais aussi le révélateur d’un être nouveau, que l’épreuve a rendu sage et capable d’assumer son destin.

 

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Pendant six jours et six nuits, sans interruption, des pluies torrentielles engloutissent plaines et vallées. Tous les hommes périrent, sauf le batelier et son épouse qui se lamentèrent devant l’épouvantable spectacle.
Gilgamesh et Enkidu.