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L’eau indomptable

 

Même si on ne sait pas comment, ce n’est pas par simple hasard que le mythe du déluge est né en Mésopotamie, une région où l’élément liquide occupe une place centrale et est la source de toute richesse. Dans la plupart des cités, l’eau est un bien rare et précieux. Indispensable à la vie quotidienne des habitants et à la culture de la terre, elle a un caractère sacré pour les vivants comme pour les morts. Elle joue même un rôle essentiel dans les rituels funéraires.

Mais ses bienfaits ne font pas oublier aux peuples qu’ils sont, en même temps, soumis aux caprices de deux grands fleuves et d’une nature toute puissante. Les hommes redoutent, tout à la fois, la sécheresse et la violence des pluies et surtout les tempêtes qui provoquent, au printemps, des crues soudaines, violentes et excessives. Leurs eaux gonflées par la fonte des neiges, le Tigre et l’Euphrate débordent brusquement de leur lit, noient les vallées, détruisent les moissons et causent d’innombrables dégâts. En anéantissant les récoltes, l’Eau apparaît comme l’instrument de la justice divine.

Pour tempérer les excès des dieux coléreux et modérer les effets dévastateurs des crues, les hommes s’efforcent de maîtriser le cours des fleuves en construisant des digues et des canaux. Ils creusent des puits pour s’approvisionner dans les nappes phréatiques, aménagent des réseaux complexes de rigoles et de réservoirs pour récupérer l’eau de pluie et irriguer les cultures. Ils placent toutes ces réalisations sous la protection de divinités des Eaux, dont ils tentent de s’assurer la bienveillance par des prières et des offrandes. Ils vénèrent ainsi d’innombrables divinités associées à l’eau bienfaitrice, aux pluies destructrices, et même aux sources et aux cours d’eau.

Plusieurs dieux incarnent les eaux souterraines, celles qui surgissent de la terre et qu’il faut maîtriser, celles qui tombent du ciel et que l’on craint parfois. Le dieu Ennugi est le Seigneur des Canaux et des Fossés. La déesse Nina, la "Dame des Eaux", veille sur les sources, dont elle modère le jaillissement, et sur les canaux. Isharra, Déesse des Eaux, contrôle l’élément liquide. Enkimdu, Seigneur des digues et des canaux, protège les digues élevées le long des fleuves et, avec l’aide d’Ennugi et de Nina, garantit le bon fonctionnement des canaux d’irrigation. L’orage, la pluie ou la rosée s’incarne chacun en une figure spécifique. Le grand Adad, lui-même, gardien des vannes du Ciel, est intronisé gugallu (éclusier, titre donné aux fonctionnaires responsables des canaux) des cieux. Il alimente les rivières et provoque les inondations. Dans cette région au climat chaud et sec, la moindre rivière ou résurgence fait l’objet d’un culte local. Un seul et même cours d’eau est placé sous la protection d’une multitude de dieux dont on ne connaît parfois que le nom.

Ce n’est qu’après avoir rendu les honneurs à ces multiples divinités pour amadouer l’eau indomptable, que les hommes peuvent enfin, sans risque, irriguer leurs cultures, naviguer sur les fleuves et consommer leur eau.

 

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Les divinités des eaux.
Ea, seigneur de l'Apsou, représenté debout avec des filets d’eau jaillissant de ses épaules.