Caroline RIEGEL – Baïkal-Bangkok H2o – juillet 2004
Le lac Baïkal est le plus ancien (plus de 25 millions d'années d'existence) et le plus profond lac de la planète (1 637 mètres) ; il abrite aussi une exceptionnelle variété d'espèces endémiques (56 % des espèces endémiques répertoriées en 2001). Qui plus est, il constitue la plus grande réserve d'eau douce directement exploitable. Son volume, de 23 000 km3, est l'équivalent d'une lame d'eau de 20 cm, uniformément répartie sur toute la surface des continents et qui permettrait d'abreuver l'humanité en eau potable pendant près de 4 000 ans.
Son eau est d'un bleu incomparable et d'une transparence qui atteint les 42 mètres et que seules les eaux de mer de Sargasses surpassent. Elle serait aussi, selon les dires de ceux qui la boivent, parfaitement pure et excellente pour la santé. Très faiblement minéralisée, elle est recommandée par les médecins contre l'hypertension, les maladies cardio-vasculaires et dans l'accompagnement des régimes sans sel.
En 1990, des chercheurs et des ingénieurs d'Irkoutsk ont décidé d'en faire profiter le monde entier en embouteillant et en commercialisant l'eau du noyau du lac. La zone, qui se situe à 300 mètres de la surface et plus de 100 mètres du fond est la plus propre du lac, avec une température constante de 3,5 °C. Un second projet d'exploitation est envisagé dans la région de Sloudianka, à l'extrême sud du lac.
Situé au sud-est de la Sibérie, le lac Baïkal, d'une superficie de 3,15 millions d'hectares, est le plus ancien (25 millions d'années) et le plus profond (1 700 mètres) lac du monde. Il contient 20 % des eaux douces non gelées de la planète. Son ancienneté et son isolement ont produit une des faunes d'eau douce les plus riches et originales de la planète, qui présente une valeur exceptionnelle pour la science de l'évolution, ce qui lui vaut le surnom de "Galápagos de la Russie". Comparé au lac Léman, le Baïkal est 5 fois plus profond, 54 fois plus étendu et 258 fois plus volumineux. Son volume est comparable à celui de la mer Baltique. |
L'argument de vente est évidemment la parfaite pureté de l'eau, qui respecte l'ensemble des normes et recommandations en vigueur (OMS ; normes européennes, etc.). Si les analyses du noyau confirment ces dires, toutes les zones du lac ne sont pas d'une qualité aussi irréprochable et le débat sur sa pollution est vif. La vallée de l'Angara, fortement industrialisée (aluminium, construction aéronautique, chimie, fabrication de cellulose, etc.) génère d'importantes pollutions. Il en est de même du fleuve Selenga dont les eaux, qui représentent 40 % des apports du lac, charrie toutes les pollutions de la capitale Oulan-Oude, située à une centaine de kilomètres en amont. À cela s'ajoutent l'augmentation incontrôlée du tourisme ainsi que de nombreuses constructions illégales autour du lac ainsi que les conséquences des incendies fréquents de la taïga avoisinante.
De plus en plus montrés du doigt, les pollueurs se défendent : "En marge de notre production, nous avons toujours eu le souci du traitement des effluents, assuré par un département spécifique" explique le docteur Elena Grosheva, présidente de l'Institut de écotoxicologie de Baikalsk. Fondé il y a 38 ans, en même temps que l'usine de cellulose, l'institut est chargé de contrôler la toxicité des eaux rejetées par l'usine, soit 140 000 m3 par jour au plus fort de la production. "L'eau rejetée par le combinat est chaque semaine testée dans nos laboratoires à l'aide d'un organisme indicateur sensible à la pollution, le Daphnia Magna ; il s'agit là d'un test respectant les standards internationaux" précise la responsable.
La plus grande source de pollution ne devrait donc plus être le combinat qui, selon elle, rejette des eaux convenablement traitées. "Ceux qui avancent de telles critiques ne sont probablement pas au courant des progrès qui ont réalisés dans le traitement des effluents". Aussi c'est bien davantage le fleuve Selenga qui préoccupe le plus Madame Grosheva. Le bassin versant recueille tous les rejets des exploitations agricoles mongoles et bouriates, ainsi que ceux de la ville d'Oulan Oudé, la capitale de la Bouriatie. Ce sont globalement 40 % des apports du lac qui seraient ainsi pollués avec des impacts sur l'écosystème du Baïkal parfaitement inconnus.
"Les changements de la composition du phytoplancton du Baïkal confirment l'existence d'une pollution du lac", confirme Irina Makanikova, chercheur à l'Institut de limnologie d'Irkoutsk. "Certaines espèces sont devenues dominantes après la mise en service du barrage d'Irkoutsk (en 1958), qui a relevé le niveau d'eau du lac d'environ un mètre et qui a provisoirement modifié les zones de rives". De plus, pendant l'hiver 1987-1988, une épidémie a décimé entre 5 000 et 10 000 nerpas, une espèce de phoques d'eau douce, endémique au lac Baïkal. D'après Jennifer Sutton, co-présidente de l'ONG Baikal Environmental Wave (BEW), les dioxines en seraient la principale cause. Des dioxines, issues de combustions industrielles ou naturelles, ont été récemment détectées dans la chaîne alimentaire du lac et contribuent à affaiblir les organismes vivants.
Depuis la Perestroïka, l'activité industrielle de la région s'est fortement ralentie, de nombreux projets (de construction d'usines ou de barrages) ont été mis en sommeil ; et une partie de population a pris l'exode. Mais les conséquences a priori positives pour l'environnement sont à nuancer. Comme l'explique Monsieur Bezroukov, géographe à l'Institut de géographie d'Irkoutsk, la diminution de l'activité a aussi fortement contraint certains projets de rénovation, ainsi la mise en œuvre d'un circuit d'eau fermé pour l'usine de cellulose de Baikalsk. Jennifer Sutton déplore pour sa part l'exode de personnels qualifiés. Selon elle, un important travail de sensibilisation et d'information de la population locale est encore à réaliser. La BEW se montre particulièrement active dans ce domaine ; elle vient ainsi de réaliser un film de sensibilisation sur les risques de pollution et leurs conséquences.
Pour elle, la principale menace concerne le projet d'un pipeline de pétrole devant relier Angarsk (à 40 kilomètres au nord d'Irkoutsk) à l'est Sibérien, et qui longera les rives du lac. "De la façon dont sont, en Russie, construits et entretenus les pipelines, il y a de quoi s'inquiéter, explique Jennifer Sutton, des incidents, voire des accidents seront inévitables, notamment à la fonte des neiges lorsque les rivières charrient toutes sortes d'objets. Nous devons prévoir le gel, l'usure, le manque d'entretien ainsi que les erreurs humaines. Sans me tromper, je vous prédis que l'on retrouvera un jour du pétrole dans le lac."
L'ONG a porter le dossier devant la justice afin d'obtenir la révision du projet et au minimum un éloignement du pipeline du bassin du lac. Aujourd'hui le principe de la révision est acquis, mais Jennifer reste prudente ; le nouveau gouvernement aura maille à partir avec la puissance des compagnies pétrolières et de longues habitudes de corruption. "Le bruit court que le nouveau ministre de l'environnement serait très proche d'une importante compagnie pétrolière ; la façon dont la révision du projet sera faite sera un véritable test par rapport à nos actions : tout est possible, le pire comme le meilleur"...
En fait, aucun des géographes et hydrologues de l'Université d'Etat ne semblait être au courant de ce projet de pipeline, à l'exception d'Elena Grosheva qui confirme les propos de Jennifer. "La coordination entre les diverses organisations environnementales (WWF, Bouriate...) est très bonne, mais elle reste plus frileuse en ce qui concerne les chercheurs locaux, trop dépendants des gouvernements et des fonds locaux."
Les chercheurs de l'Institut de Ecotoxicologie de Baikalsk n'ont pas reçu leur salaire depuis sept mois. "Le gouvernement actuel est davantage préoccupé par le pétrole que par l'écologie" regrette Madame Grosheva. "L'argent manque, aucune étude hydrobiologique sérieuse du Baïkal n'a pas été réalisée, les lois fédérales pour la protection de l'environnement sont mauvaises" déplore-t-elle. De plus, la communication reste difficile entre les deux départements de la production et du traitement du combinat.
C'est aujourd'hui que se joue l'avenir du lac Baïkal. Bien qu'incertaine et compte tenu aussi de l'immensité du lac et des difficultés de coordination et de suivi, le Baïkal fait montre d'un bon état de santé. Les populations riveraines sont aussi très attachées à la préservation de cet espace, souvent évoqué comme la perle de la Sibérie. Mais richesse et beauté sont si fragiles... .
Entretien avec Monsieur Soutourin Monsieur Soutourin a été pendant une quinzaine d'années vice-directeur de l'Institut de limnologie d'Irkoutsk. Il est actuellement chef du laboratoire de bio-géochimie de l'institut. Interview réalisée par Caroline Riegel, le 28 avril 2004. Quel est le rôle de l'Institut de limnologie en ce qui concerne le lac Baïkal ? Au cours des dernières décennies vos recherches ont-elles mis en évidence l'influence des changements climatiques sur le système lacustre ? Selon Sergei Mactirinko, ichtyologiste à l'Institut d'Oulan Oude, la vie aquatique se serait sérieusement dégradée dès les années 1970. Selon lui toujours, en plus d'une pêche excessive, les changements du cycle solaire observés dès le début des années 1930 auraient influencé cette évolution. Est-ce que vous confirmez ces propos ? Quels changements concrets ont été observés au niveau du lac Baïkal ? Votre institut est impliqué dans la création de l'usine d'embouteillage d'eau du lac Baïkal, activité dans laquelle il possède des parts. Que pouvez-vous dire de cette participation ? Vos objectifs commerciaux ont-ils été atteints ? Y a-t-il beaucoup de Russes qui boivent de l'eau du Baïkal en bouteille ? Votre institut dépend de l'université d'Etat et donc du gouvernement russe. Vous estimez-vous néanmoins libre de vos actions notamment en matière de défense de l'environnement ? Est-ce que l'institut travaille en collaboration avec d'autres organismes ? Quelles sont vos craintes pour le lac Baïkal ? Selon Irina Grosheva, directrice de l'Institut de toxicologie de l'usine, il s'agit d'une utopie... Si l'institut de toxicologie n'a plus de crédits, ne craignez-vous pas que cela ait des incidences sur les rejets d'eau du combinat ? Les efforts engagés par l'institut de toxicologie vous paraissent-ils crédibles ? Puis-je vous demander de classer par ordre décroissant de la plus grave à la moins menaçante – les diverses pollutions qui affectent le lac ? Que pensez-vous des projets de pipelines de gaz et pétrole ? Quels sont les projets de l'Institut de limnologie ? |