Caroline RIEGEL – Baïkal-Bangkok H2o – septembre 2006
"Tous les ans, les crues recouvrent la moitié du Bangladesh, nourrissent ces terres fertiles et boueuses, et les paysans (80% de la population) s’en réjouissent. Si les eaux montent de trop, les deux tiers du pays sont submergés, et c’est la catastrophe : la terre et des dizaines de milliers de familles sont emportées par les flots. Au Bangladesh, tout est d’une extrême fragilité, spongieux, instable. La vie et la mort, la terre et le ciel se confondent." François Hauter, Le Figaro, octobre 2005.
Ainsi a-t'on l’habitude d’imaginer le Bangladesh : un pays sans cesse touché par les catastrophes naturelles. À se demander comment et pourquoi les gens y vivent. Et c’est bien ce qui interpella Emmanuel, jeune stagiaire, alors qu’il survolait le pays à son arrivée : "Il y avait de l’eau partout, on avait l’impression d’une mer essaimée de petits îlots. Je me suis demandé comment les gens vivaient là !". Son amie surenchérit : "Lorsque j’ai annoncé que je partais pour le Bangladesh, on a pensé que j’étais folle !". Mais un couple de diplomate les rassure : "Les gens qui ne connaissaient pas le Bangladesh nous plaignent aussi, alors que ceux qui y ont déjà mis les pieds nous envient !".
Lorsque je pédale mes premiers kilomètres le long du Gange au Bangladesh, je m’étonne qu’aucun signe ne laisse supposer que la mousson complique la vie des bengalais. Certes, un Bihar – état indien de la plaine du Gange – étonnamment épargné par les inondations, ainsi que des pluies avares prouvent que la saison de mousson 2005 est plutôt douce. Néanmoins, au pays des inondations catastrophiques, je m’attendais à subir un quota minimum de routes coupées par les eaux, de coups de pédale humides et de traversées en barque rocambolesques. À aucun instant, la mousson ne vient troubler mon périple à bicyclette le long du Gange! L’eau ne manque pas. Il y en a même partout. Mais cela ne perturbe nullement le quotidien des bengalais : ils vivent avec l’eau comme un himalayen vit avec la neige…
À qui la faute d’une image exagérée de la réalité du Bangladesh ? Les médias étrangers tiennent certainement leur part. Pour exemple : la mousson extraordinaire de 1988. Les deux tiers du pays furent alors inondés au lieu du tiers habituel. 40 % de la population se retrouvèrent provisoirement sans domicile et 1 500 personnes périrent (les causes de mortalité n’étant toutefois pas précisées : maladies, piqûres de serpent et bien plus rarement noyades). Les dégâts sont importants : destruction du bétail et des récoltes, augmentation des maladies liées à l’eau et à l’insalubrité : fièvres, malaria, diarrhées. Afin d’y faire face, le gouvernement fit appel à l’aide internationale. Madame Mitterrand qui rendit visite au pays, se retrouva à Dhaka les pieds dans l’eau. De fait sensibilisée, elle s’efforça de mobiliser la communauté internationale pour récolter des fonds d’aide et d’étude en vue de maîtriser les flots des fleuves turbulents du delta. Des millions d’euros d’étude furent débloqués, des idées titanesques d’endiguement enivrèrent les têtes des experts, des années d’expériences in situ suivirent… Mais au final, personne n’a su apprivoiser la Jamuna : "Elle a finit par reprendre ses droits et les experts étrangers par rentrer au pays" m’avoue Talim, professeur d’anthropologie à l’IUB – Independant University of Bangladesh. Le monde avait néanmoins ouvert les yeux sur un pays inconnu, lui collant une étiquette négative et indélébile !
Les médias locaux ne se privent pas non plus d’influencer la population citadine. "Les journalistes filment le point de passage le plus étroit, là où le courant semble faire rage. Les gens s’imaginent alors que le reste du pays correspond à cette seule image montrée aux informations. Je me souviens avoir un jour hésité à annuler un déplacement professionnel dans une zone touchée par les inondations. Le journal parlait de sérieux problèmes… Je fus surpris de constater, une fois sur place, que la situation était parfaitement normale et la population largement adaptée aux éventuelles perturbations" m’explique Talim. Lors de mon séjour à Kuakata, une marée particulièrement haute érode une bonne dizaine de mètres de la piste qui mène à la plage. Les cocotiers tombent à terre pour être immédiatement démantelés par les pêcheurs, une demi-douzaine de boutiques s’écroulent et sont aussitôt déplacées. Depuis la capitale, la situation semble critique et ne manque pas d’inquiéter les parents de jeunes vacanciers. Localement, elle n’est rien d’autres qu’une attraction ludique quand au mécanisme d’érosion des vagues…
Cette tendance à l’exagération, tend surtout à influencer les mentalités des classes moyennes et supérieures de la capitale et les éloigne ainsi de la réalité du pays et de ses habitants. "Le Bangladesh est dangereux" me suis-je entendue dire lors d’une soirée par un riche bengalais expatrié depuis 25 ans aux philippines. "Certaines personnes ne quittent et ne quitteront jamais Gulshan, le quartier aisé de la capitale" me confie Maity, femme de diplomate. De plus, "les ONG doivent forcer le décor pour obtenir des fonds, alors nous exagérons souvent les paramètres catastrophes" m’avoue Anamul, qui travaille pour une ONG locale.
"Tous les ans, les crues recouvrent la moitié du Bangladesh, nourrissent ces terres fertiles et boueuses, et les paysans (80 % de la population) s’en réjouissent. Si les eaux montent de trop, les deux tiers du pays sont submergés, et c’est la catastrophe : la terre et des dizaines de milliers de familles sont emportées par les flots. Au Bangladesh, tout est d’une extrême fragilité, spongieux, instable. La vie et la mort, la terre et le ciel se confondent." François Hauter, Le Figaro, octobre 2005.
Ainsi a t’on l’habitude d’imaginer le Bangladesh : un pays sans cesse touché par les catastrophes naturelles. À se demander comment et pourquoi les gens y vivent. Et c’est bien ce qui interpella Emmanuel, jeune stagiaire, alors qu’il survolait le pays à son arrivée : "Il y avait de l’eau partout, on avait l’impression d’une mer essaimée de petits îlots. Je me suis demandé comment les gens vivaient là !". Son amie surenchérit : "Lorsque j’ai annoncé que je partais pour le Bangladesh, on a pensé que j’étais folle !". Mais un couple de diplomate les rassure : "Les gens qui ne connaissaient pas le Bangladesh nous plaignent aussi, alors que ceux qui y ont déjà mis les pieds nous envient !".
Lorsque je pédale mes premiers kilomètres le long du Gange au Bangladesh, je m’étonne qu’aucun signe ne laisse supposer que la mousson complique la vie des bengalais. Certes, un Bihar - état indien de la plaine du Gange – étonnamment épargné par les inondations, ainsi que des pluies avares prouvent que la saison de mousson 2005 est plutôt douce. Néanmoins, au pays des inondations catastrophiques, je m’attendais à subir un quota minimum de routes coupées par les eaux, de coups de pédale humides et de traversées en barque rocambolesques. À aucun instant, la mousson ne vient troubler mon périple à bicyclette le long du Gange! L’eau ne manque pas. Il y en a même partout. Mais cela ne perturbe nullement le quotidien des bengalais : ils vivent avec l’eau comme un himalayen vit avec la neige…
À qui la faute d’une image exagérée de la réalité du Bangladesh ? Les médias étrangers tiennent certainement leur part. Pour exemple : la mousson extraordinaire de 1988. Les deux tiers du pays furent alors inondés au lieu du tiers habituel. 40 % de la population se retrouva provisoirement sans domicile et 1500 personnes périrent (les causes de mortalité n’étant toutefois pas précisées : maladies, piqûres de serpent et bien plus rarement noyades). Les dégâts sont importants: destruction du bétail et des récoltes, augmentation des maladies liées à l’eau et à l’insalubrité : fièvres, malaria, diarrhées. Afin d’y faire face, le gouvernement fit appel à l’aide internationale. Madame Mitterrand qui rendit visite au pays, se retrouva à Dhaka les pieds dans l’eau. De fait sensibilisée, elle s’efforça de mobiliser la communauté internationale pour récolter des fonds d’aide et d’étude en vue de maîtriser les flots des fleuves turbulents du delta. Des millions d’euros d’étude furent débloqués, des idées titanesques d’endiguement enivrèrent les têtes des experts, des années d’expériences in situ suivirent… Mais au final, personne n’a su apprivoiser la Jamuna: "Elle a finit par reprendre ses droits et les experts étrangers par rentrer au pays" m’avoue Talim, professeur d’anthropologie à l’IUB. Le monde avait néanmoins ouvert les yeux sur un pays inconnu, lui collant une étiquette négative et indélébile !
Les médias locaux ne se privent pas non plus d’influencer la population citadine. "Les journalistes filment le point de passage le plus étroit, là où le courant semble faire rage. Les gens s’imaginent alors que le reste du pays correspond à cette seule image montrée aux informations. Je me souviens avoir un jour hésité à annuler un déplacement professionnel dans une zone touchée par les inondations. Le journal parlait de sérieux problèmes… Je fus surpris de constater, une fois sur place, que la situation était parfaitement normale et la population largement adaptée aux éventuelles perturbations" m’explique Talim. Lors de mon séjour à Kuakata, une marée particulièrement haute érode une bonne dizaine de mètres de la piste qui mène à la plage. Les cocotiers tombent à terre pour être immédiatement démantelés par les pêcheurs, une demi-douzaine de boutiques s’écroulent et sont aussitôt déplacées. Depuis la capitale, la situation semble critique et ne manque pas d’inquiéter les parents de jeunes vacanciers. Localement, elle n’est rien d’autres qu’une attraction ludique quand au mécanisme d’érosion des vagues…
Cette tendance à l’exagération, tend surtout à influencer les mentalités des classes moyennes et supérieures de la capitale et les éloigne ainsi de la réalité du pays et de ses habitants. "Le Bangladesh est dangereux" me suis-je entendue dire lors d’une soirée par un riche bengalais expatrié depuis 25 ans aux Philippines. "Certaines personnes ne quittent et ne quitteront jamais Gulshan, le quartier aisé de la capitale" me confie Maity, femme de diplomate. De plus, "les ONG doivent forcer le décor pour obtenir des fonds, alors nous exagérons souvent les paramètres catastrophes" m’avoue Anamul, qui travaille pour une ONG locale. .