Au bout du bout, le but est de retrouver la vie.
Michèle Rousseau
directrice générale de l'Agence de l'eau Seine-Normandie
Heri ANDRIAMAHEFAchef de service Connaissance des milieux aquatiques
Agence de l'eau Seine-Normandie – AESN
H2o – décembre 2013photo d'ouverture Michel Loup
Au préalable, un mot de vocabulaire s’impose : celui d’hydromorphologie. Littéralement "morphologie de l’eau", le terme recouvre tout ce qui a trait à la morphologie des cours d'eau : la largeur du lit, sa profondeur, sa pente, la nature des berges, leur pente, la forme des méandres... L’hydromorphologie est directement liée à l'hydrologie : chaque rivière se façonne et creuse son lit de manière à pouvoir transporter le débit et les sédiments qu'elle reçoit de l'amont : débit, profondeur, vitesse d'écoulement. Il existe ainsi plusieurs types de rivières selon la zone géographique où l'on se trouve: des rivières en tresses, des rivières à méandres, des rivières de montagne.
Le bon fonctionnement hydromorphologique est défini par : premièrement, la variété et la qualité de types d’habitats dans la rivière qui conditionnent le bon état biologique – des facteurs "enrichissants" sont ici l’alternance de types de courants (rapides, lents) ; l’alternance de zones profondes et calmes avec des zones à lame d’eau faible et à courant vif ; la diversité des berges et de la granulométrie des fonds ; l’alternance de secteurs ombragés grâce aux arbres de bord de l’eau et de secteurs ensoleillés. Un deuxième paramètre conditionne le bon fonctionnement hydromorphologique, il s’agit de la présence de bras morts, fossés et zones inondables ; enfin, un troisième paramètre est la libre circulation des espèces et des sédiments. Des faciès d’écoulement diversifiés, des berges non protégées, des bancs alluviaux mobiles, une ripisylve fournie et variée, des corridors boisés et des annexes hydrauliques et la bonne continuité entre tous ces milieux traduisent une dynamique fluviale naturelle – celle dont toute restauration hydromorphologique doit tenter de se rapprocher.
Les rivières sont naturellement vivantes lorsqu’elles débordent, connaissent des étiages (période de bas débit), transportent des sédiments (érosion, dépôt) ; lorsque les espèces y circulent librement (bras morts, noues, zones inondables) et lorsqu’elles créent ses annexes hydrauliques (bras morts, fossés, zones inondables, etc.).
À quoi ressemble une rivière peuplée ? Une rivière est un système vivant qui accueille une grande variété d'espèces d’animaux et de végétaux. Une rivière "accueillante" doit non seulement avoir une bonne qualité d'eau mais aussi offrir des habitats variés et de qualité. Plus les habitats aquatiques seront variés et plus le nombre d'espèces qui pourront coloniser la rivière sera important. L'alternance de zones profondes et calmes (appelées mouilles) et de zones moins profondes avec des courants plus vifs (appelées radiers) permet aux salmonidés (comme les saumons, les truites) de trouver des zones de repos, de nourriture, et de reproduction. L'alternance de secteurs ombragés grâce à la végétation des berges (aulnes, frênes…) et de secteurs plus ensoleillés permet de répondre à différents besoins en termes de température d'eau. Les espèces végétales implantées en berge permettent aussi de créer des zones d'abris pour les animaux aquatiques (racines des arbres) et terrestres. Les prairies inondables en bord de rivière (dans le lit majeur) permettent aux espèces cyprinicoles (comme le brochet) de se reproduire.
Un équilibre est aujourd’hui sans cesse à trouver entre la capacité d'accueil des rivières et les usages développées par l’homme. Les activités humaines liées aux cours d'eau se sont souvent développées au détriment de la biodiversité des milieux aquatiques. Ainsi, la lutte contre les inondations et les érosions de berges a conduit à la construction de digues et au bétonnage des berges. De même, les nombreux moulins font obstacle à la continuité écologique, en empêchant la circulation des poissons et le transport naturel des graviers et des sables. La plupart du temps, ces moulins n'ont plus aujourd'hui aucune activité économique. Un même territoire est aussi très souvent soumis à plusieurs usages, parfois antagonistes. Les milieux aquatiques doivent être reconquis en tenant compte de tous ces facteurs.
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La rivière est utilisée par l’homme et constitue un support de l’activité humaine pour le transport, la production d’énergie, la production d’eau potable… Ces activités induisent des altérations directes ou indirectes du fonctionnement d’une rivière. Les altérations indirectes sont celles issues des interventions sur les territoires du bassin versant se traduisant par le dépouillement des sols ou leur imperméabilisation. Mais ces changements indirects peuvent aussi être la résultante de changements climatiques. Les altérations directes du fonctionnement d’une rivière sont la chenalisation (et toutes les opérations de recalibrage, rectification ou reprofilage du cours d’eau, d’endiguement, de curage et de dragage). Ces altérations directes peuvent aussi résulter de la construction de barrages (avec la mise en place de seuils et d’épis), de l’activité d’extraction de granulats ou encore tout simplement des "coupes à blanc", la suppression des arbres bordant le cours d’eau.
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En Île-de-France, l’exemple le plus emblématique de cette dénaturation est celui de la Bièvre. De la révolution industrielle jusqu’aux années 1960, la rivière a été considérée comme un égout. Pour régler le problème et éviter tout risque sanitaire les collectivités ont alors souvent fait le choix d’enterrer le cours d’eau. Mais la Bièvre constitue aussi aujourd’hui l’exemple emblématique d’une reconquête – voir à ce sujet l’article H2o/PICRI Recomposer la Bièvre
Plus fréquemment, les cours d’eau ont été réaménagés de façon linéaire afin d’accélérer l’écoulement et éviter ainsi les débordements. La rivière devient alors comme un tuyau en béton, à ciel ouvert. Fréquemment aussi la multiplication des ouvrages altère le fonctionnement morphologique du cours d’eau, mais le manque d’apport de substrats (de sable et de cailloux) augmente progressivement la profondeur fragilisant les fondations des divers ouvrages, dont les ponts. Des prélèvements importants dans la "nappe d’accompagnement" de la rivière (la nappe souterraine, voisine du cours d’eau avec lequel elle communique) ont pour effet d'aggraver l'étiage de la rivière, voire de l'assécher. Les ouvrages diminuent globalement la vitesse d’écoulement, contribuant ainsi à l’augmentation de la température de l’eau et à la diminution du taux d’oxygène. Dans le cas d’un barrage, ce réchauffement s’élève entre 1 et 4 degrés. Tous ces facteurs ont un impact immédiat sur l’écosystème, la faune et la flore. En conséquence de l’homogénéisation de l’espace le nombre des espèces baisse de façon drastique. .
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Index du dossier |
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1. La reconquête des rivières |
2. Enjeu dans le bassin de Seine-Normandie |