Sous-exploitées en France, les eaux usées traitées offrent de nombreux avantages, tant environnementaux qu'économiques et financiers, notamment pour l’arrosage de secteurs gourmands en eau comme les zones agricoles, les espaces verts publics ou encore les golfs. D'autres utilisations, actuellement en phase pilote, sont à l'étude. L’Agence régionale pour l’environnement et l’écodéveloppement de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur – ARPE PACA, en partenariat avec le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), a organisé une journée dédiée à cette solution d’avenir. Retour sur les témoignages de collectivités, bureaux d'étude, organismes de contrôle sanitaire, chercheurs, universitaires et experts en assainissement qui ont fait le point devant plus de 100 élus et techniciens sur les utilisations, les pratiques, les financements et la réglementation.
ARPE PACA
H2o – janvier 2017
Entre expériences réussies et projets vertueux, la réutilisation des eaux usées traitées commence à trouver un écho auprès des sceptiques. Golfs, aéroports, stations de ski, espaces verts, structures agricoles, etc. : les expérimentations développées en Provence-Alpes-Côte d'Azur, en Auvergne, en Vendée et surtout dans le reste du monde attestent de l'intérêt de cette solution. La problématique des eaux usées se transforme progressivement en solution innovante pour préserver la ressource en eau. Pourtant, cette réutilisation reste confidentielle et limitée à très peu d'usages en France, où seulement 0,1 % du volume global d'eaux usées est traité, ceci en raison notamment d'une réglementation stricte, conçue le souci de protection des populations contre d'éventuels risques sanitaires. Cependant, les analyses pratiquées sur les eaux usées ayant subi un traitement complémentaire pour être réutilisées montrent que leur qualité est systématiquement meilleure que lorsqu'elles sont rejetées dans le milieu naturel après un traitement classique.
La nécessité de développer cette utilisation, dans un contexte de changement climatique, d'économies d'eau et de réduction des rejets potentiellement polluants, encourage l'État à assouplir la réglementation nationale. Ainsi, les projets pilotes peuvent être autorisés pour des utilisations qui dépassent le cadre réglementaire actuel. Par ailleurs, l'encadrement réglementaire, en imposant des niveaux de traitement poussés et une exigence de qualité d'eau très élevée – avec une surveillance sanitaire systématique – contribue à lever les freins psychologiques en rassurant les usagers potentiels et encourage le développement des démarches.
Sans avis favorable de l'Agence régionale de santé, qui gère le risque sanitaire, les projets sont refusés.
Dominique MAUMONT
Direction départementale des territoires et de la mer du Var
Les besoins en eau augmentent avec l'accroissement de la population ; il est aujourd'hui impératif de trouver des solutions afin de réduire ou limiter les prélèvements sur la ressource. Réutiliser de l'eau usée traitée offre une sécurité et une régularité dans l'approvisionnement en eau pour le secteur agricole et peut aussi contribuer à réduire les compétitions entre les différents usages : agriculture, eau potable, structures de loisirs, nettoyage… Rappelons qu’il s'agit d'une ressource de qualité, tant sur le plan agronomique (présence de nombreux nutriments) que sanitaire en raison du traitement poussé imposé par la réglementation. Il n'est d'ailleurs pas rare que l'eau usée traitée soit de meilleure qualité que des eaux de surface prélevées pour l'irrigation. Enfin, c'est une pratique qui permet également de réduire les quantités d'eaux rejetées dans le milieu sans avoir subi de traitement complémentaire.
"Dans le monde, 165 milliards de mètres cubes d'eaux usées sont collectés et traités chaque année dans des stations d'épuration avant d'être rejetés dans le milieu naturel, ce qui représente quotidiennement 150 litres par habitant pour plus d'1 milliard de personnes, celles qui ont accès à un réseau d'épuration. Et ces eaux-là sont canalisées, on peut donc maîtriser leur qualité, leur rejet et les réutiliser", rappelle Nicolas Roche, professeur à l’Université d’Aix-Marseille.
Le contexte mondial. "À l'échelle mondiale, c'est l'irrigation agricole, les usages communaux et industriels qui sont les utilisations principales des eaux usées traitées. Mais pas seulement, on peut également utiliser cette ressource pour recharger les nappes d'eau souterraines, les rivières, laver les voiries, produire de la neige artificielle… Ces utilisations ne sont pas développées en France. Nous sommes en retard : moins de 0,1 % d'eaux usées traitées sont réutilisées", constate Nicolas Condom, président du bureau d'étude Ecofilae.
Dans le monde, l'irrigation agricole représente 32 % des volumes d'eaux usées traitées réutilisées, l'arrosage des espaces verts et des golfs 20 %, l'industrie 19 %. L'utilisation de l'eau usée traitée pour recharger les nappes phréatiques reste anecdotique avec seulement 2,2 %, tout comme les usages indirects liés à des fins d'eau potable qui ne dépassent pas non plus 2 %. En Israël, l'usine de Shafdan qui traite et purifie les égouts de la région du Dan (englobant Tel-Aviv et la zone centre du pays, cette région est la plus densément peuplée et aussi la plus industrielle du pays) traite chaque année environ 190 millions de mètres cubes d'eaux usées pour l’irrigation agricole ou des espaces publics. En Italie, à Milan, 90 millions de mètres cubes d'eaux usées sont traités et réutilisés chaque année pour irriguer les rizières qui produisent un riz de grande qualité. En Espagne, à Vitoria-Gasteiz (Pays basque), 13 millions de mètres cubes d'eaux usées sont traités et réutilisés chaque année pour le maraîchage. Cette région dispose également d'une capacité de stockage de 7 millions de mètres cubes, soit 200 jours d'utilisation. À titre comparatif, l'île de Noirmoutier, qui fait partie des références françaises, réutilise chaque année 350 000 mètres cubes d’eaux usées traitées pour de l'irrigation. La Floride reste le leader mondial de la réutilisation des eaux usées avec plus de la moitié des eaux usées produites chaque année qui sont traitées et réutilisées. Selon des données déjà anciennes (2006), 49 % du volume de l'eau recyclée va à l'irrigation des espaces verts, 14 % à l'irrigation agricole, 14 % à des usages industriels et 16 % à la recharge de nappes phréatiques.
La France est très en retard aussi bien en termes de volume qu'en termes d'usages. En effet, hormis le secteur agricole et l'arrosage des espaces verts, très peu d'autres utilisations, pourtant avantageuses à tous niveaux, sont développées en France, dans le secteur industriel par exemple, alors que cet usage représente un vrai potentiel, simple et géographiquement concentré.
Nicolas ROCHE
Université Aix-Marseille
En France, seulement 0,1 % du volume global d'eaux usées traitées est réutilisé. 65 installations réutilisant leurs eaux usées traitées ont été recensées en 2015 et 2016 par une étude menée par le CEREMA (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement). L'irrigation agricole représente à elle seule plus de 50 % des utilisations (33 sites sur l'ensemble du territoire national) et l'arrosage des golfs, près de 30 %. L'arrosage des espaces verts est à la traîne : à peine 8 % des cas recensés.
En PACA, environ 332 000 mètres cubes sont réutilisés (de l'ordre de 0,1 % de la production régionale). Trois stations d'épuration fournissent de l'eau usée traitée à plusieurs sites, dont un golf, trois communes pour l'arrosage d'espaces verts ainsi qu'un site agricole pour l'irrigation (source : ARPE PACA 2016). Pourtant comme l’explique Gilles Malamaire, de l’ARPE PACA, "le potentiel existe en PACA comme à l'échelle du bassin Rhône Méditerranée Corse pour lequel le CEREMA a identifié environ 20 000 hectares de surfaces agricoles proches de stations d'épuration. Ce qui coûte cher, c'est le transfert des eaux et la pose de canalisations pour les acheminer." Le rôle de l'ARPE est justement d'accompagner les collectivités et les maîtres d'ouvrage dans la définition des besoins et des possibilités qui s'offrent sur leur territoire, possibilités aussi bien techniques que financières. Dans un deuxième temps, l’agence aide également à la rédaction du cahier des charges qui permet de mandater des bureaux d'étude pour concrétiser les projets, en apportant notamment sa connaissance technique de l'assainissement.
Un appel à projets de l'Agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse. Pour développer la réutilisation de l'eau usée traitée, économiser l'eau et préserver les milieux sensibles, l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse a lancé un appel à projets sur l’ensemble du bassin. À la clôture des candidatures, en septembre 2016, 55 projets avaient été déposés, dont 16 en PACA. 40 % du bassin Rhône Méditerranée Corse ont connu des épisodes de pénuries d'eau ; et cette situation va aller s’aggravant du fait de l'accroissement de la population et des changements climatiques, explique François Roberi, de l’Agence de l'eau. En marge de cet appel à projets, l'agence intervient déjà sur les territoires prioritaires, déficitaires en eau ou en équilibre fragile, avec un taux d'aide pouvant aller jusqu'à 50 %. En PACA, les cours d'eau de l'Argens, la Durance, le secteur de la Crau (qui sollicite des eaux provenant du canal de Marseille ou du Verdon) ont été classés prioritaires. Cet appel à projets élargit le soutien aux territoires non déficitaires ou à des projets pilotes permettant de tester des usages encore non prévus par la réglementation. Le taux d'aide est de 50 % mais peut s’élever jusqu'à 80 % dans les zones déficitaires pour une enveloppe financière globale de7 millions d'euros.
Sur les 16 projets proposés en Provence-Alpes-Côte d'Azur, 15 ont été retenus (8 projets seront financés à 80 % car situés sur des territoires prioritaires et 7 projets seront financés à 50 %) dont 4 projets pilotes novateurs :
Les autres projets concernent essentiellement l'arrosage d'espaces verts, de golfs et l'irrigation agricole.
L'Agence de l'eau soutient la réutilisation des eaux usées parce qu'elle permet d'une part de réaliser des économies d'eau et d'autre part de réduire les rejets, la pollution, dans les milieux sensibles et les zones protégées.
François ROBERI
Agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse
Sécuriser l'accès à l'eau pour le secteur agricole. "Dans les Bouches-du-Rhône, le département est sécurisé par les prélèvements sur la Durance, nous ne sommes pas en zone déficitaire, on n'a pas de gros manque d'eau mais il reste des points sensibles, notamment sur la Touloubre et l'Arc. On a d'ailleurs subi des tensions sur la ressource en eau pendant l'été 2016 sur ces cours d'eau, et l'irrigation agricole a dû s'arrêter notamment en amont de l'Arc, sur l'Huveaune et à Jouques afin de donner priorité à l'eau potable. Sécuriser l'approvisionnement en eau pour les agriculteurs est essentiel sur notre territoire", explique Lauriane Morel, conseillère Eau et Environnement à la Chambre d'agriculture des Bouches-du-Rhône.
Les Bouches-du-Rhône sont bien desservies par un ensemble de réseaux d'irrigation. D'après le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) 2016, il n'existe aucune zone déficitaire. Cependant, sur certains bassins versants, il est nécessaire d'agir pour préserver les équilibres quantitatifs. L'est du département est desservi par le réseau du canal de Provence et l'ouest bénéficie des canaux de la Durance, notamment pour irriguer la plaine de la Crau et le delta de la Camargue. Toutefois, certains territoires n'ont aucun accès à l'eau et les agriculteurs sont ici contraints de réaliser des forages ; d'autres territoires connaissent des périodes de tensions sur la ressource, notamment en période d'étiage, mettant en concurrence les différents usages de l'eau : irrigation agricole, eau potable, eau industrielle, activités de loisirs…
"À Cuges-les-Pins, la commune souhaite redynamiser la zone agricole et trouver une nouvelle ressource en eau. Situés à l’écart des dessertes par canal, les agriculteurs sont contraints d’effectuer des forages très profonds qui leur coûtent très cher et dont les prélèvements rentrent en concurrence avec l'alimentation en eau potable. Comment avoir de l'eau pour maintenir, voire développer, l'agriculture constitue une vraie problématique de développement économique d'un territoire", explique Gilles Malamaire, chargé de projet à l’ARPE PACA.
Aujourd'hui, le canal d'irrigation de la commune irrigue 330 hectares avec de l'eau prélevée dans l'Arc, qui en été est majoritairement alimentée par les rejets des stations d'épuration situées en amont (notamment Aix-en-Provence). Les analyses pratiquées à proximité de la prise d'eau du canal d'irrigation montrent que l'eau prélevée dans l'Arc est de qualité moyenne. La réutilisation des eaux usées traitées offrirait sur ce territoire une solution avantageuse aussi bien en termes économiques qu'environnementaux. Elle permettrait, d'une part, de réduire le prélèvement direct dans l'Arc et, d'autre part, d'irriguer avec une eau ayant subi un traitement complémentaire pour un volume annuel de 400 000 mètres cubes. "L'eau qui sortirait de la station après traitement tertiaire serait de meilleure qualité bactériologique que l'Arc lui-même", assure Gilles Malamaire. La Chambre d'agriculture et l'ARPE sont parties prenantes du projet dont l'objectif premier est de sécuriser l'irrigation. En effet, les agriculteurs bénéficieraient d'une eau de qualité tout au long de l'année, notamment en période de sécheresse estivale. Cette solution serait également salutaire pour le milieu naturel puisque la quantité d'eau usée traitée rejetée dans l'Arc serait en nette diminution.
Depuis 2006, les 32 hectares du golf de Sainte-Maxime sont arrosés par de l’eau usée traitée, ce qui a permis d’économiser 12 % d’eau potable et de réduire de moitié les doses de fertilisants utilisés. Les services communaux lui ont emboîté le pas pour l’arrosage des espaces verts.
Suite à l'été 2003, durant lequel la France a connu un épisode de sécheresse extrême, le golf avait subi une forte détérioration de ses pelouses. L'eau utilisée pour l'arrosage était de l'eau potable, ce qui était absurde pour la mairie confrontée un conflit d'usages : l'eau qui partait pour l'arrosage était perdue pour la consommation humaine. La solution de la réutilisation des eaux usées traitées s’est rapidement imposée. Les travaux ont duré un an ; ils ont notamment conduit à la construction de quatre kilomètres de canalisations. La réutilisation des eaux usées traitées permet aujourd'hui l'irrigation du golf par aspersion (250 000 m3/an) et d’espaces verts communaux en gravitaire (5 000 m3/an).
Le stockage des eaux traitées est situé au cœur du golf, par une retenue collinaire de 10 000 mètres cubes (dont 6 000 m3 utilisables). Pour éviter la prolifération des algues et des moustiques, des espèces ont été introduites comme les oies bernaches, les carpes amour, les carpes koi. "L'arrosage du golf se fait exclusivement la nuit, de juin à octobre. On utilise 2 200 mètres cubes d'eau par nuit en été et 1 000 mètres cubes au printemps. Un prélèvement d'eau est effectué chaque semaine. Une fois par mois, l'agence régionale de santé analyse également l'eau au niveau des arroseurs pour contrôler une éventuelle prolifération bactérienne, ce qui n'est jamais arrivé en dix ans. Les analyses sont à la disposition du public à l'accueil du golf", explique Dominique Maffre, green keeper du golf de Sainte-Maxime, qui poursuit : "Avec l'utilisation des eaux usées, on bénéficie d'une ressource illimitée, il n'y a plus aucune restriction d'arrosage et on économise même sur le prix de l'eau, puisque le mètre cube d’eau usée traitée nous coûte 28 centimes contre 80 centimes. On utilise également deux fois moins de fertilisants. En revanche, nous devons tondre les pelouses plus fréquemment en raison de l'azote présent dans l'eau traitée qui accélère la pousse du gazon, surtout au printemps."
L’île de Porquerolles, pionnière en la matière depuis 1980, irrigue les vergers du Conservatoire botanique avec des eaux usées traitées et une consommation jusqu’à 300 mètres cubes par jour en été. Les rejets d’eaux usées en mer en sont d’autant réduits. L’exemple de Porquerolles est symptomatique des difficultés des hauts-lieux touristiques avec une demande en eau potable exponentielle en période estivale, concomitante avec l'exploitation maraîchère et l'arrosage des vergers. Chaque jour, 350 mètres cubes sont pompés dans la nappe phréatique (dont une limitation à 60 m3 pour l'exploitation maraîchère). Le complément est assuré par une barge qui fait le trajet quotidiennement. Dès 1980, un traitement tertiaire par lagunage a été mis en service avec trois lagunes – deux de 4 000 m2 et une de 2 000 m2 – pour profondeur variant de 30 centimètres à 1 mètre. L'ensemble du réseau d'irrigation est entièrement vidangé une fois par an et les filtres sont nettoyés chaque semaine. Le curage de l'ensemble des lagunes est effectué tous les 6 à 9 ans. "Pour se rendre compte de la qualité de l'eau usée traitée en 2016, les analyses montrent que le taux de bactéries issues de matières fécales est quasi systématiquement en-dessous du seuil réglementaire et bien souvent en-dessous des seuils de détection des laboratoires !" précise Daniel Bielmann, chargé de mission Agriculture au Parc national de Port-Cros.
Les mairies de Cavalaire et de la Croix-Valmer utilisent depuis 2014 de l’eau usée traitée pour arroser une partie de leurs espaces verts et veulent aller plus loin : d'autres utilisations potentielles sont à l'étude. Le SIVOM du littoral des Maures, gérant de la station d'épuration, fournit de l'eau usée traitée pour arroser, au printemps et en été, quatre parcelles d'espaces verts communaux. L’installation permet un potentiel de réutilisation de 200 mètres cubes par jour. La qualité de l'eau usée traitée est excellente puisqu'elle respecte largement le niveau sanitaire "A".
Le niveau sanitaire "A" permet de quasiment tout irriguer : pâturage, cultures maraîchères, pépinières, golfs, espaces verts ouverts au public alors qu’une eau de qualité "D" ne permet que l'arrosage de forêts d'exploitation avec, qui plus est, un accès contrôlé du public pendant les phases d'arrosage. Les eaux de qualité "A" sont obligatoirement analysées une fois par semaine. Le sol est également analysé au minimum tous les dix ans pour vérifier sa capacité à recevoir des eaux usées traitées. Dans le Var, la totalité des eaux usées traitées réutilisées sont de qualité sanitaire "A".
Anticiper la diversification des usages en exigeant dès le départ une eau de qualité sanitaire "A". Dès le départ, la qualité de l'eau devait être irréprochable car les usages liés à la réutilisation des eaux traitées étaient très sensibles : l'arrosage des espaces verts et le maraîchage notamment, explique Romain Girard, directeur régional au Cabinet Merlin / groupe Euryèce, maître d'œuvre de l'opération.
La préservation de la ressource locale en eau potable, enjeu prioritaire de la démarche. Avant de monter ce projet de réutilisation des eaux usées traitées, en 2010, les communes de Cavalaire et de la Croix-Valmer se sont d'abord interrogées sur les usages potentiels, leur localisation et leur quantification de façon à analyser les coûts à engager et le dimensionnement des installations à construire. C’est ainsi qu’en 2012, le SIVOM a décidé la création d'une unité capable de fournir quotidiennement 200 mètres cubes d'eau usée traitée, soit 50 000 m3/an, avec un dispositif de pompage permettant d'alimenter le réseau d'irrigation. L'unité de traitement tertiaire a coûté 500 000 euros, qui ont été financés à hauteur de 70 % par l'Agence de l'eau, la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur et le département du Var.
En 2013, un arrêté préfectoral a autorisé l'arrosage des espaces verts et depuis février 2016, le ministère de la Santé a autorisé l'utilisation de l'eau usée traitée pour d'autres usages comme le lavage des véhicules et le remplissage des bornes d'hydrocurage (pour le nettoyage des réseaux d'assainissement par exemple). Le dispositif de surveillance des eaux est double : il est assuré quotidiennement par le laboratoire de la station d'épuration et, chaque semaine, par un laboratoire indépendant. L'eau usée traitée est stockée avant arrosage dans une cuve de 25 mètres cubes. "Aujourd'hui, nous voulons aller plus loin. Nous espérons obtenir l'autorisation de l'ARS et de la DDTM du Var pour lancer de nouveaux usages identifiés mais non autorisés à ce jour, notamment le nettoyage des voiries, des quais de la déchetterie, de l'aire de carénage des bateaux et le remplissage des citernes incendie", explique Gérard Jacomet, directeur du SIVOM du littoral des Maures.
À proximité de la station d'épuration de Clermont-Ferrand, une usine de sucrerie avec d'immenses lagunes et des structures agricoles de production de maïs-semence sont installées. Pour avoir la possibilité de produire du "maïs-semence", il est nécessaire de bénéficier de ressources en eau de façon continue toute l'année. Or, ce territoire est déficitaire en eau.
Depuis 1996, la station d'épuration renvoie les eaux usées traitées dans les lagunes de la sucrerie qui permettent l'irrigation agricole de 700 hectares (maïs-semence, blé, betterave), ce qui évite le pompage direct dans les cours d'eau lesquels, de surcroît, ne permettraient d’irriguer que 200 hectares. Grâce à la mise en œuvre de cette démarche de réutilisation, les lagunes sont réhabilitées et retrouvent leur fonction d’espaces de stockage. Des études épidémiologiques sont pratiquées régulièrement afin de contrôler le milieu. La pêche est maintenue dans les cours d'eau et l'agriculture peut se développer puisque l'irrigation ne pose plus de problème.
"La valeur du projet est positive : entre les coûts évités et les gains de production, les agriculteurs ont gagné près de 6 millions d'euros et la sucrerie 9 millions d'euros. La collectivité avait, dès le départ, une vision claire de la rentabilité globale du projet. C'est en adoptant une logique territoriale sur cette démarche de réutilisation des eaux usées traitées, en prenant en compte les bénéfices environnementaux, sociaux et économiques qu'on arrive à atteindre des niveaux de rentabilité intéressants. Un projet ne peut fonctionner que s'il est rentable. C'est notamment l'objet des études d'analyses des coûts et bénéfices", explique Nicolas Condom (Bureau d'étude Ecofilae).
"Le principe de précaution n'est pas forcément à appliquer dans ces démarches car l'eau traitée réutilisée est souvent de bien meilleure qualité que l'eau de rivière et systématiquement meilleure que les eaux issues de stations d'épuration classiques, car l'eau subit un traitement tertiaire", constate Bruno Molle, responsable de la plateforme de recherche et d’expérimentation en Sciences et Technologies d’irrigation à l’IRSTEA (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture).
L'IRSTEA travaille sur l'eau d'irrigation et les différents types d'irrigation afin de permettre une analyse très fine pour la recherche d'éventuels agents bactériologiques et pathogènes. À Agropolis (Montpellier) une équipe, composée de 16 chercheurs, ingénieurs et étudiants en thèse, pratique des tests en laboratoire et des expérimentations sur les équipements d'irrigation en travaillant sur des parcelles de 3,5 hectares. Mais une étude à taille réelle est également conduite à Murviel-lès-Montpellier : le site expérimental est constitué d'une station de lagunage et d'une parcelle agricole. Le programme de recherche vise à :
L'IRSTEA opère par injection de virus non infectieux dans un système d'irrigation en goutte-à-goutte et par aspersion sur des cultures. Différentes orientations de jets et différentes pressions sont testées. Les mesures sont effectuées jusqu'à 50 mètres de l'arroseur et la quantité d'eau tombant au sol est alors inférieure à 0,1 millilitre par mètre carré et par heure. La probabilité de contact et/ou d'ingestion de pathogènes est donc quasi-nulle.
Le risque bactérien, parasitaire et viral provient de la contamination microbiologique éventuelle des eaux usées. Il est donc nécessaire de protéger les personnes potentiellement exposées : les travailleurs exposés ou manipulant les récoltes, les consommateurs de produits issus de cultures irriguées, le public des espaces verts, forêts, etc. et bien sûr les riverains. "C'est le danger potentiel de l'exposition directe qui a dirigé les principes de la réglementation", reconnaît Laurent Poumarat de l’Agence régionale de santé. "La présence de bactéries issues de matières fécales (escherichia coli et entérocoques notamment) dans les eaux est significative parce qu'elle est un indicateur de la présence de toute une myriade d'autres germes. Dans le cas du nettoyage des voiries par exemple, il y a aspersion des eaux usées donc pénétration de gouttelettes dans les espaces urbains. Étant hors de question d’exposer la population à des gouttelettes d'eau contenant potentiellement des agents pathogènes, il est donc nécessaire d'empêcher tout contact direct avec la population et de garantir des usages qui permettent de prouver qu'il n'y a pas de conséquences sanitaires." Dans la pratique du lavage des voiries, les agents pathogènes que l'on retrouve aux environs des zones de nettoyage sont la plupart du temps ceux qui étaient déjà présents sur la voie avant l'utilisation de l'eau usée traitée. Il est donc important de connaître la façon dont on peut maîtriser ce type de pratiques pour limiter la remise en suspension de pathogènes. "Le but de toute cette réglementation est aussi de préserver la chaîne de responsabilité, des services de l'État à la collectivité qui met l'outil en place, et c'est aussi pour cela que la France est en retard sur la réutilisation des eaux usées traitées", constate Laurent Poumarat.
Les premières recommandations datent de 1991 mais c'est en 2009 que la réglementation française a abordé précisément la problématique de la récupération et de la réutilisation des eaux pluviales et des eaux usées avec la loi Grenelle 1. Le Plan national d’adaptation au changement climatique inscrit également ces nouvelles pratiques dans le but de développer les économies d’eau et assurer une meilleure efficience de l’utilisation de l’eau. L'objectif est double, d’une part, économiser 20 % de l’eau prélevée d'ici 2020 et, d’autre part, soutenir, en particulier dans les régions déficitaires, la réutilisation des eaux usées traitées pour l’irrigation de cultures ou d’espaces verts. Celle-ci doit être envisagée avec des précautions strictes et différents suivis aux niveaux environnemental, agronomique et sanitaire.
Dès 2009, le ministère de la Santé s’est donc positionné donc en faveur de la réutilisation des eaux usées mais avec une limite sur l'aspersion : suite aux premières expertises de l'AFSSA (Agence française de sécurité sanitaire des aliments) et de l'AFSSET (Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail), les collectivités qui désiraient mettre en place un système d'irrigation par aspersion devaient au préalable monter un projet pilote pendant six mois, soumis à l'évaluation des services de l'État. Sans garantie d'aboutissement, très peu de collectivités se sont lancées.
L’arrêté du 2 août 2010 relatif à l'utilisation d'eaux issues du traitement d'épuration des eaux résiduaires urbaines pour l'irrigation de cultures ou d'espaces verts, modifié par l’arrêté du 25 juin 2014 redéfinissant les conditions d'usage de l'aspersion et, plus récemment, une instruction interministérielle d’avril 2016, ont redéfinit le cadre de la réutilisation des eaux usées traitées pour l'irrigation de cultures ou d'espaces verts. Le nettoyage (voiries, ouvrages, véhicules…) à l'intérieur d'une station d'épuration n'est pas soumis à autorisation préfectorale. Concernant le nettoyage des espaces publics, il n'existe, à l'heure actuelle, aucun encadrement général et les autorisations sont délivrées au cas pas cas. Pour les utilisations innovantes et expérimentales, les autorisations sont également délivrées selon la nature du projet. "Il existe aujourd'hui des usages non réglementés par le ministère, notamment dans le cadre des usages urbains comme le lavage de bateaux, de quais, de voiries, des aires de carénage. Ça ne veut pas dire que c'est interdit. Ce qui est encadré, c'est l'information aux usagers, qui doit être accessible et transparente", précise Dominique Maumont (DDTM du Var).
"La sémantique pose problème, le terme "eau usée traitée" rassemble seulement 10 % d'adhésion, alors que le terme "eau purifiée", qui signifie exactement la même chose, remporte 70 % d'adhésion. Pour faire évoluer les pratiques, il faut se placer dans la logique du consommateur et non pas dans une logique d'ingénieur. Il faut impérativement passer sur un label plus positif", note Nicolas Condom (Ecofilae). "La réglementation évolue, une réflexion est actuellement en cours sur des systèmes où la station d'épuration n'est plus considérée seulement comme l'endroit où on traite les eaux usées mais comme un véritable site industriel de valorisation globale. Autour des villes, on a de moins en moins de sites industriels mais de plus en plus de stations d'épuration !" renchérit Nicolas Roche (Université Aix-Marseille).
D'une manière générale, on ne note pas de développement bactériologique dans les stockages ouverts comme les lacs artificiels, les lagunes. En Caroline du Nord, aux États-Unis, un site expérimental a été construit afin que les scientifiques puissent étudier les impacts de ces espaces de stockage à ciel ouvert sur la biodiversité et l'accumulation des polluants. L’aménagement coûte entre 40 et 50 dollars au mètre carré ; à côté des espaces agricoles, des promenades et des zones de footing ont été aménagés. Là où il n’y avait rien, et surtout pas d’eau, il y a maintenant des activités et de la richesse.
Un exemple qui devrait inspirer les oléiculteurs des Baux-de-Provence. Ils souhaitent passer à l'irrigation dès l'année prochaine. Le coût de la mise en place d'une technique de réutilisation des eaux usées pourrait être aisément amorti car l'huile d'olive est un produit à haute valeur ajoutée. ▄
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L'Agence régionale pour l'environnement et l'écodéveloppement – ARPE PACA, fut la première agence pour l'environnement créée en France puisque dès 1979, la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur et les départements prirent l'initiative de s'associer au sein d'un syndicat mixte ayant pour vocation d'accompagner et d'apporter une assistance technique aux collectivités territoriales, aux établissement publics et à l'ensemble des acteurs socio-économiques et associatifs. L'ARPE intervient en complémentarité des politiques régionales et départementales. En matière d'assainissement, l'ARPE a entamé en 2005 une mission d'évaluation des techniques innovantes : filtres plantés de roseaux, lits de séchage plantés de roseaux, zones de rejet intermédiaire, traitement biologique compact, bioréacteurs à membranes. ARPE PACA |