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ZONES HUMIDES CÔTIÈRES
Nous ne pouvons pas les laisser disparaître

Les événements climatiques auxquels nous sommes confrontés sont de plus en plus fréquents, extrêmes et dévastateurs. En Méditerranée, les conséquences deviennent dramatiques pour de nombreuses espèces : les cycles naturels sont déséquilibrés et nous observons des changements dans tous les domaines, des cycles de croissance des plantes aux saisons de nidification des oiseaux migrateurs. Il est maintenant clair que la crise climatique relève de la responsabilité directe de l’activité humaine, mais il n'est pas trop tard pour agir : l'humanité est en mesure de changer le cours des choses avec l'aide de la nature. Des solutions naturelles existent, comme l'utilisation durable, la conservation et la restauration des zones humides côtières. Ces écosystèmes-clés ont une grande capacité d'absorption des émissions de carbone et contribuent à nos efforts d'adaptation dans un monde qui se réchauffe.

Alessio SATTA
secrétaire – MedWet
Initiative pour les zones humides méditerranéennes

Oristano, Sardaigne (Italie) – photo C. Amico / MedWet
H2o – mars 2022

 

L'élévation du niveau de la mer sera l'un des principaux impacts engendrés par le changement climatique au XXIe siècle pour les zones côtières. Selon le sixième rapport d'évaluation du GIEC, il est pratiquement certain que le niveau moyen mondial de la mer continuera d'augmenter au cours de ce siècle. Par rapport à la période 1995-2014, l'élévation probable du niveau moyen mondial de la mer d'ici 2100 pourrait ainsi atteindre 1 mètre dans le cadre du scénario d'émissions de GES très élevées (scénario SSP5-8.5), ce qui entraînerait la perte de 90 % des zones humides côtières de la planète. S'il subsiste des incertitudes sur la façon dont la fonte de la calotte glaciaire sera affectée, certains scénarios restent particulièrement alarmants. Les derniers modèles prévoient donc une augmentation plus importante du niveau de la mer associée à une fonte plus rapide des glaces. Bien que moins probables (le SSP5-8.5 notamment correspond à un doublement des émissions de GES d'ici à 2050 :  l'économie mondiale croît rapidement, mais cette croissance est alimentée par l'exploitation des combustibles fossiles et des modes de vie à forte intensité énergétique. Dans ce scénario, la température moyenne de la planète serait à +4,4 °C d'ici à 2100), ces scénarios sont principalement pris en compte dans les zones urbaines pour des raisons de sécurité. En outre, comme l'a présenté le WGII du GIEC (Working Group "Impacts, Adaptation and Vulnerability"), les dommages causés par les inondations côtières devraient être multipliés par 10 au moins d'ici la fin de ce XXIe siècle. 

Alors qu'il y a quelques mois, le monde assistait aux difficultés des délégués de la COP26 à Glasgow à parvenir à des accords pour maintenir l'augmentation de la température mondiale en dessous de 1,5 °C, il manquait déjà un ingrédient pourtant très visible : les zones humides. Les zones humides constituent le puits de carbone le plus efficace au monde, mais elles continuent d'être ignorées dans les plans d'action mondiaux pour le climat. C’est là une situation inquiétante compte tenu des preuves scientifiques évidentes qui démontrent leur rôle-clé dans la lutte contre le changement climatique.

En région méditerranéenne, les zones humides comptent parmi les écosystèmes les plus productifs. Elles fournissent des services essentiels à 500 millions de personnes, de la régulation des inondations à l'approvisionnement en eau en passant par leur attrait touristique ; et surtout, ces zones humides nous protègent contre le changement climatique. Paradoxalement, ce sont les écosystèmes les plus menacés par les activités humaines. Bien que l'écotourisme et le tourisme durable gagnent en popularité, la grande majorité des touristes se rassemble sur les côtes, réduisant considérablement la résilience des écosystèmes locaux.

Les données climatiques

Les projections publiées en 2019 par le réseau d'experts méditerranéens sur le changement climatique et environnemental (MedECC) confirment que le changement climatique frappera la région méditerranéenne plus durement et plus rapidement que la plupart des autres régions du monde. La crise de la biodiversité en sera aggravée, et ses effets auront un impact socio-économique, entraînant la précarité et le déplacement de millions de personnes. À l'échelle du bassin, les températures moyennes annuelles sont désormais supérieures de 1,54 °C à celles de 1860-1890 pour les zones terrestres et maritimes (+0,4 °C par rapport à l’augmentation moyenne mondiale). Le changement climatique y est 20 % plus rapide que la moyenne mondiale et 43 % de la population méditerranéenne souffre déjà de pénuries d'eau. Dans un scénario de statu quo, la température en Méditerranée devrait augmenter de 2,2 °C d'ici à 2040 en même temps que seront enregistrées, d’ici à 2080, une réduction de 30 % des précipitations au printemps et en été et une augmentation de 10 à 20 % des épisodes de fortes précipitations en dehors de l'été.  Selon les images satellites des 35 dernières années, la mer Méditerranée se réchauffe aussi presque trois fois plus vite que la plupart des autres zones océaniques.


Les scientifiques alertent : le bassin méditerranéen sera la deuxième région du monde la plus sévèrement touchée, après l'Arctique
(source Rapport MedECC). Pour inverser cette tendance, la solution pourrait se trouver, entre autres, dans les zones humides. Une série d'exemples démontrent que ces dernières peuvent changer la donne dans la crise actuelle, en apportant des solutions naturelles au changement climatique. Toutefois l'avenir lui-même de ces zones humides côtières est hypothéqué en raison des activités humaines. Selon l'Observatoire des zones humides méditerranéennes (OZHM), coordonné par la Tour du Valat dans le cadre de l’Initiative pour les zones humides méditerranéennes (MedWet), environ la moitié des zones humides de la Méditerranée a été détruite au cours des 50 dernières années ; quant aux zones humides subsistantes, elles sont soumises à de fortes pressions, qui expliquent qu'elles soient parfois d'ores et déjà fortement endommagées et dégradées.

Aux termes de certaines prévisions, dans un scénario de statu quo, la plupart des zones humides côtières de la Méditerranée auront disparu vers la fin du siècle, avec des conséquences dramatiques pour les communautés côtières et les économies locales. Des millions de personnes, en l'occurence plus d'un tiers de la population méditerranéenne, seront confrontées à des risques accrus de sécheresse, de pénurie d'eau et d'inondations côtières.  

Mediterranean Climate Hotspot Map, 2021, Elaboration by MEDSEA
La Méditerranée, point chaud du changement climatique : avec des températures qui augmentent 20 % plus vite que la moyenne mondiale, le bassin méditerranéen est l'un des "points chauds" de la crise climatique. Selon les images satellites des 35 dernières années, la mer Méditerranée se réchauffe presque trois fois plus vite que la plupart des autres zones océaniques – Mediterranean Climate Hotspot Map, 2021, Elaboration by MEDSEA

Des réussites locales à reproduire dès à présent

Les zones humides comptent parmi les puits de carbone les plus importants au monde ; des études scientifiques montrent qu'elles stockent actuellement jusqu'à 40 % du carbone mondial, et ce à un rythme 10 à 20 fois supérieur à celui des forêts tempérées ou boréales. En outre, les zones humides nous protègent contre divers phénomènes extrêmes, notamment l'élévation du niveau de la mer et les épisodes de tempête de plus en plus fréquents et violents. Plus à l'intérieur des terres, les zones humides absorbent les précipitations intenses, protègent des inondations et reconstituent les faibles débits en période de sécheresse.

En Sardaigne (Italie), les zones humides de la région d'Oristano englobent 77 kilomètres carrés de sites Ramsar et 267 kilomètres carrés d'aires marines protégées. Oristano est aussi au cœur de l'économie et de la culture de la Sardaigne depuis des centaines d'années. Aujourd'hui encore, ses zones humides fournissent de l'eau potable aux habitants et les protègent des inondations et des épisodes de tempête, tout en créant des conditions idéales pour l'épanouissement de la biodiversité. Des centaines d'espèces d'oiseaux, dont certaines sont menacées, continuent d’y nicher, de s'y nourrir et d’y hiverner. En France, la Camargue couvre 140 000 hectares (soit 1 400 km2), incluant des terres agricoles et une diversité exceptionnelle de zones humides et d'écosystèmes côtiers. Le site fait partie du réseau Natura 2000 et comprend 17 habitats visés par la directive européenne sur les habitats. En Tunisie, Ghar el Melh est lagune unique d'environ 35 kilomètres carrés, placée au rang de patrimoine côtier le plus précieux du pays. La ville a été la première d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient à recevoir le prix Ramsar d'accréditation des villes zones humides en reconnaissance de son engagement officiel dans la protection et durabilité de ses espaces naturels. Toutefois, Ghar El Melh est aujourd’hui confrontée à des menaces importantes, dues au captage de l'eau, à la pollution et au développement incontrôlé du tourisme. Au Monténégro, la saline Ulcinj Salina, couvrant 15 kilomètres carrés sur l'Adriatique, constitue l'une des plus importantes zones humides d'Europe pour la reproduction, l'hivernage ou le repos des oiseaux lors de leurs migrations. Plus de 250 espèces y ont été recensées. Après l'arrêt de la production de sel en 2013, cet habitat unique a été menacé par l'infiltration d'eau douce dans les salines. Le site a désormais rejoint la liste Ramsar des zones humides, ce classement devant permettre sa restauration ainsi que de relancer la production traditionnelle de sel et de développer l'écotourisme.

Les zones humides au cœur des solutions fondées sur la nature

Malgré les pressions qui les menacent, les zones humides méditerranéennes restent essentielles et les bénéfices qu'elles apportent ; les "services écosystémiques" qu'elles assurent sont une contribution vitale aux populations et aux économies nationales de la région. Les zones humides naturelles et artificielles du bassin méditerranéen couvrent entre 0,15 et 0,22 million de kilomètres carrés, soit entre 1,1 et 1,5 % de la superficie mondiale des zones humides. Près d'un quart (23 %) d’entre elles sont aujourd'hui artificielles, notamment les rizières, les réservoirs, les marais salants et les oasis – ce qui constitue un pourcentage bien plus élevé que la moyenne mondiale de 12 %. Les plus grandes zones humides de la région se trouvent en Égypte, en France, en Turquie et en Algérie, et représentent dans leur ensemble environ deux tiers du total méditerranéen. Étant donnée la nature aride ou semi-aride d'une grande partie du bassin méditerranéen, la couverture nationale des zones humides est généralement faible, allant de plus de 8 % en Tunisie à moins de 1 % dans huit pays, principalement au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Néanmoins, toutes ces zones humides sont essentielles pour assurer les moyens de subsistance et la survie de la biodiversité, comme le démontre clairement le rapport de l'OZHM Les zones humides méditerranéennes, enjeux et perspectives 2 – Solutions pour des zones humides méditerranéennes durables. Les populations exploitent directement les plantes et les animaux dépendant des zones humides par la pêche et la chasse pour se nourrir, et utilisent les zones humides pour faire paître les animaux. Dans des régions de plus en plus sèches, les zones humides sont particulièrement cruciales pour la gestion durable des ressources en eau, tant en termes de qualité que de quantité. Elles contribuent à fournir et à purifier l'eau dont dépendent les sociétés méditerranéennes pour la boisson, l'industrie et la production d'énergie ainsi que pour l'irrigation agricole.

Enfin, comme souligné plus haut, les zones humides méditerranéennes, en particulier les zones humides côtières, jouent un rôle important dans la lutte contre le changement climatique en atténuant les phénomènes météorologiques extrêmes (amortissement des inondations et des ondes de tempêtes côtières) et en fournissant de l'eau en cas de sécheresse. À l'inverse, l'assèchement des zones humides ou la réduction de leurs ressources en eau peut entraîner la libération de grandes quantités de carbone.

Les divers services fournis par les zones humides de par le monde ont une valeur économique considérable. La valeur des zones humides naturelles intérieures et côtières est estimée à au moins 51 000 milliards de dollars par an. Une grande partie de la valeur des zones humides réside dans les multiples avantages qu'elles procurent en matière d'eau : gestion de la quantité et de la qualité de l'eau et amortissement des phénomènes météorologiques extrêmes. Mais la conversion des écosystèmes naturels, y compris les zones humides, à d'autres utilisations des terres réduit la valeur des services qu'elles procurent, à un rythme de 4,3 à 20,2 trillions de dollars par an au niveau mondial. ▄

 

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ResSources
MedWet
Fondée en 1991, l’Initiative pour les zones humides méditerranéennes (MedWet) rassemble 27 pays méditerranéens et périméditerranéens qui sont Parties à la Convention sur les zones humides (Ramsar, Iran, 1971). La Palestine ainsi que des organisations et des centres de zones humides sont également membres de l’Initiative MedWet. La mission de MedWet est de soutenir la protection effective des fonctions et valeurs des zones humides et l’utilisation durable de leurs ressources et services.

Wetland-Based Solutions
Le projet Wetland-Based Solutions œuvre pour une conservation plus efficace de ces écosystèmes fondamentaux. Grâce à la protection et à la restauration de territoires clés, le projet vise à garantir que les zones humides côtières deviennent des atouts essentiels dans les solutions fondées sur la nature pour contrer les impacts anthropiques, et en particulier le changement climatique. Wetland-Based Solutions est né de la collaboration entre 30 partenaires experts des zones humides de 10 pays, avec le financement et le soutien de la Fondation MAVA. Ils se sont réunis dans le cadre d'une initiative novatrice pour sauver, restaurer et gérer les zones humides dans les régions côtières – où vit un tiers de la population méditerranéenne – en tant que solutions naturelles exceptionnelles pour les personnes et la planète.

Les zones humides côtières et la crise climatique : Pourquoi la Méditerranée a besoin de solutions basées sur la nature
État de l'environnement et du développement en Méditerranée (SOED) – Rapport 2020 du du Plan Bleu
Towards Nature-based Solutions in the Mediterranean  (Vers des solutions fondées sur la nature en Méditerranée) – Rapport de l'UICN 2020 
Manual for the Creation of Blue Carbon projects in Europe and in the Mediterranean (Manuel pour la création de projets Carbone Bleu en Europe et en Méditerranée) – Rapport UICN 2021
Premier rapport d'évaluation méditerranéen par le MedECC – réseau indépendant de scientifiques travaillant sur le changement climatique et environnemental en Méditerranée
Les zones humides méditerranéennes : Enjeux et perspectives 2 : Solutions pour des zones humides méditerranéennes durables, 2018 – Rapport de l'OZMH

Photo ci-dessous :
Pêcheur dans le delta de la Buna (Albanie) – photo C. Amico / MedWet  

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