Bakari Mohamed SÉMÉGA
quotidien HORIZON 02-02-2006
H2o – mars 2006
La terre se profile en bleu, rien qu’en bleu. Elle n’est que d’eau, essentiellement d’eau. Paradoxalement, bien qu’elle soit recouverte d’eau à hauteur de 70 % de sa superficie, les hommes vivent pourtant à certains endroits de la planète, des situations dramatiques de manque criant d’eau.
Le littoral mauritanien fait partie géographiquement et hydroclimatiquement de ces zones qui sont caractérisées par l’absence totale de toute ressource en eaux douces. La situation est telle que seules des alternatives et initiatives bien adaptées au contexte côtier, permettent de lui procurer suffisamment d'eau d’alimentation à la dimension de ses besoins et de leurs évolutions. Parmi ces alternatives, la désalinisation de l’eau de mer ou des eaux saumâtres et la gestion de sa production s’inscrivent en droite ligne d’une solution de proximité à la problématique de l’eau sur le littoral. Pourraient-elles répondre convenablement aux attentes ?
Le littoral mauritanien connaît à des degrés divers selon la zone, des problèmes aigus d’approvisionnement en eau et davantage dans les petites localités où des efforts considérables doivent être déployés pour satisfaire la desserte. Dans la zone de l’Aftout es-Sahéli jusqu’à Diago, l’eau est puisée à partir du puits ou du puisard ou encore du fleuve. Si par endroits, elle peut être suffisante en quantité, elle ne remplit quasiment jamais les conditions minimales pour la consommation humaine. Dans la zone du Banc d’Arguin, la population constituée de pêcheurs installés dans les villages côtiers, du personnel du parc et de touristes de passage, vit dans une pénurie chronique d’eau dont l’acquisition est à coût exorbitant eu égard aux ressources financières de cette population. Comme partout ailleurs, le développement de cette région est commandé par les possibilités de l’accès à l’eau qui se réalise soit par transport d’eau venant d’autres régions ou par dessalement de celle existante sur place (l'eau de mer ou une eau souterraine saumâtre). Le choix entre l’une ou l’autre de ces deux alternatives se base sur les critères essentiels que sont la pérennité de l’approvisionnement, le prix et la qualité de l’eau. La pratique de la desserte courante à travers les divers modes de ravitaillement en eau sur le littoral, ne fournit qu’une eau insuffisante, en quantité et en qualité, et chèrement payée. L’absence de ressources et l’inefficacité de ce ravitaillement incitent à la recherche de nouvelles ressources ou à l’utilisation de substituts permettant de pallier à la pénurie. Dans ce concert, la ressource en eau par dessalement de l’eau de mer est-il en mesure d’améliorer et de sécuriser cette desserte ?
Dans le dessalement sont utilisés plusieurs procédés dont les plus courants sont les procédés par distillation, l’osmose inverse et l’électrodialyse. La mise en œuvre d’un procédé, quel qu’il soit, est relativement coûteuse et nécessite d'importants investissements, tant pour la construction des installations que pour le fonctionnement, l’entretien et la maintenance surtout en situation de conditions naturelles agressives comme c’est le cas dans le contexte littoral mauritanien. Les procédés s’évertuent, partant d’eaux marines à saumâtres, d’éliminer la majeure partie de la composition secondaire (en éléments, impuretés dissoutes devenues permanentes dans l’eau) pour amoindrir la charge minérale qui doit se retrouver appropriée pour la consommation humaine.
Les caractéristiques de l’eau à dessaler sont déterminantes dans le choix du procédé à mettre en route, car l’adéquation de la technologie et le rendement en dépendent. Les eaux marines présentent les propriétés essentielles d’un pH compris entre 7,5 et 8,4 et d’une salinité importante, autrement d’une teneur globale élevée en sels (chlorures de sodium et de magnésium, sulfates, carbonates). La salinité moyenne des eaux des mers et océans est de 35 g.l-1 (27,2 g.l-1 de NaCl, 3,8 g.l-1 de MgCl2, 1,7 g.l-1 MgSO4, 1,26 g.l-1 CaSO4, 0,86 g.l-1 K2SO4). Les eaux saumâtres, moins chargées que l’eau de mer, correspondent à des eaux de surface, mais surtout à des eaux souterraines qui ont dissous divers sels lors de leur circulation sur différents terrains et au cours de la traversée des sols et présentent une minéralisation comprise entre 1 et 10 g.l-1. Leur composition dépend de la nature des sols traversés et de la vitesse de circulation dans les sols rencontrés. Les principaux sels dissous que renferment ces eaux, sont le CaCO3, le CaSO4, le MgCO3 et le NaCl. Selon la concentration des sels dans l’eau brute, entre autres paramètres, l’utilisation d’un procédé bien défini s’avérerait plus indiqué. Quel que soit le procédé de séparation du sel et de l'eau, l’unité de dessalement comportera les étapes essentielles d’une prise d'eau de mer (ou de forage d’eau saumâtre) avec une pompe et une filtration grossière, d’un pré-traitement par filtration fine et addition de composés biocides et de produits anti-tartes, du procédé de dessalement proprement dit et d’un post-traitement avec une éventuelle réminéralisation de l'eau produite. À la fin de ces étapes, l'eau de mer se retrouve adoucie et contient en général moins de 0,5 g.l-1 de sels, elle est alors rendue potable et utilisable pour diverses activités.
La première expérience de dessalement de l’eau de mer, connue dans le pays, est l’unité Maurelec, installée à Nouakchott en 1968 et utilisant un procédé par distillation. Cette unité d’une capacité de 3 000 m3/jour, a fonctionné jusqu’en 1974, puis a été abandonnée pour des raisons techniques, de coûts (coût de l’énergie consommée) et du fait de l’alternative d’approvisionnement offerte par la station de pompage d’eau d’Idini. Dix ans après l’arrêt de cette première expérience, de 1983 à nos jours, plusieurs autres expériences de dessalement ont été tentées, aussi encouragées par longue période de sécheresse des années 1970. Ainsi les populations de plusieurs villages Imraguens ont pu bénéficier d’une centaine de distillateurs individuels produisant quelques litres d’eau dessalée. Le village de Blawack s’est vu doté d’une unité de distillateurs à effet de serre (100 l/j). De même sur le site d’Iwik, une station de distillateurs solaires à cascades, d’une production de 200 à 400 l/j, a été installée. Mais, suite à la persistance d’une série de problèmes techniques et de maintenance, ces procédés par distillation ont progressivement tous été abandonnés. La génération des stations d’osmose inverse a alors pris le relais avec plusieurs réalisations au Guelb à Zouératt, à Mamghar, encore à Iwik, à Ten Alloul, Teichott, R’Gueibat, etc.
Si les procédés de distillation sont en fait la réplique à petite échelle du cycle de l’eau dans ses phases d’évaporation et de condensation, l'osmose inverse effectue elle une séparation sélective d’une solution aqueuse en ses différents constituants (solvant et éléments dissous). Cette séparation est effectuée par pression en instaurant une évolution qui va à contre sens de celle naturellement possible dans la solution. Ces deux procédés, dont les performances technologiques ont été prouvées dans le dessalement de l'eau de mer à travers le monde, sont aujourd'hui plus accessibles. Un aperçu succinct de leurs processus permettra de comprendre en quoi consiste le dessalement des eaux marines et saumâtres.
Dans les procédés de distillation, le principe est de chauffer l’eau brute pour en vaporiser une partie. La vapeur ainsi produite, dans son ascension, se débarrasse progressivement de toutes les particules lourdes, en particulier les sels et par la suite se condense pour donner de l'eau liquide moins chargée à douce. Ce développement est en fait une accélération du cycle naturel de l'eau au cours duquel l'eau s'évapore naturellement des masses d’eau, des océans et la vapeur d’eau qui s'accumule et se condense dans les nuages, finit par retomber sur terre par précipitation sous forme d'eau douce. Dans les processus de distillation, la répétition en chaîne de cette séparation améliore au fur et à mesure l’élimination des sels et l’adoucissement de l’eau. Aussi, la plupart de ces processus opèrent par étapes successives qui réalisent la distillation du distillat jusqu’à un degré où l’élimination des sels est maximale et optimale. L'énergie consommée est principalement l'énergie thermique à fournir à la chaudière et l'énergie électrique pour les pompes de circulation de l'eau de mer. Ces énergies sont considérables et constituent l'inconvénient majeur de ces procédés. La forte consommation d’énergie est due à la valeur élevée de la chaleur latente de vaporisation de l'eau dont la transformation d’un kilogramme d'eau liquide en eau vapeur à 100°C, nécessite environ 2 250 kilojoules. Afin de limiter cette consommation d'énergie, les procédés tentent de réutiliser l'énergie libérée lors de la condensation.
Le dessalement par osmose inverse est lui basé sur le phénomène contraire de l’osmose qui s’opère à chaque fois qu’il se réalise naturellement le transfert de solvant (eau dans la plupart des cas) à travers une membrane semi-perméable sous l'action d'un gradient de concentration. Aussi, au lieu d’avoir le transfert de solvant du compartiment de plus faible concentration à celui de plus forte concentration, l’osmose inverse, sous l’action d’une pression, institue l’évolution contraire. Plus cette pression est importante et plus ce transfert est favorisé. Le solvant eau va s’écouler en continu à travers une membrane dense sans porosité (véritable barrière aux éléments) qui, en agissant sélectivement, retient les particules à la fois dissoutes et en suspension contenues dans ce solvant. L’écoulement s’effectue tangentiellement à cette membrane qui laisse passer le solvant et arrête les ions : il y a séparation entre l’eau et les sels qu’elle renferme. Ce processus de séparation s’effectue en phase liquide par perméation sous l’effet d’un gradient de pression. Autrement dit, au cours du processus, l’eau est fortement pressée contre une membrane en polyamide dont les micropores ne laissent passer que les molécules d’eau et rien d’autres, pas même les microbes et virus. Suivant ce principe, des procédés sont mis en place pour débarrasser l’eau de mer de sa charge minérale : l’osmose inverse permet d’obtenir de l’eau déminéralisée. La pression osmotique étant proportionnelle à la concentration de la solution, l’énergie nécessaire à la sélection des éléments au niveau de la membrane augmente avec la quantité de sels dissous.
Illustrations extraites de Quelle eau boirons-nous demain ? Pierre Hubert & Michèle Marin, Phare Hachette, septembre 2001. À gauche : procédé de distillation. À droite : technologie membranaire |
En pratique l’osmose inverse est précédée d’un pré-traitement poussé de l'eau de mer pour en éliminer les matières en suspension dont le dépôt est préjudiciable à la membrane en entraînant à son niveau des chutes de débits de l’eau dessalée. Aussi, au cours du pré-traitement toute particule de dimension supérieure à 10 ou 50 µm, selon le type de module d'osmose inverse, doit être éliminée par une pré-filtration grossière et une filtration sur sable. Puis un traitement biocide et une acidification sont effectués pour annihiler tout développement de microorganismes sur la membrane et toute précipitation de carbonates. Enfin une filtration sur cartouches permet de retenir les particules de plus petite taille qui n'ont pas été retenues par le filtre à sable. Une pompe haute pression permet ensuite d'injecter l'eau de mer prétraitée dans le module d'osmose inverse dans lequel se trouve la membrane sélective qui réalise la séparation en eau quasi-exempte de sels minéraux (eau dessalée ou perméat) et en eau hypersalée (solution salée ou rétentat). Avec le temps, la concentration de cette dernière solution augmente avec la rétention des molécules du côté aval de la circulation de l’eau à travers la membrane. Cette rétention entraîne à son tour l’augmentation de la pression osmotique près de la couche limite, avec des risques de précipitation des composés à faible produit de solubilité. Au fur et à mesure qu’évolue ce phénomène, pour un même rendement, la pression à appliquer devient plus élevée, ce qui entraîne plus de consommation d’énergie. Pour pallier à cet inconvénient, la membrane est décapée continûment du côté de la solution salée par un flux d'eau continu. Aussi, toute l'eau qui arrive au niveau du module d’osmose inverse n'est pas filtrée, une partie est utilisée pour nettoyer la membrane et ainsi empêcher le développement des phénomènes de colmatage des pores. Afin de limiter la consommation d'énergie du procédé, on peut placer dans le circuit du rétentat une turbine qui permet de récupérer une partie de l'énergie contenue dans ce fluide sous haute pression.
L’osmose inverse, avec l’inconvénient de l’accumulation de la solution salée au niveau de la membrane, a été d’abord destinée aux eaux saumâtres de salinité inférieure à 10 g.l-1. Actuellement le procédé est appliqué aux eaux marines aussi bien pour la production à grande échelle (300 000 m3) que pour des quantités domestiques (300 litres) ou des exploitations agricoles individuelles. Le procédé présente des avantages d’opérer en conditions modérées de fonctionnement à température ambiante, d’où une économie d’énergie, de permettre des séparations plus poussées, basées sur les dimensions moléculaires et non pas sur les propriétés chimiques et de ne pas employer des produits chimiques. L’osmose inverse a supplanté progressivement les procédés par distillation dans les essais de dessalement sur le littoral mauritanien. Cependant pour des raisons surtout de maintenance et d’entretien, la plupart des unités existantes ne sont pas fonctionnelles ou ne le sont que de manière très épisodique.
Le recours au dessalement de l’eau de mer se justifie à plus d’un titre pour plusieurs raisons. Les plus parlantes parmi celles-ci, sont la disponibilité de la ressource primaire et du potentiel énergétique, l’adaptabilité et la flexibilité des techniques et l'obtention d’une eau sûrement moins chère et de meilleure qualité par rapport aux eaux de la desserte existante dans les petites localités, tous modes de ravitaillement confondus. Pour ce faire, analysons le cas de la production d’eau dessalée à Mamghar. La station de dessalement dans ce village a une capacité de 10 m3 avec une production effective de 1 à 2 m3/jour d’eau pour un fonctionnement de 8 à 12 heures avec une consommation de 32 litres de gasoil. L’eau traitée est extraite d’un puits de 40 m de profondeur situé sur la plage à proximité de la mer. Cette eau a une minéralisation qui tourne autour de 60 g.l-1, relativement élevée par rapport celle de la mer. Cette forte salinité est due principalement au séjour et aux interactions de l’eau de mer dans le contexte sédimentaire côtier de dépôts renfermant une proportion importante de sels résiduels d’évaporites, notamment la halite (sel de mer : NaCl), qui sont redissous par l’eau qui acquiert alors une minéralisation plus importante. Le profil de cette salinité pose un problème de choix entre l’eau de mer et celle de la nappe souterraine. La première est altérée par une charge importante en matière organique due à la dégradation et la décomposition d’une flore marine abondante de zooplancton et d’une présence de micro-organismes divers et la seconde par une charge minérale relativement élevée. Elles apparaissent donc toutes deux en l’état, inappropriées pour le traitement d’osmose inverse et en plus engendrent des contraintes pour la membrane.
Le traitement mis en œuvre par osmose inverse déminéralise effectivement l’eau traitée à un taux d’élimination de 98 % pour la minéralisation qui se retrouve adoucie jusqu’à 1,2 g.l-1. Pour les espèces ioniques, ce taux, en moyenne de 97,4 %, doit être considéré pour chaque élément pour déterminer si effectivement la teneur, après le traitement, requiert bien la condition de potabilité. Les résultats d’analyses des éléments essentiels de la composition chimique de l’eau dessalée indiquent que cette condition est en général requise exception faite pour le sodium, les chlorures et la minéralisation totale dont les valeurs respectives de 330 et 373 mg.l-1 et 1,2 g.l-1, restent encore supérieures à celles de la limite de potabilité. Cet écart à la potabilité pour ces caractéristiques, est le reflet de l’eau brute trop chargée pour le processus car les membranes d’osmose inverse sont conçues pour traiter des eaux de salinités inférieures à voisines de celles de l’eau de mer à 35 g.l-1. Or l’eau brute, traitée à Mamghar, en est bien supérieure de l’ordre de 70 %. Ce qui crée une tension supplémentaire sur la membrane dont le comportement vis-à-vis de cette eau, conduit vraisemblablement à plus d’accumulation de la solution salée entraînant une filtration médiocre, une charge minérale résiduelle encore importante après traitement et une diminution de la durée de fonctionnement de la membrane trop sollicitée.
Une amélioration de la qualité physico-chimique de l’eau dessalée, passe nécessairement par l’utilisation d’une eau brute "appropriée", c’est-à-dire de salinité en adéquation avec les aptitudes de la membrane d’osmose inverse. Dans la situation actuelle de la station de Mamghar, tant que l’alimentation de l’unité est assurée par l’eau provenant du puits et tant que l’on continue d’utiliser des membranes normalisées à la salinité de l’eau de mer, des dépassements de la minéralisation et des teneurs en sodium et en chlorures subsisteront fréquemment après le traitement. De ce fait, pour contourner l’effet de la salinité, l’eau doit être prélevée directement à la mer ou dans un puits dont la salinité est comparable à celle de l’eau de mer ou sinon trouver une membrane s’accommodant avec la forte salinité de l’eau brute actuellement utilisée. Dans la première option, la phase de pré-traitement s’avère d’une importance capitale et doit être adaptée pour éliminer de manière efficiente les matières en suspension et décimer une éventuelle population de micro-organismes. Dans la deuxième option, la réalisation d’un forage productif d’eaux saumâtres à la limite marines dont les variations de salinité sont peu conséquentes, serait indiquée. Outre la qualité, l’autre facteur important est le coût de la production. À travers le monde, le prix du m3 d’eau dessalée varie actuellement entre 0,5 et 2 euros (soit approximativement entre 200 et 800 UM) qui reste très abordable par rapport au 700 UM / fût de 200 litres soit 3 500 UM le m3. Malgré sa valeur élevée, il apparaît comme une aubaine car il est 2 à 3 fois moins cher que celui pratiqué par le ravitaillement privé. Le coût de l’eau dessalée peut être amélioré davantage par une véritable politique de dessalement prenant en compte les attentes de la population et l’utilisation du potentiel énergétique solaire et éolienne. Selon une étude de l’Institut technologique des Canaries, sur l’impact de l’utilisation des énergies renouvelables dans le dessalement, l’énergie éolienne permet de réduire le prix de l’eau dessalée de 30 % ou plus. En agissant à d’autres niveaux de la production, l’amélioration de la desserte par l’eau dessalée dans le littoral, peut être appréciable. .