Nouakchott vers la privatisation de l’eau

 

L’Aftout es-Sahéli, l’immense projet d’adduction d’eau viendra bientôt sécuriser l’approvisionnement en eau de Nouakchott. En parallèle, l’Etat de Mauritanie a engagé la privatisation du secteur de l’eau. Un programme, pour les eaux urbaines, mené en concertation avec la Banque mondiale. L’interview du Dr Ely Ould Ahmedou, Ministre de l’hydraulique.

propos recueillis par Martine LE BEC

magazine CONTINENTAL n° 45 – mars 2006
H2o – mars 2006

 

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Le Dr Ely Ould Ahmedou était auparavant Chef de projet du projet PADEL, de gestion des parcours et de développement de l’élevage en Mauritanie, démarré en 2002 et soutenu par le Fonds africain de développement et le Fonds de l’OPEP.
Photo Martine Le Bec – février 2006
 

 

 

L’Hydraulique dispose depuis le 10 août dernier d’un ministère en propre, qu’est-ce qui a motivé cette attention particulière du gouvernement transitoire de la République islamique de Mauritanie ?

Cette décision de créer un ministère entièrement dédié à l’Hydraulique s’est faite aux vues des besoins immenses que présente le secteur. Historiquement, avant de devenir l’affaire d’un ministère à part entière, l’Hydraulique n’était qu’un service, puis une direction, successivement attachée à l’Equipement, puis à l’Energie et à l’Environnement et au Développement durable. Il s’agissait donc d’accorder au secteur l’importance qu’il mérite en le dotant d’une structure apte à relever les défis qui se posent.


Quels sont les divers organismes et directions attachés au Ministère ?

D’abord la Direction de l’hydraulique et de l’assainissement qui sera très bientôt séparée en deux entités distinctes. Mais sont aussi rattachés au Ministère, le Centre national des ressources en eau (CNRE), la Société nationale des forages et puits (SNFP) et la SNDE, Société nationale de l’eau, en charge de la distribution dans les agglomérations de plus de 5 000 habitants et qui emploie aux environs de 1 000 personnes, toutes catégories confondues. Le Ministère assure aussi le suivi des activités de l’Agence nationale d’eau potable et d’assainissement (ANEPA), qui est une association déclarée d’utilité publique, regroupant les maires, agriculteurs, éleveurs, ONG, etc. et à laquelle l’Etat a délégué la gestion de l’eau en milieu rural et dans les petites agglomérations.


Quel est aujourd’hui "l’état de l’eau" en Mauritanie ?

Les taux d’accès s’établissent en milieu rural à 49 % pour l’eau potable – il s’agit essentiellement de puits et au meilleur des cas de forages qui se prolongent par un mini réseau d’adduction – et 20 % pour l’assainissement. En milieu urbain, environ 30 % de la population disposent d’un branchement privé au réseau d’adduction et 45 % d’un assainissement – s’agissant encore ici d’un assainissement individuel puisque le réseau collectif n’a été réalisé que dans quelques quartiers de Nouakchott et de Nouhadibou, couvrant à peine 3 ou 4 % de la population.


Que représente dans ce contexte la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement – qui préconisent la réduction de moitié d’ici 2015 de la proportion de gens n’ayant aucun accès à l’eau et à l’assainissement ?

En matière d’accès à l’eau, ces objectifs équivalent à fournir 600 000 personnes supplémentaires en milieu rural et 500 000 en milieu urbain, ce qui représente pour la période 2006-2015 un investissement annuel de l’ordre de 3,3 milliards d’ouguiyas, soit un peu plus de 10 millions d’euros par an, auquel il faudrait encore ajouter 1,4 milliard d’ouguiyas, soit 4,40 millions d’euros par an pour le volet assainissement.


Soit au total près de 150 millions d’euros pour la période 2006-2015. Le gouvernement précédent avait adopté en 1998 une déclaration politique en faveur des secteurs de l’eau et de l’énergie. Un code de l’eau a aussi été mis en place début 2005. Est-ce que le gouvernement actuel, de transition, adhère aux objectifs définis et quels sont les moyens mis en œuvre ?

La déclaration de 1998, réalisée dans le cadre stratégique de lutte contre la pauvreté, demeure évidemment valable, ainsi que le code de l’eau qui énumère un certain nombre de principes : sur le régime des eaux, la protection de la ressource, les prélèvements, la gestion intégrée. Il prévoit aussi la création d’un Conseil national de l’eau, réunissant l’Etat, les collectivités et les usagers ainsi que d’une Police de l’eau. Enfin, il inclut des dispositions en faveur du financement du secteur et encourage les partenariats public-privé (PPP) et le désengagement des administrations des taches opérationnelles. Cette politique a d’ores et déjà été entamée en zone rurale, par l’ANEPA qui a favorisé la mise en place de petits réseaux privés assurant les opérations d’exploitation, de distribution et de maintenance. Elle doit aujourd’hui être initiée en zone urbaine. Un certain nombre d’études ont été engagées afin de définir les options optimales d’un partenariat public-privé en matière d’hydraulique urbaine. Ces études ont d’ores et déjà été transmises à la Banque mondiale en vue d’obtenir les premières facilités de préparation du programme (PPF – Project Preparation Facility).


Un calendrier a-t-il été arrêté ?

Absolument puisque nous prévoyons la mise en place du programme eau et assainissement de Nouakchott d’ici 2009 et la couverture des autres grandes agglomérations – au nombre de 17, d’ici à 2015. À Nouakchott, une centaine de kilomètres de réseau devrait très prochainement être achevée. Nous allons aussi mettre en exploitation 4 nouveaux forages avec une station intermédiaire. Parallèlement, nous remettons à l’étude des projets de dessalement d’eau de mer, nous allons à cet effet recruter un bureau d’étude, dans la perspective de l’implantation d’une première unité d’ici 2007. L’enjeu est de limiter la pénurie et donc la spéculation sur le prix de l’eau.


La capitale espère bientôt trouver son salut dans le fleuve Sénégal. Comment le projet Aftout es-Sahéli s’est-il monté ? Quelles ont été / ou seront les principales difficultés à surmonter ?

Le projet Aftout es-Sahéli permettra effectivement de sécuriser à long terme l’approvisionnement en eau de la capitale jusqu’à ce jour complètement dépendante de la nappe d’Idini. Dorénavant Nouakchott sera approvisionnée par le fleuve Sénégal, grâce à une canalisation de près de 200 kilomètres, construite le long de la lagune d’Aftout es-Sahéli. Il s’agit du plus grand projet jamais entrepris en Mauritanie. Techniquement, sa principale difficulté résidait dans les besoins en énergie requis, très importants eu égard au trajet et aux débits prévus : 170 000 m3/jour extensible à 225 000 m3. Le montage financier a été bouclé en juin 2004 pour un montant global de 220 millions de dollars auquel participent le Fonds arabe de développement économique et social, le Fonds koweïtien de développement, le Fonds saoudien de développement, la Banque africaine de développement et la Banque islamique de développement.


Qu’en est-il de l’avancement du projet ?

Les lots ont été définis et nous avons aussi achevé la présélection des entreprises admises à soumissionner. Les dossiers d’appel d’offres ont parallèlement été envoyés aux bailleurs de fonds qui devraient donner leur accord d’ici fin février.


Vos relations avec les bailleurs de fonds ont-elles été affectées par le coup d’État du 3 août dernier ?

Non absolument pas, que se soit au niveau du projet Aftout es-Sahéli ou du programme d’hydraulique urbaine, les dossiers ont jusqu’à présent suivi leur cours de manière normale. .