Bakari Mohamed SÉMÉGA
quotidien HORIZON 10-11-2006
H2o – janvier 2007
Dans les capitales et les grandes villes des pays en voie de développement, la disparité importante des modes et des cadres de vie, dénote du caractère anarchique et du laisser aller que connaît l’évolution de ces cités. Plusieurs facteurs qui n’ont jamais pu être maîtrisés, y ont contribué fortement : l’explosion démographique, l’urbanisation accélérée et non contrôlée, l’exode rural massif, la sécheresse persistante... et, en définitive, l'évidente insuffisance des moyens à disposition. Les villes en question ne disposent que rarement du 'minimum requis' pour assurer un développement harmonieux des différents secteurs essentiels.
La ville de Nouakchott, à l’instar de ses homologues, vit depuis sa création une explosion démographique et une escalade urbaine spectaculaires qui ont engendré, entre autres, toujours plus de consommation d’eau potable générant à son tour une production intense d’eaux usées. Une situation d’insalubrité permanente, due à l’absence d’infrastructures d’assainissement liquide, s’est installée progressivement. Les eaux usées, toutes natures confondues, se posent alors comme une problématique dont les tentatives de résolution relèvent toujours plus du ressort individuel, par l’utilisation de système d’assainissement autonome, que d’une prise en main structurée et planifiée. Dans cemouvement de développement urbain, la sédentarisation, l’urbanisation, la consommation d’eau et par conséquent la production d’eaux usées ont évolué de manière très liée. Plus on consomme de l’eau et plus importante est la quantité d’eaux usées produites. Une estimation sommaire de cette production doit passer en revue le taux de rejets des différentes utilisations courantes dans les activités quotidiennes. Certaines en produisent peu et d’autres, énormément. Les deux situations extrêmes peuvent être représentées par les fabriques de glace et les briqueteries d’une part, et le niveau familial et domestique, d’autre part. Pour la première classe, seule une infime partie des eaux utilisées, arrive au stade d’eaux usées alors que pour la seconde, la situation est inversée.
Les quantités ‘impropres d’eaux à rejeter après usage’, peuvent être estimées entre 20 et 80 % de la consommation globale d’eau, la moyenne étant de l’ordre de 60 %. Cette estimation, en l’absence de données de terrain (nécessaires à l’appréciation réelle de la problématique des eaux usées à Nouakchott), permet de fixer les idées sur la production journalière d’eaux usées. Posons nous la question : à savoir si la ville consomme 50 000 m3 d’eau par jour, elle produirait aussi, suivant ce schéma simpliste, 30 000 m3 d’eaux usées, où passent toutes ces quantités ? Nous ne semblons pas avoir une idée de leur destination ou de leurs multiples destinations. Comme rien ou pratiquement rien n’est prévu pour une destination sûre, ces eaux, si elles devraient se retrouver dans la rue, la ville de Nouakchott en serait aujourd’hui inondée. C’est dire combien, elle est grave cette situation ! Surtout que les eaux usées ne sont pas sans danger, tout au contraire, elles sont pernicieuses et potentiellement porteuses de maladies diverses que leur dispersion dans la nature augmente la prévalence et l’acuité. La préoccupation majeure est d’annuler, sinon d’amoindrir, les impacts négatifs des eaux usées par la création de conditions de gîte et de traitement adéquates. L’étape primaire est d’assurer leur évacuation qui est aujourd’hui un sérieux casse-tête dont la résolution serait un gigantesque pas dans la garantie d’un cadre de vie salubre.
Les eaux usées, ce sont toutes ces eaux préalablement destinées à une utilisation donnée et qui, après avoir servi, se retrouvent avec une contamination, si légère puisse-t-elle être. Elles sont devenues impropres et renferment des matériaux solides divers, grossiers à fins, des matières organiques, des polluants chimiques, des micro-organismes, des agents pathogènes, des coliformes, germes, virus, bactéries, parasites, etc., qui altèrent fondamentalement les propriétés initiales et leur confèrent des effets néfastes à toxiques tant pour l’environnement humain que physique. Malgré cette charge polluante élevée, les procédés de recyclage par traitements primaires à quaternaires, peuvent atteindre des taux d'épuration importants et même obtenir de l'eau potable destinée à la consommation humaine. La dépollution des eaux usées, ressources dépréciées et sources de maladies et d’impacts néfastes, permet entre autres, de les recycler et valoriser, d’assainir l’environnement physique par la diminution voire la cessation des rejets aléatoires et de contribuer à lutter contre les pénuries d’eau par leurs réutilisations dans l’irrigation, la construction et la réfection des routes, la construction des bâtiments, le tannage du cuir, etc. En plus, le recyclage des eaux usées a le mérite de les éliminer de la manière la plus sûre et la plus propre et de mettre en place un cadre de contrôle et de maîtrise de leurs incidences et donc de protéger l’environnement et préserver la santé publique.
Les eaux usées urbaines très nombreuses en genre, se répartissent globalement selon l’origine en rejets domestiques et annexes, rejets des industries et des hôpitaux et eaux pluviales. Les premiers qui regroupent les eaux de ménage, de lessive et d’activités diverses, sont déversées dans la plupart des cas dans la nature, sur les voies publiques et les espaces libres et les eaux de ‘latrines’, collectées dans des puits perdus (creusés à même dans la rue ou dans la concession) ou évacuées dans le réseau urbain. Les seconds correspondant aux eaux de lavage, de vidange de chaudière et de traitement des produits industriels et aussi aux eaux de traitements sanitaires des centres de santé, sont soit accumulées en général dans des fosses de réserve ou soit évacuées exceptionnellement dans le réseau urbain de collecte, lorsque celui-ci existe dans la zone de l’industrie ou de l’hôpital. Les eaux de pluies, en cas d’orage, on les rencontre partout. Leur destination, c’est toute la ville. Elles inondent par-ci et par-là, les espaces libres, les voies publiques et les maisons dans les zones basses et stagnent longtemps, très longtemps. Elles sont livrées à elles-mêmes, laissées à l’infiltration et à l’évaporation qui se chargent de les ‘assainir’ avec le temps, un jour, une semaine, un mois et peut être plus.
Pour accueillir ces diverses eaux usées, il n’existe pour toute l’agglomération de Nouakchott, qu’un ‘micro-réseau’ de collecte desservant une partie minuscule de la ville alors qu’il doit répondre à une forte demande d’assainissement. Ce réseau se compose d’une ancienne tranche de 38 km, réalisée entre 1960 et 1965 lors de la fondation de la ville et d’une seconde, une extension de 31 km, construite entre 1981 et 1984 et toujours pas fonctionnelle, alors que l’impérieuse nécessité est là. Même avec cette tranche et encore d’autres extensions, si elles ne couvrent pas l’intégralité de la ville, on est pas sorti du tunnel. Actuellement, que représentent les 900 et même les 2 000 m3/jour que peut traiter la station, devant l’énorme masse d’eaux usées produites. Rien, vraiment rien ! Les eaux usées sont donc quelque part, bien ou mal loties. Certaines sont dans des fosses de réserve ou de stockage, dans des puits perdus ou dans d’autres ouvrages du système d’assainissement autonome (individuel) et d’autres reparties dans la nature sous forme évaporée dans l’atmosphère ou infiltrée dans le sous-sol. La fraction infiltrée pénètre en profondeur jusqu’aux eaux souterraines, aidée en cela par la perméabilité des terrains sableux à sablo-argileux et par la proximité de la nappe souterraine. Cette dernière affleure par endroits ou est en communication directe avec les ouvrages d’assainissement individuel, les fosses sceptiques et les fosses de vidange enfouies des éboueurs. Les eaux souterraines peuvent-elles être, dans ces conditions, préservées de la pollution qui leur arrive de partout et par divers canaux ?
Cette pollution, du fait du contact direct de la nappe avec les eaux usées, peut revêtir toutes les formes physico-chimiques et bactériologiques. Par ‘chance’ ou par ‘répit’ si l’on peut parler ainsi, le milieu récepteur étant relativement salé (la nappe souterraine à l’endroit de Nouakchott) et exerçant un stress chimique auquel très peu de bactéries savent résister, la survie et le développement des micro-organismes et des bactéries deviennent assez sélectifs. Ce facteur constitue en soi un paramètre d’épuration naturelle du milieu qui retarde tant soit peu la généralisation de la pollution microbienne. Cependant dans la situation actuelle, si l’on estime qu’au moins le tiers des eaux usées revient par infiltration à la nappe dont 50 000 m3 d’‘eaux propres’ en sont extraites chaque jour pour l’alimentation de la ville, quelques 10 000 m3 d’eaux polluées les remplacent. Ainsi, la nappe se pollue progressivement d’une ampleur qui dépend du pouvoir auto épurateur du milieu. Tant que ce pouvoir reste prédominant, la pollution sera résorbée et l’incidence des eaux usées sur la qualité de la nappe, restera diffuse. Mais, tant que la gestion des eaux usées reste insouciante et à long terme, la pollution finira par s’installer véritablement. Alors qu’actuellement primaire, elle ne se localiserait que sur la frange salée de la nappe sous la ville de Nouakchott, sa diffusion, sous l’influence du gradient hydraulique favorable aux écoulements vers l’intérieur des terres, parviendra un jour à la nappe douce. En outre en milieu confiné, les effets de la pollution ne sont pas immédiats et peuvent prendre des années à se manifester. Mais compte tenu de l'inertie des nappes, le retour à la qualité d'origine nécessite plusieurs années ou décennies et peut parfois s'avérer irréversible.
Lorsque nous sommes en présence des eaux usées, des eaux usées ‘propres’, celles que nous cohabitons dans notre quotidien, les eaux de ménage, l’attitude primaire est la méfiance que nous adoptons et la répulsion que nous ressentons. Ces eaux, elles ne nous inspirent pas confiance et confiance ne peut être là, car de l’aspect, à la couleur, à la composition visible, rien n’inspire confiance. Nous sommes en train de penser tacitement aux risques qu’elles présentent pour nous. Pourtant, certains s’en méfient et d’autres pas du tout ! Aux eaux usées ‘repoussantes’, nous ne répondons plus que par la répugnance, à tort ou à raison. C’est plus que raisonnable car elles nous réservent plus que nous ne pouvons imagier de risques de tout genre. En effet, les eaux usées présentent pour l’environnement humain et physique divers impacts négatifs, des risques intrinsèques et aussi d’autres associés aux devenirs dans les gîtes et leurs évolutions. À Nouakchott, les eaux usées se retrouvent principalement dans les situations suivantes :
Nous pouvons réaliser que ces devenirs qui indiquent différentes approches de gestions plus ou moins personnalisées des eaux usées, ne garantissent nullement le minimum de sécurité de la population contre leurs incidences négatives et de préservation de la nature contre la dégradation induite par leurs effets. Cet examen des eaux usées, corrélativement à la destination, fait ressortir les effets qu’elles sont susceptibles d’entraîner dans le milieu. Dans l’inventaire des risques, on en identifie plusieurs qui vont des plus immédiats dont les effets et actions sont perceptibles de manière directe aux plus diffus dont les répercutions s’expriment à long terme, en passant par les effets qui s’opèrent de manière progressive. La manipulation, la cohabitation ou le contact de ces eaux, mêmes épurées par des traitements primaires à tertiaires, présentent toujours des risques sanitaires importants. En effet, même après traitement, les eaux usées peuvent renfermer encore une certaine pollution chimique résiduelle et des colonies d’agents pathogènes, bactéries, virus et autres micro-organismes responsables de diverses maladies.
Rejetées dans la nature ou exposées à l’air libre, les eaux domestiques et annexes forment des foyers de prolifération et de développement de vecteurs de maladies (mouches, moustiques, insectes, etc.). De ce fait, elles peuvent être des relais de transmission d’épidémies de maladies hydriques. Et encore par chance, dans la zone de Nouakchott, les terrains étant à dominante sableuse, donc très absorbants et l’évaporation considérable due à l’action d’une intense insolation et à la sécheresse de l’atmosphère, le temps de séjour à l’air libre des eaux domestiques, surtout lorsqu’elles sont peu denses, peut être relativement faible et les impacts, n’ayant pas suffisamment de temps pour agir, peuvent se trouver souvent minimisés. Cette chance ne se présente malheureusement que pour les eaux usées que nous pouvons définir comme ‘propres’ en raison de leur charge polluante faible et d’un état de décomposition et de putréfaction primaire à moindre. Globalement les eaux usées manifestent toujours un cortège d’incommodités.
Dans le bassin de stockage, les effets des eaux usées peuvent être minimes si l’ouvrage est bien étanche ou être très accentués, plus que pour le rejet à même le sol, lorsque l’ouvrage est à ciel ouvert ou peu hermétique. Dans cette dernière situation, avec le temps, l’accumulation et l’état avancé de décomposition et de putréfaction rendent les eaux usées plus agressives. Les eaux usées dans les puits perdus et homologues manifestent plus des incidences internes sur le milieu physique qu’externes sur le cadre humain, sauf dans les cas où l’ouvrage est détruit ou colmaté par saturation du système de filtration naturelle des terrains du sous-sol. Dans ces cas, il y a débordements externes avec tout ce que cela comporte comme conséquences, analogues à pires de celles des rejets directs. Une situation semblable est observée avec le réseau de collecte lors des déferlements assez fréquents et souvent de grande ampleur sur les voies publiques. Les quartiers concernés se trouvent dans des conditions d’insalubrité excessive qui se caractérisent par des odeurs nauséabondes et par la prolifération de vecteurs de maladies, mouches, moustiques, etc.. Les personnes qui vivent ou exercent aux environs des débordements et qui cohabitent pendant plusieurs jours avec les eaux usées, peuvent développer des insuffisances, des infestions et des maladies provoquées par leurs incidences négatives. Pour les eaux pluviales, nous retrouvons des incidences similaires à ceux des débordements externes. D’autre part, du fait de leur longue stagnation en état de contamination avancée avec une charge polluante qui ne fait qu’augmenter de jour en jour, ces eaux deviennent encore plus agressives.
Au stade actuel, il devient urgent de mettre en route la solution qui semble aujourd’hui la plus adéquate et la plus appropriée pour l’assainissement liquide à Nouakchott : le réseau urbain des eaux usées et leurs traitements. En pratique, l’ampleur des travaux à réaliser à cette fin, étant grande, la durée nécessaire à la mise en place des infrastructures, sera longue à l’échelle de plusieurs années voire des dizaines d’années. Entre temps, aucune solution de rechange ne pourrait assurer le substitut et la situation déjà alarmante aura largement empirée. Ceci en sera d’autant qu’avec l’avènement prochain de l’autosuffisance en eau que devrait apporter la desserte en eau potable par le fleuve – le projet Aftout El Sahéli – la production des eaux usées sera encore davantage plus accrue car les habitudes d’utilisation d’eau vont accuser le coup. Si jusqu’alors, la nature et les moyens de recours primaire nous ont aidé à contenir ces eaux, naturellement incommodes, difficilement cohabitables, il ne pourra pas en être éternellement ainsi, surtout si les quantités de ces eaux deviennent de plus en plus débordantes ! Il est donc urgent d’agir et nous devons agir. Le temps ne peut plus nous donner plus de temps ! .