Bakari Mohamed SÉMÉGA
quotidien HORIZON 22-12-2005
H2o – janvier 2007
Dans le contexte de Nouakchott, caractérisé par une pluviométrie faible et limitée dans le temps et l’absence de ressources superficielles mobilisables pour fournir de manière adéquate de l’eau à l'agriculture qui en requiert beaucoup, la réutilisation des eaux usées se présente comme une réelle opportunité. D’autre part, avec l'accroissement de la population générant plus de consommation en eau, plus de production d’eaux usées et plus de besoins alimentaires en légumes et autres produits maraîchers, la réutilisation dans l’irrigation maraîchère urbaine de Sebkha constituait une approche réaliste. Initiée dans les années 1960, elle trouvait sa raison d’être dans la conjoncture de l’émergence et du développement de l’agriculture urbaine, alternative à la sécurité alimentaire urbaine, mais surtout à la reconversion professionnelle des ruraux. Elle avait pour effet d’atténuer le déficit en eau, de pourvoir les besoins de plus en plus croissants en eau d’irrigation, d’accroître les productions agricoles et de constituer un outil d’assainissement du cadre physique. Cet usage des eaux usées dépolluées permettait de résorber une main-d’œuvre importante due à l’impulsion de l’exode, donc de créer des emplois pour une frange importante de la population rurale attirée par la ville.
La réutilisation agricole comme toute autre utilisation des effluents, s’appuie nécessairement sur la qualité chimique et microbiologique de l’eau traitée qui doit être en adéquation avec l’usage présumé. Cette qualité est donc une donnée importante car elle permet l’évaluation de l’impact sanitaire et environnemental lié à la réutilisation. Quelque soit le traitement mis en route et ayant pour objectif de produire un effluent approprié et acceptable du point de vue du risque pour la santé humaine et l’environnement, une certaine pollution résiduelle des eaux dépolluées subsistera et s’accompagnera de risques sanitaires. Aussi, l’évaluation de ces risques nécessite une bonne connaissance des caractéristiques quantitatives et qualitatives de la charge véhiculée par ces eaux.
Les eaux usées dépolluées constituent une ressource intéressante tant dans l’utilisation que pour le rôle et la place qu’elles jouent et occupent dans l’atténuation de la problématique du déficit d’eau. Pour remplir ces objectifs, elles doivent être appropriées à l’usage auquel elles sont destinées. Autrement leur qualité globale doit être en adéquation avec cette fin. De ce fait, la détermination systématique des éléments qui concourent à l’établissement de leur qualité est une exigence de contrôle et de quiétude. Pour les eaux de la station d’épuration de Nouakchott, quelques paramètres physico-chimiques sont caractérisés à travers des profils d’épuration. Ces derniers indiquent que le traitement mis en œuvre, clarifie les eaux usées, en en éliminant une part importante (plus de 90 %) des éléments qui contribuent à la turbidité et à la charge organique alors que les éléments dissous rentrant dans la minéralisation, ne sont épurés qu’à hauteur de 30 %. Cette élimination étant faible et si les eaux usées brutes renferment des métaux lourds à des concentrations élevées (dont la présence entraîne l’intoxication de certaines cultures sensibles), les effluents se retrouveront encore avec des quantités résiduelles notables et non appropriées pour l’usage agricole. Les eaux usées traitées restrictives à cause du doute sur la présence ou pas de certains éléments, ont un champ d’usages limité et ne peuvent être destinées que pour l’irrigation de cultures s’accommodant avec des conditions austères. Pour étayer davantage l’adéquation à l’usage maraîcher, la portée de la qualité chimique doit être nécessairement complétée par celle microbiologique, encore plus déterminante dans l’aptitude d’utilisation. Aussi plusieurs paramètres bactériologiques, fréquemment rencontrés dans ce type d’eaux, sont examinés. La pollution très importante à l’entrée du circuit de traitement, en ressort relativement minimisée. Le traitement paraît efficace pour l’élimination de la plupart des micro-organismes dont le taux d’épuration est supérieur à 90 %, exception faite des germes fécaux (streptocoques à 23 % et coliformes à 80 % d’extinction).
Après cette épuration, malgré la forte extinction de la charge polluante, il subsiste toujours dans les eaux traitées, une population considérable d’indicateurs fécaux : 3 200 coliformes fécaux, 4 700 coliformes totaux et 3 200 streptocoques fécaux. Toutes ces valeurs, très supérieures à la limite OMS de 1 000 CF/100 ml pour les eaux dépolluées destinées à l’agriculture maraîchère, indiquent que les eaux restent biologiquement polluées et sont inappropriées pour cet usage. D’autre part, l’absence de caractérisation des salmonelles dans ces eaux (bactéries courantes et responsable de la fièvre typhoïde et para-typhoïde), n’assure pas sur la qualité appropriée pour l’utilisation agricole.
Aussi, si la chloration qui est le traitement d’appoint pour décimer la population résiduelle de bactéries, n’est pas effectuée ou n’est pas efficiente, les eaux dépolluées présenteraient davantage de risque sanitaire et surtout si des précautions strictes de protection ne sont pas adoptées par les utilisateurs courants. Les eaux usées dépolluées de Nouakchott sont de qualités qui ne remplissent pas toujours les conditions requises pour leur utilisation en irrigation agricole urbaine, surtout si celle-ci est destinée indifféremment à toute culture maraîchère. La qualité physico-chimique et microbiologique est insuffisante et l’absence d’informations sur des éléments potentiellement toxiques comme les métaux lourds et des micro-organismes pathogènes fréquemment présents dans les eaux usées brutes et épurées comme les salmonelles, aggrave cette qualité. Le profil de cette dernière ne milite nullement pour l’utilisation en irrigation. Les eaux épurées comportent toujours un certain taux de contamination qui le rend contagieuses des cultures sensibles dont les produits contaminent à leur tour, par effet de chaîne, les consommateurs.
À Nouakchott, l’agriculture urbaine associée à la réutilisation des eaux usées, soufre de manque d’eau et de plusieurs contraintes. La réutilisation ne bénéficie d’aucune prise en main effective : absence de cadres intégré et législatif, de gestion appropriée et méconnaissance des incidences des eaux usées et des précautions minimales de protection. Aucune mesure d’atténuation du problème fondamental du manque d’eau, n’est prise d’une part, pour une incitation au développement de cette agriculture de subsistance dont la production constitue un appoint important dans la sécurité alimentaire de la capitale et d’autre part pour annihiler la tentation des maraîchers d’utiliser des eaux usées non traitées et d’autres non appropriées qui augmentent les risques sanitaires encourus dans les jardins. Pour pallier à ce manque d’eau d’irrigation, les maraîchers en plus de l’apport des eaux usées dépolluées de la station, s’assurent le complément à travers l’aménagement de puits, difficilement exploitables dans les jardins maraîchers et l’utilisation pour l'arboriculture des eaux usées brutes payées auprès des camions citernes vidangeurs des fosses domestiques et qui sont aussi utilisées pour l’horticulture sur les axes routiers de la ville. Alors que les eaux dépolluées comportent divers risques à la fois pour l’utilisateur, les cultures et leurs produits et les consommateurs, les eaux usées brutes en provoquent davantage, car concentrées en éléments responsables d’incidences négatives. Leurs dangers sont d’autant plus importants que leur séjour dans les fosses de réserve est plus long et leur état de décomposition plus avancé.
Les eaux usées traitées et utilisées dans les jardins maraîchers de Sebkha, bien que constituant un réel apport complémentaire en eau, restent des sources potentielles de transmission et d’action pour de nombreux agents pathogènes (virus, bactéries, parasites). Les risques qui leur sont associés et les maladies observées constituent une problématique de santé publique. D’autre part, leur insuffisance quantitative et qualitative ne permet pas d’avoir des impacts sanitaires positifs et des productions agricoles acceptables (en rendement et en qualité).
Malgré tout, l’épuration des eaux usées et leur réutilisation en irrigation reste toujours une alternative intéressante, surtout dans les zones arides et semi-arides où elles représentent une source d’eau et d’engrais additionnels renouvelables et fiables. La réutilisation contribue dans la gestion et la conservation des eaux et peut, lorsque les systèmes d’utilisation sont bien adaptés et maîtrisés, avoir un impact environnemental et sanitaire positif et des rendements agricoles accrus.
La réutilisation des eaux usées s’accompagne toujours d’impacts et de risques qui peuvent s’opérer à différents niveaux : du maraîcher et de son entourage, aux habitués des zones d’utilisation, intervenants dans le circuit de production, produits des cultures, consommateurs des produits, aux animaux jusqu’à la nappe souterraine. Les risques, en général d’ordre sanitaire, sont liés à la non élimination de certains éléments et composés chimiques et à la survie des germes pathogènes dans les eaux dépolluées. Les agents pathogènes excrétés (virus, bactéries, protozoaires et helminthes), peuvent survivre assez longtemps (de 2 jours à plusieurs mois) à des températures de 20 à 30°C dans l’eau, le sol et les plantes, pour engendrer des risques potentiels pour les travailleurs agricoles. En général, les risques élevés sont surtout associés aux bactéries et aux nématodes intestinaux alors que les virus sont responsables de peu ou pas du tout de risque réel. Le degré de contamination de l’environnement par les parasites intestinaux est énorme et dépend en grande partie de la méthode d’évacuation des excréta.
Au mode d’irrigation par les eaux usées, s’associent presque toujours des agents biologiques (virus, bactéries, protozoaires pathogènes) qui s’infiltrent par voie buccale (par exemple en mangeant les légumes contaminés par ascaris) ou par la peau (en cas de ankylostomes et de schistosomes). La transmission et les facteurs de risque sanitaire de ces agents, d’intérêt particulier pour les zones de prévalence de diarrhée, doivent être déterminés pour mieux cerner les incidences des eaux usées. Quelques 30 infections liées aux excréta et concourant à la santé publique, ont été identifiées et regroupées en catégories ayant des caractéristiques environnementales de transmission et de propriétés pathogènes semblables. La transmission des maladies est liée à des facteurs comme :
Au site maraîcher de Sebkha, à cause du système d’irrigation utilisé, les exploitants sont, la plupart du temps, en contact direct et permanent avec les eaux polluées et de ce fait sont exposés aux risques de santé liés à ces eaux. Par extension, ces incidences sont également encourues par les membres de leurs familles mais aussi les revendeurs et consommateurs. Une étude épidémiologique réalisée sur les maraîchers de Sebkha, révèle une forte prévalence d’infections parasitaires, notamment la diarrhée avec un taux d’incidence de 3,8 à 6,9 épisodes par an et par exploitant. Les enfants de moins de 5 ans des familles de ces maraîchers, contractent cette maladie, plus que dans le reste de la population. Les maladies observées peuvent se justifier par la qualité des eaux traitées qui, en plus se dégradent dans les jardins et continuent de présenter davantage de risques réels d’agression de la santé des exploitants maraîchers, des vendeurs et consommateurs des produits.
Au niveau de l’environnement les effets négatifs de l’irrigation par les eaux usées sont essentiellement l’introduction de produits chimiques dans des écosystèmes sensibles (sol, eau et plantes) et la propagation de micro-organismes pathogènes. Ces effets se manifestent sur le sol par la salinisation, l’alcalinisation, la réduction de la perméabilité et l’accumulation d’éléments potentiellement toxiques et des nutriments. Dans les eaux souterraines, la pollution peut atteindre un degré tel qu’elle soit de même envergure que celle des eaux usées. Les effets néfastes de ces dernières sur les cultures se manifestent par une toxicité due principalement à la concentration élevée d’éléments tels que le bore et quelques métaux lourds. Un traitement poussé jusqu’à extinction totale des pathogènes annihilerait l’action des microbes sur les cultures et minimiserait l’agression de la santé humaine. Un tel traitement n’étant pas souvent le cas, le choix judicieux du système d’irrigation et le contrôle de l’exposition humaine s’avèrent toujours impératifs. Pour protéger la santé humaine et l’environnement des mesures doivent être prises à différents niveaux :
Nous pouvons maintenant apprécier que les eaux usées, quelque soit leur nature (brute ou épurée) et où qu’elles puissent être dans quelque contexte que çà soit de Nouakchott, génèrent des problèmes soit à la nature (l’on se dit que ce n’est pas très grave, çà peut toujours attendre) ou soit au cadre humain dont nous nous préoccupons fébrilement pour trouver des solutions appropriées. Parmi celles-ci, pour allier l’utile à l’économique, nous avons trouvé que le traitement de ces eaux pour leur réutilisation en agriculture urbaine, semblait, à double titre, bien indiquée : atténuer un déficit important et chronique en eau et annihiler la négativité des eaux usées sur les milieux physique et humain. Des objectifs ont été poursuivis dans ce sens. Mais, vu l’ampleur du déficit d’eau, l’atténuation au niveau des eaux d’irrigation, est restée éphémère et la négation des impacts des eaux usées, malgré l’alternative de traitement, se retrouve encore présente sous différentes échelles au niveau même où elle devrait être absente.
La solution de la réutilisation, une solution intéressante dans le principe, mais qui a été mal gérée dans la pratique, s’est retrouvée inadaptée au contexte de Nouakchott, alors qu’ailleurs elle fait son bout de chemin ! Cette solution, même si elle avait fait ses preuves en donnant des résultats probants, n’en sera une pour la problématique des eaux usées que lorsque elle intégrera toute la production de la ville. Ainsi elle permettra d’assurer leur élimination sûre et de manière propre et de maintenir un cadre assaini afin de lutter contre les indispositions, les infestions et les maladies qu’elles véhiculent et qui constituent un problème de santé publique. La réutilisation des eaux dépolluées reste aujourd’hui une expérience qui, même si elle a eu le mérite d’avoir solutionné de manière conjoncturelle le problème du déficit d’eau et assuré l’appoint dans l’approvisionnement en légumes à Nouakchott, nous laisse un goût amer. .