L'assainissement à Nouakchott :
III. L'ENFER DES EAUX DE PLUIE

 

Bakari Mohamed SÉMÉGA
quotidien HORIZON 15-09-2005
H2o – mars 2006

 

L'assainissement, filière laissée pour compte !

L’amélioration des conditions d’assainissement dans la ville de Nouakchott, constitue sans nul doute l’une des conditions majeures pour l’amélioration du cadre de vie des populations. Le développement démographique urbain spectaculaire qu’a connu la ville, a entraîné une occupation anarchique des terres qui sont, de surcroît, pour la plupart, non viables et non viabilisées. L’absence de mesures d’accompagnement pour la mise en place d’infrastructures minimales de base pour le maintien d’un cadre de vie sain, favorise la dégradation des conditions d’assainissement.

L’assainissement liquide, dans ses différentes formes, est éphémère à inexistant à Nouakchott. Dans une telle situation, les eaux pluviales, bien que n’apparaissant que de manière épisodique, pendant une très courte saison de l’année, constituent cependant une véritable problématique d’envergure, surtout en période de bonne pluviosité. Elles s’imposent alors comme une urgence dans leur évacuation et comme une calamité innommable par leur péjoration tant dans l’environnement de vie que dans les impacts sanitaires négatifs qu’elles engendrent.

D’année en année, alors que la ville de Nouakchott ne s’arrête de s’étendre et d’intensifier son réseau routier, les infrastructures d’assainissement et d’évacuation des eaux pluviales, n’emboîtent pas le pas. Le seul réseau de collecte des eaux usées, vétuste et ne couvrant qu’une infime partie de la ville, n’a pas de prise en compte réelle de l’évacuation des eaux pluviales. Ce développement de la ville accentue davantage cette problématique par le simple fait que ces eaux ne peuvent même plus ni ruisseler de manière spontanée pour rejoindre les zones affaissées et ni s’infiltrer correctement. Elles n’ont plus le choix que de stagner partout et nulle part sur les voies publiques et les bas-fonds. En cas d’orage, les ruissellements torrentiels qui ne savent où aller, où se perdre, finissent par arrêter de s’affoler, s’arrêtent pour de bon, s’accumulent ci et là. Ils donnent alors lieu à cette inondation permanente, laissée à l’infiltration et surtout à l’évaporation qui se chargent d’"assainir" les lieux avec le temps qu'il faut, un jour, deux jours, une semaine, deux semaines, un mois, parfois plus. Les eaux pluviales repartent donc dans la nature soit sous forme évaporée dans l’atmosphère par effet d’insolation, soit sous forme infiltrée dans le sous-sol suivant la perméabilité des terrains sableux à sablo-argileux et la proximité de la nappe souterraine. La fraction qui arrive à cette dernière, du fait qu’elle aura subi par divers apports, une pollution relativement élevée, vient à son tour contaminer les eaux souterraines.


La ville transformée en marigot

Les eaux de pluie dans ce contexte constituent un obstacle aux activités quotidiennes et par delà un frein au développement socio-économique. Elles occasionnent et amplifient des bouchons dans la circulation routière et finissent par transformer en de véritables bourbiers les voies publiques. Dans d’autres situations et zones, elles interdisent toute circulation aussi bien aux piétons qu’aux véhicules et développent une pollution avancée par décomposition de la charge organique qu’elles charrient. L’état des eaux de pluies stagnantes, le temps aidant, conduit à une putréfaction de plus en plus avancée et à une agressivité plus accrue.

Avec quelques millimètres à quelques dizaines de millimètres de pluie, la ville de Nouakchott devient un véritable bourbier, théâtre d’enlisement où pataugent hommes, animaux et véhicules. Qu’en serait-il avec des précipitations plus élevées ou simplement plus fréquentes ? La menace est réelle.

L’assainissement des eaux pluviales est quasi-inexistant, seuls quelques bassins de collecte et de stockage sont placés à certains carrefours stratégiques de la ville. Bien que reliés au réseau urbain, ces bassins, dans la plupart des cas, ne drainent pas ces eaux qui restent stagnantes. Pour pallier à une situation pressante, des camions citernes peuvent être quelque fois utilisés pour évacuer les inondations. En dehors de ces points et de cette pratique trop conjoncturelle, les eaux de pluie sont livrées à elles-mêmes. Ces eaux stagnantes constituent les eaux usées classiques, des foyers de prolifération et de développement d’agents pathogènes, de vecteurs de maladies (mouches, moustiques, insectes, etc.) et de nuisances diverses. D’autre part, ces eaux se retrouvent souvent encore plus polluées du double fait qu’elles s’accumulent en général dans des zones de dépôts de déchets et que les ordures et eaux usées domestiques viennent s’y ajouter quotidiennement. En outre, elles constituent aussi, dans certains quartiers des lieux de prédilection des enfants qui y jouent à longueur de journée avec tout le risque que cela représente pour leur santé.

Le contact de ces eaux présente toujours des risques sanitaires évidents. En effet, du fait de leur mode de constitution, elles lessivent divers matériaux et organismes et finissent par se charger de polluants chimiques et de colonies importantes d’agents pathogènes, bactéries, virus et autres micro-organismes responsables de diverses maladies et infections parasitaires, telles que la diarrhée, la typhoïde, la dysenterie bacillaire et amibienne, l’ascaridiase, la bronchite, les boutons, les démangeaisons, etc. Le temps de séjour de ces eaux pouvant être relativement long dans la nature, en raison d’une infiltration faible surtout dans les terrains argileux saturés en eau et d’une évaporation peu conséquente pendant l’hivernage, accentue la dangériosité de ces eaux stagnantes.


C’est nous qui inondons, pas la pluie !

Un malaise existe à Nouakchott : d’autant les habitations sont conçues et construites sans aucune prévision d’évacuation des eaux pluviales et d’autant la ville qui se construit et continue de se construire sans aménagements, même de base, sans prise en compte aucune des eaux de pluie, ne semble encore porter son attention à la problématique de cette évacuation. À chaque fois qu’un bâtiment se construit, il vient condamner un peu plus la possibilité de circulation des eaux. À plus grande échelle, il en va de même dans les aménagements routiers.

Le malaise est bien là : construire un bâtiment comme aménager une route à Nouakchott, c’est dans la plupart des cas, accentuer la problématique des eaux de pluie et favoriser l’inondabilité des zones concernées. La moindre pluie et nous inondons. Nous inondons parce que nous n’avions pas su prendre en compte les nécessités de l'aménagement urbain. Nous inondons parce qu’au lieu d’aider les eaux à s’évacuer, sachant le milieu physique de la capitale est morphologiquement peu propice à leurs circulations, nous les emprisonnons. Nous inondons parce que nous ne savons, ni plus ni moins, comment nous y prendre avec les eaux de pluie.


La psychose de l’hivernage !

La pluie, qui devrait être accueillie avec la plus grande sollicitude, se transforme ainsi en cauchemar. Comble de malchance, le dernier hivernage a apporté bien plus d'eau que d'habitude. Les croassements ininterrompus des grenouilles ont exaspéré les populations des quartiers populaires, angoissés par l'idée de voir leur précaire habitat s'effrondrer.

Demandons : qui veut de la pluie à Nouakchott ? Dans la foule, des regards se scrutent et la réponse tarde à venir, les téméraires ne sont pas nombreux !

La limitation de la période de précipitations, relativement courte dans l’année, et la faiblesse de la pluviométrie à Nouakchott, ne justifient pas l'absence de solutions appropriées, comme pour l’assainissement, les déchets et les gaz. La préoccupation qui en est faite témoigne du degré de conscience – ou d'inconscience, environnemental qui prédomine ici.


Timide réaction ou prise de conscience forcée

Cet hivernage "difficile" a épuisé les hommes. Des tentatives de solution ont été mises en oeuvre avec l'improvisation de bassins de stockage, l'évacuation par des camions citernes ou le déversement de sable ou du tout-venant dans les zones inondées. Mais très vite ces diverses solutions – improvisées, ont montré leurs limites en créant presque à tous les coups de nouvelles zones d'accumulation. Les responsables tournaient en rond, incapables de prendre les bonnes options, faute de moyens et de préparation...

La situation a longtemps perduré et la problématique des eaux pluviales n'arrête pas de grossir. Elle appelle aujourd'hui une solution adaptée. La solution est pourtant là : limpide. Celle qui permettrait en même temps de résoudre la question de l’assainissement liquide à Nouakchott : la mise en place du réseau de collecte des eaux usées et pluviales, joint à la création d’une ou de plusieurs stations de traitement. L'idée suppose cependant une approche d’ensemble des problèmes et requiert des moyens, un savoir-faire et une détermination considérables.

Se faisant, un certain nombre de données indispensables sont à acquérir, concernant notamment la quantité d’eaux usées produites quotidiennement et les volumes annuels moyens des précipitations ainsi que l'analyse des facteurs susceptibles de faire évoluer ces paramètres. Seules ces données pourront permettre la mise en place de stratégies précises, reposant sur l’adéquation de la gestion des eaux usées (classiques et pluviales) avec les infrastructures de traitement. Tout un programme ! .