Philippe BOCQUILLON Mathieu CLADIÈRE Iman HAGHIGHI
Olivier LESAGE Jean-Baptiste TORTEROTOT
Master Sciences et Génie de l’Environnement
en collaboration avec
Union pour la Renaissance de la Bièvre
projet multidisciplinaire dans le cadre du programme
Partenariat Institutions Citoyens pour la Recherche et l’Innovation
du Conseil régional d'Île-de-France – PICRI 2008
École des Ponts ParisTech – PIREN Seine – Île-de-France Environnement – H2o
H2o – novembre 2010
Certains cours d’eau comme la Bièvre, située en région parisienne, ont été enfouis et réduits à de simples canalisations pouvant parfois même servir d’égouts. Des plans de réouverture ont été adoptés sur certaines rivières urbaines afin de redonner une âme à ces rivières d’antan et de revoir couler à nouveau la précieuse eau qui jadis faisait le bonheur des hommes et des poissons.
La réhabilitation de cours d’eau a généralement pour but détourné de retrouver une faune et une flore typique des milieux aquatiques dont les poissons font partie intégrante ! L’efficacité des programmes de réouverture et de recolonisations piscicoles repose en autre, sur une connaissance fine du fonctionnement hydrologique de la rivière et sur une analyse précise des facteurs écologiques gouvernant les populations de poissons. Un programme qui ne tiendrait pas compte de tous ces facteurs pourrait en effet se révéler inadapté, voire générer de nouveaux dysfonctionnements.
Contrairement aux idées reçues, le développement de la vie dans un cours d’eau ne dépend pas de la seule qualité de l’eau ; le "paradoxe de l’aquarium" selon lequel la vie ne se développe pas d’elle même dans un bocal d’eau pure en est le parfait témoin. Les conditions nécessaires au retour et à la mise en place de la vie correspondent à un système emboîté de variables biotiques et abiotiques qu’il convient d’identifier précisément avant tout projet de restauration de cours d’eau.
Avant d’aborder la réintroduction ou le retour naturel des espèces piscicoles sur un tronçon de rivière, il convient dans un premier temps d’apprécier les possibilités de restauration et de fixer des objectifs adaptés. Jean-René Malavoi, ingénieur conseil spécialisé dans la restauration des cours d’eau, souligne le fait que tous les cours d’eau ne peuvent être restaurés avec la même ambition et doivent par conséquent être considérés au cas par cas. Chaque cours d’eau possède en effet des caractéristiques propres en termes de débits, de substrat, de largeur, etc. De nombreux facteurs influencent l’efficience de projets de restauration. L’énergie, l’érodabilité des berges et l’apport de matières solides sont trois variables majeures qui conditionnent les possibilités de restauration et qui permettent d’apprécier les possibilités naturelles de réajustement. Lorsque ces possibilités sont importantes, l’intervention humaine doit rester minimale puisque c’est le cours d’eau lui-même qui refaçonnera ses berges, son lit, etc. recréant ainsi un écosystème en équilibre à long terme. Si ces paramètres de morphodynamisme sont trop faibles, le cours d’eau sera en revanche incapable de retrouver un état naturel de manière "autonome".
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La Bièvre suivait un cours tortueux bordé de falaises et de zones humides peu larges en raison de la relative étroitesse de la vallée. Capricieuse, elle pouvait être sujette à de brusques montées des eaux. En période de moyennes ou de basses eaux, des îlots se formaient, délimités par des chenaux. Son débouché sur la Seine a très probablement fluctué. infographie A.-B. Pimpaud, Paris, ville antique, ministère de la Culture |
Il est donc possible d’évaluer la faisabilité des travaux au regard de ces facteurs, mais également de déterminer le niveau de restauration envisageable en terme de biocénoses. Jean-René Malavoi distingue trois niveaux d’ambition pour les projets de restauration concernant des remises à ciel ouvert : R1, R2, R3, traduisant chacun des objectifs en termes de recolonisation et de fonctionnalité du cours d’eau :
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Après avoir identifié le niveau de réhabilitation envisageable, il est important de prendre connaissance des paramètres gouvernant la vie piscicole pour mener des travaux cohérents respectant ces facteurs qui conditionnent les possibilités de recolonisation.
Le premier paramètre concerne les variables physico-chimiques et leur influence sur les populations (toxicité notamment). Afin de contrôler et de suivre la qualité physico-chimique d’un cours d’eau, les agences de l’eau ont mis en place un indice, le "SEQ eau". Ce SEQ eau a pour but de classer, en fonction de différents paramètres, la qualité d’un cours d’eau. Seront notamment appréciées les concentrations en nitrates, en phosphates, en métaux lourds, en matières organiques et l’oxygène dissous. Le SEQ eau va ensuite permettre de classer une portion du cours d’eau en fonction de tous les paramètres mesurés, et ainsi de donner une classe au cours d’eau. Cette classification se faisant par un code couleur.
Cependant, cette notation intègre une multitude de polluants qui n’ont pas tous les mêmes répercutions sur les populations de poissons. Le seul SEQ eau ne permet donc pas de juger des possibilités de recolonisations piscicoles d’un cours d’eau, il faut en effet plus particulièrement se concentrer sur les composés xénobiotiques tels que : métaux lourds, pesticides, micropolluants qui constituent les toxiques les plus impactants pour la vie piscicole. Les remises à ciel ouvert doivent donc s’accompagner de mesures pour assurer une qualité des eaux suffisante : chasse aux mauvais branchements, identification des apports ponctuels.
La qualité physico-chimique n’est pas la seule condition garantissant le retour et la pérennité de la vie piscicole. L’habitat joue également un rôle important. L’habitat correspond aux différentes zones nécessaires aux poissons pour accomplir un ensemble de fonctions biologiques : repos, alimentation, reproduction. Pour se reposer, le poisson a besoin de zones calmes sans courant, alors que pour se nourrir il nécessite un habitat riche et renouvelé régulièrement.
L’habitat peut être représenté par trois variables : hauteur, substrat, vitesse. Les cours d’eau chenalisés sont les témoins du rôle important de l’habitat : bien souvent ils bénéficient d’une qualité d’eau suffisante pour la vie piscicole mais ne sont que rarement colonisés faute d’habitats. Il est possible d’identifier pour chaque espèce piscicole un habitat optimum en fonction des paramètres hauteur, substrat, vitesse. Les caractéristiques du cours d’eau réhabilité permettront donc de connaître les espèces qui pourraient recoloniser le cours d’eau ou y être réintroduites. Il est donc important d’assurer une diversification des types d’habitats lors de programmes de réouverture afin de permettre aux populations de jouir des zones indispensables à leur pérennité. Il convient également d’éviter la mise en place ou le maintient de structures types ‘obstacles, seuils’ qui altèrent la continuité écologique des cours d’eau et par conséquent les possibilités de déplacement des poissons.
Le facteur trophique en rapport avec les ressources alimentaires disponibles pour les populations piscicoles, constitue la dernière condition d’un repeuplement de cours d’eau réouvert. Ces ressources comprennent surtout le phytoplancton et le zooplancton, mais aussi des macro invertébrés, généralement des larves d’insectes, et également des végétaux aquatiques. Aucune intervention humaine n’est nécessaire ici puisque les microorganismes coloniseront naturellement les zones découvertes et réhabilitées.
Retrouver des poissons sur un cours d’eau nécessite donc d’agir essentiellement au niveau de la physico-chimie et de l’habitat. La prise en compte des éléments permettra d’assurer des conditions favorables pour le retour des populations piscicoles.
En conclusion, il faut toutefois souligner une fois de plus que chaque projet de réouverture devra être considéré au cas par cas. Des travaux de remise à ciel ouverts en secteurs urbains ne pourront prétendre à des objectifs écologiques aussi ambitieux qu’en secteur rural. Néanmoins, des possibilités d’action existent à toutes les échelles et aucune action ne doit être délaissée. Certaines seront peut être plus de l’ordre du paysagisme mais elles constitueront toutefois d’indéniables outils de sensibilisation pour les citoyens urbains..
En haut à droite, une zone humide réaménagée et, en bas, vue d’ensemble du ru réaménagé. |
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La rue de Bièvre à Paris, photo Charles Marville & Scan Photographie – parisavant.com La Bièvre et les ateliers de tanneurs (rue Mouffetard / rue du Pont-aux-Biches) au 19ème siècle. photo Charles Marville & Scan Photographie |