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La surveillance du COVID-19 dans les eaux usées

La surveillance du COVID-19 dans les eaux usées est utile car elle alerte sur l'augmentation de la circulation du virus avec 7, voire 15, jours d'avance. Depuis fin janvier, le réseau Obépine (Observatoire épidémiologique dans les eaux usées) donne accès aux indicateurs de la circulation du coronavirus SARS-CoV-2 dans une soixantaine de stations d'épuration, sur les 150 qui sont suivies sur le territoire national. Grâce à cette détection du virus en quasi-temps réel de sa circulation, les données du réseau permettent de suivre l'évolution de l'épidémie de façon précoce par rapport aux tests et aux hospitalisations, ce qui permet de prendre de l'avance sur l'ouverture du nombre de lits en réanimation.

Martine LE BEC

  illustration "The Shadow Play" – Gleb Kashtanov
Quand le street art s’empare du coronavirus autour du monde ! – Paris Secret
H2o – février 2021

 

Les eaux usées reflètent en partie l'état de santé d’une population et, en situation de pandémie, sont un indicateur avancé des stades de l'épidémie. Le consortium Obépine est né en avril 2020 sous l’impulsion du Comité Analyse, Recherche et Expertise (Care) COVID-19 qui a incité trois groupes de recherche qui avaient proposé d’analyser les eaux usées comme outil de surveillance épidémiologique à travailler ensemble pour un objectif de plus grande ampleur. Le projet, financé par Sorbonne Université, le CNRS et le ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation (MESRI), a permis de suivre dans un premier temps une trentaine de stations d’épuration à travers des prélèvements bihebdomadaires réalisés et analysés avec des résultats disponibles sous 48 heures. D’autres stations viennent progressivement se joindre au panel et l’objectif, fixé par une lettre de mission du MESRI est d’avoir un réseau dynamique et hiérarchique, sur tout le territoire incluant les Outremers, de 150 stations.

Les avantages sont énormes puisqu’une population importante est analysée sur un seul test incluant les individus asymptomatiques qui, sans symptômes apparents, ne présentent pas moins une charge virale. Les recherches ont montré que la charge virale est détectable dans les eaux d’épuration avec une haute sensibilité. L’analyse des eaux usées est également un outil de détection très précoce. "Le suivi réalisé depuis le 5 mars dernier, notamment sur les stations d’épuration d’Île-de-France, a permis à la fois de confirmer le caractère prédictif de cette mesure de génome viral dans les eaux usées – notamment à l’occasion de la seconde vague – et l’intérêt de ce nouvel indicateur pour évaluer l’impact de certaines mesures, comme le premier confinement ou le couvre-feu", souligne-t-on au ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation. L’intérêt serait donc que ces données viennent rapidement compléter les chiffres de Santé publique France pour le suivi de l'épidémie.

Les opérateurs et industriels ont rapidement réagi. Ainsi Veolia, partenaire du réseau Obépine, a-t-il été le premier à présenter, dès novembre, une offre pour la détection du coronavirus SARS-CoV-2 dans les eaux usées. Baptisé Vigie-Covid-19, le procédé utilise la méthode PCR (Polymerase Chain Reaction, réaction de polymérisation en chaîne – technique d'amplification enzymatique permettant d'obtenir un grand nombre de copies identiques d'un fragment d'ADN). Le dispositif de surveillance est évidemment fondé sur l’état actuel des connaissances scientifiques. Il repose toutefois sur une stratégie de prélèvements adaptée aux enjeux locaux, une organisation logistique et des protocoles d’analyses du virus SARS-CoV-2 par PCR, avec des résultats sous forme d’un tableau de bord. Il alerte sur la possible circulation active du virus dans la population, replace les résultats de l’analyse dans leur contexte (pluviométrie et nombre d’équivalents habitants) et les compare avec des données épidémiologiques publiques. L’évolution des résultats dans le temps permet de contribuer à l’identification d'un possible rebond de l’épidémie.

Suez a évidemment suivi en présentant en février son dispositif Covid-19 City Watch, déjà déployé dans une centaine de villes en Espagne (soit plus de 13 millions d’habitants), et aujourd’hui disponible en France, au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Amérique latine. "Pour développer cette plateforme, nous avons associé nos connaissances en matière de réseaux d’assainissement, de diagnostic environnemental microbiologique et de comportement des virus dans les eaux usées à des critères épidémiologiques et socioéconomiques. Notre ambition était de mettre à la disposition des autorités publiques un outil de visualisation graphique des données, en créant une carte dynamique de la ville découpée en zones d’influence qui permette de tracer l’origine du SARS-CoV-2", explique Coral Robles, directrice générale de Labaqua, le principal laboratoire de Suez en Espagne dans une interview diffusée sur le site de l’industriel. Labaqua a ainsi été le premier laboratoire européen accrédité ISO 17025 par l’ENAC (Entidad Nacional de Acreditacion, organisme d’accréditation espagnol) pour la détection et la quantification du SARS-CoV-2, non seulement dans les eaux usées mais aussi sur les surfaces et dans l’air, avec des résultats analytiques obtenus en moins de 24 heures, précise l’interlocutrice. Elle ajoute que si l’étude de la présence et de la quantification de l’ARN SARS-CoV-2 dans les eaux usées est désormais considérée, partout dans le monde, comme un outil efficace d’anticipation de nouveaux foyers de coronavirus, le plan d’échantillonnage est sans aucun doute un facteur-clé de succès en matière de suivi du SARS-CoV-2 dans les eaux usées. La fiabilité de la détection et la quantification du virus reposent sur la sectorisation des zones d’influence et la représentativité des échantillons. Les plans d’échantillonnage incluent donc la définition des points de contrôle, la périodicité, le type d’échantillons à prélever et la méthode de prélèvement. 

 

Surveiller les eaux usées pour anticiper des épidémies d’origine virale : une méthode prometteuse !

Dès 2003, l’OMS a recommandé cette approche pour la prévention de la poliomyélite (poliovirus). La communauté scientifique internationale s’accorde aujourd'hui sur le fait que les eaux usées "reflètent en partie l’état de santé de la population", et peuvent représenter un indicateur "précoce" de l’épidémie de COVID-19 par rapport aux indicateurs "tardifs" que sont les hospitalisations.

Cette approche est recommandée par des instances scientifiques nationales et internationales : l'Académie des technologies (24 avril 2020), l'Académie nationale de médecine (7 juillet 2020) et l’OMS (7 août 2020). Les auteurs d’une récente communication de la Commision européenne ("Construire une Union européenne de la santé : renforcer la résilience de l’UE face aux menaces transfrontières pour la santé") soulignent la nécessité de continuer à utiliser le concept de WBE (Wastewater-Based Epidemiology ou épidémiologie basée sur les eaux usées) comme mécanisme d’alerte précoce d’éventuelles nouvelles pandémies.

La question cruciale pour les scienfiques est désormais celle des variants du SARS-CoV-2. Les analyses permettent-elles de détecter les différentes souches mutantes qui se propagent en ce moment en France, le variant dit anglais principalement, et les variants sud-africain et brésilien ? Pour l'instant, pas précisément. "Pour avoir une carte d'identité détaillée de virus, il faut avoir un génome entier", précise à France Inter Yvon Maday, professeur en mathématiques appliquées à Sorbonne-Université. Or, le virus ne remonterait dans les eaux usées que pour un malade sur deux, qu'il soit symptomatique ou asymptomatique, note le professeur. Si des traces sont retrouvées dans les stations d'épuration, c'est parce que le SARS-CoV-2 attaque de façon entérique et se retrouve dans les selles. Donc si un variant, peu importe lequel, ne se retrouve pas dans l'intestin, on ne saura plus rien ni de sa présence dans les eaux usées, ni de sa propagation. Ainsi, si les analyses sont capables d'identifier la présence de certaines mutations, caractéristiques des variants, elles restent incapables d’affirmer qu'il s'agit du virus muté – et encore moins duquel exactement. 

Tout cela reste tout de même très prometteur. Vie la vie… et ses virus ! ▄ 

 

 ResSources
Vigie-Covid-19 – Veolia  
Covid-19 City Watch – Suez
Covid-19 : Ce que montrent les dernières analyses des eaux usées – France Inter
Réseau Obépine – données ouvertes  

Articles scientifiques
Reproducibility and sensitivity of 36 methods to quantify the SARS-CoV-2 genetic signal in raw wastewater: findings from an interlaboratory methods evaluation in the U.S. – Environmental Science: Water Research & Technology, janvier 2021
Tracking COVID-19 with wastewater – Nature, septembre 2020