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Marc LAIMÉÀ l'orée du 21ème siècle, nos sociétés sont paradoxalement confrontées au même problème qu'à la fin du 19ème : assurer à tout être humain l'accès à l'eau potable. Cette pénurie qui tue est aussi aggravée par des comportements ou états de faits inquiétants : de "bien commun", l'eau est devenue une marchandise au profit de conglomérats qui veulent rentabiliser leurs investissements colossaux.

Le dossier de l'eau

Pénurie Pollution Corruption

 

La France a ici une responsabilité particulière, puisque notre pays abrite les deux premières entreprises mondiales du marché. Un vigoureux mouvement de contestation lutte pour que l'accès à une eau potable soit reconnu comme un droit fondamental de l'humanité.

En France même, outre la pollution catastrophique provoquée par l'agriculture intensive, les prérogatives exorbitantes d'une industrie surpuissante et leurs pratiques financières opaques dont pâtissent le consommateur et le contribuable font débat. Mais les projets de réforme se muent en serpents de mer législatifs.

À l'égal de la sécurité alimentaire et des risques industriels, l'eau constitue aujourd'hui un enjeu majeur en matière d'environnement, de santé publique et de démocratie. Aucun gouvernement ne pourra sans mentir continuer à faire l'économie d'une politique réaliste et généreuse.

L'auteur – Journaliste et sociologue, Marc Laimé a collaboré à de nombreuses publications spécialisées françaises et étrangères. Il s'intéresse depuis plusieurs années sur le problème de l'eau, en France et dans le monde. Le travail qu'il nous livre ici sur 396 pages, est fruit de deux ans d'investigation, en France et à l'étranger.

{mospagebreak title=2. Extrait&heading=1. Fiche de l'ouvrage}

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Provisions mirifiques


Famille cagnotte le retour. Examinons cette fois le poste "provisions pour renouvellement". Superbanco ! Sous cette appellation anodine se dissimule l'un des scandales majeurs de notre économie-casino. Ces "provisions pour renouvellement" qui alimentent fréquemment un "fonds de garantie" sont officiellement présentées comme un mécanisme d'amortissement qui permet aux collectivités d'étaler dans le temps les engagements financiers qu'elles vont devoir consentir pour assurer l'entretien et le renouvellement des réseaux gérés par l'entreprise privée. Quelques dizaines de centimes ou quelques francs sont donc prélevés sur chaque facture d'eau par l'entreprise titulaire d'un contrat. À charge pour cette même entreprise d'affecter les milliards de francs ainsi collectés à l'entretien et au renouvellement des réseaux.

L'entreprise facture donc à l'avance à la collectivité (en fait à l'usager) le montant des frais de renouvellement des installations. Ensuite c'est elle qui décidera d'effectuer, ou non, des travaux en puisant dans cette fabuleuse cagnotte. Dans l'hypothèse même où elles ne seraient pas surévaluées ces provisions présentent en outre le considérable avantage d'être déductibles des bénéfices que réalise l'entreprise... Et ce n'est pas tout.

Nos Trois Soeurs ne sont pas corsetées par les règles draconiennes de la comptabilité publique qui entravent l'activité des régies directement gérées par une commune. Dès lors nos "provisions pour renouvellement" sont en outre placées, pour de très longues périodes, par les entreprises qui réalisent par ce biais de nouveaux et très importants bénéfices supplémentaires ! Touche finale au tableau, les milliards de francs ainsi prélevés sur les factures des usagers en vue d'éventuels frais d'entretien et de remise en état des réseaux deviennent tout à fait légalement la propriété des entreprises privées en fin de contrat si les travaux pour lesquels ils ont été "provisionnés" n'ont pas été effectués par l'entreprise ! La tentation est donc forte de différer jusqu'à la fin du contrat des chantiers de renouvellement pourtant justifiés pour empocher le magot. Ou, plus subtil, d'engager des travaux importants juste avant la fin du contrat, mais qui n'écorneront qu'une partie du bas de laine, dont le solde revient à l'entreprise. Avant dans la foulée de signer un nouveau contrat qui supportera lui, en fait c'est bien sur l'usager qui paiera la note, le coût des travaux déjà engagés restant à effectuer, qui n'avait pas été imputé sur les "provisions pour renouvellement" du contrat précédent !

La Chambre régionale des comptes du Rhône s'était inquiétée en 1997 du montant comme de l'utilisation des "fonds de renouvellement" engrangés entre 1987 et 1995 par la Générale des Eaux (Vivendi) qui gère depuis des lustres dans le cadre d'un contrat d'affermage les services que lui a délégués la Courly (Communauté urbaine de Lyon). En l'espace de 8 ans ces provisions se chiffraient à 575 millions de francs... Dans le même laps de temps le montant des travaux engagés par la Générale en puisant dans cette cagnotte qui leur est en principe destinée n'excédait pas les 153 millions de francs. On imagine la force de frappe financière que peut représenter pareil trésor de guerre. En 1996 la Générale des Eaux (aujourd'hui Vivendi) a procédé à un regroupement de ses "provisions pour renouvellement" à l'échelle nationale. D'un montant de 27 milliards de francs elles lui assuraient sans coup férir une plus-value de 4 milliards de francs... C'est ainsi que Vivendi a pu à maintes reprises transférer à l'une de ses filiales à l'étranger des "provisions" qui n'avaient pas été consommées dans leur totalité et qui étaient tout à fait légalement devenues sa propriété à la fin du contrat.

C'est en fait par le biais d'un dispositif extrêmement sophistiqué, et pour le moins opaque, que la maison-mère de la filiale Environnement de la Générale, qui ne s'appelait pas encore Vivendi a organisé un sidérant jeu de trésorerie à partir de 1996. En fait un véritable tour de passe passe dont le butin permettra à Jean-Marie Messier de partir à la conquête d'Hollywood, avec les résultats que l'on sait... Pour comprendre il faut revenir à l'accession de notre homme à la tête de la Générale des Eaux en 1994.

Compromise dans les affaires de corruption politique, "plombée" par des spéculations aventureuses dans l'immobilier, la respectable centenaire prend l'eau. Elle est, déjà, au bord de la faillite. Son endettement dépasse ses fonds propres, elle n'a plus de réserves, a investi 38 milliards de francs dans l'immobilier mais passé seulement 3 milliards de francs de provisions sur ces engagements en 1994. Panique dans le monde des affaires, déjà traumatisé par le crash du Crédit Lyonnais.

Deux des "parrains" du capitalisme français, Ambroise Roux et Guy Dejouany, alors P-DG de la Générale, proposent donc, avec l'accord d'Edouard Balladur, de faire appel à un homme providentiel : Jean-Marie Messier. Fort d'un imposant carnet d'adresses qui s'est enrichi (le carnet d'adresses) après qu'il ait supervisé les privatisations en qualité de directeur de cabinet de Camille Cabana, puis rejoint Matignon comme conseiller du premier ministre. Avant de "pantoufler" comme banquier d'affaires chez Lazard. Le nouveau P-DG commence à faire le ménage et taille sauvagement dans les branches malades du groupe. Tout en préparant déjà au pas de charge son redéploiement dans les medias et la communication, en s'emparant de Canal Plus puis d'Havas. Le pôle de BTP, rebaptisé Vinci, est vendu. Mais la santé financière du groupe est encore fragile. Fin 1997 certains de ses engagements immobiliers laissent présager d'une nouvelle perte de 3 milliards de francs.

Pour éponger ce nouveau déficit, et se donner les moyens de poursuivre ses investissements à marche forcée dans la communication, notre futur "roi du monde" va oser ce que personne n'avait imaginé avant lui. S'emparer de la colossale cagnotte accumulée dans chacune des sociétés de distribution d'eau du groupe, destinée en principe aux réparations et à la modernisation des réseaux. Nos fameuses "provisions pour renouvellement"... Puis les réintégrer dans les comptes de la maison-mère. Montant du butin : 24 milliards de francs! Il faudra bien pourtant un jour que les filiales du pôle "eau" remplissent leurs engagements. Les commissaires aux comptes de Vivendi font grise mine. J6M n'en a cure. Les collectivités locales concernées ne mesurent pas les risques encourus ou laissent faire... L'affaire est si rémunératrice qu'elle sera rééditée l'année suivante avec la filiale Dalkia, spécialisée dans le chauffage urbain. Butin : 3 milliards de francs. C'est fort de ce trésor de guerre que J6M peut concrétiser ses ambitions. La Générale laisse place à Vivendi en mai 1998, la valse des acquisitions à prix d'or débute. Cendant, USFilter, AOL-Europe, Pathé, Elektrim, Vizzavi, Seagram, Houghton Mifflin, EchoStar, USA Networks... L'UMTS en 2001. Vivendi Environnement est ensuite filialisée. Elle héritera des 17 milliards d'euros de dettes du groupe avant d'être introduite en bourse. Et la folle calvacade se poursuivra jusqu'aux premiers craquements de l'édifice au printemps 2002...

Mais que vont donc devenir nos réseaux d'eau ? Comment leur entretien et leur réfection vont-ils pouvoir être assurés ? Vivendi a donc imaginé de "préempter" et de mettre à la disposition du groupe une part substantielle de l'autofinancement des métiers de l'environnement, essentiellement issu des "provisions pour renouvellement" des réseaux.

Ces sommes considérables étaient jusque là "créditées" dans la comptabilité de chacune des filiales de distribution d'eau et de chauffage. Elles seront en fait regroupées à partir de 1996 au sein d'une société de réassurance. Dans le jargon, une "captive". Or cette émanation de Vivendi, General Re Financial Products, est basée en Irlande. Un paradis fiscal. Les filiales concernées, Vivendi Environnement ou Dalkia, versent une prime annuelle à cette société irlandaise, qui s'engage en contrepartie à payer les dépenses des réseaux exploités par Vivendi Environnement. En 1999 les filiales d'eau et de chauffage avaient ainsi versé 1,6 milliard de francs à General Re Financial Products en Irlande. Le rapport annuel de Vivendi pour l'année 1999 mentionnait qu'elles avaient reçu en retour 1,2 milliard de francs pour leurs travaux sur les réseaux. Mais ne précisait pas ce qu'il était advenu des 400 millions de francs de différence...

En 2000 ce furent 38 millions d'euros "siphonnés" sur l'activité eau qui remontèrent directement vers la maison-mère, via la "captive" off-shore irlandaise...

Auditionnés le 26 septembre 2002 par la Commission des Finances, de l'Economie générale et du Plan de l'Assemblée nationale, Jean-René Fourtou et Jacques Espinasse, nouveaux P-DG et Directeur financier de Vivendi, s'efforçaient de rassurer des parlementaires inquiets : "Le dispositif date de 1997. Les provisions sont externalisées. Elles ont été transférées sur une société de réassurance irlandaise et portent sur un milliard d'euros. L'engagement implique le versement, échelonné dans le temps, de 224 millions d'euros, par tranches de 15 millions. Ces engagements seront tenus. La société est solide grâce à ses fonds propres. Les inquiétudes n'ont pas lieu d'être. D'ailleurs, la distribution de l'eau n'est pas une activité libre. Elle est très contrôlée. La participation de Vivendi Universal, de près de 40%, n'empêche pas Vivendi Environnement d'être une société autonome. Sa solidité lui permet de suivre un rythme d'investissement très important, afin de saisir les opportunités liées à l'évolution des marchés de l'eau à l'étranger. Ses actifs sont excellents et son cash-flow important. Peut-être pourrait-on simplement regretter maintenant que les deux entreprises n'aient pas été séparées auparavant."

Ce même 26 septembre l'Union générale des Syndicats FO de Vivendi écrivait à Jean-René Fourtou et lui demandait de répondre clairement à ses questions sur les provisions pour renouvellement. Avec copie d'un précédent courrier adressé à Jean-Marie Messier le 1er octobre 2001, auquel celui-ci n'avait jamais répondu. Courrier dans lequel le syndicat chiffrait à 35 milliards de francs le montant des provisions transférés par Vivendi dans sa captive off-shore irlandaise...

Depuis plusieurs années notre major assimile donc à une "prime d'assurance" les provisions pour renouvellement. Prime qui aurait pour contrepartie la couverture de risques inconnus.

Sauf que nos provisions sont comptablement, et fiscalement, conçues pour couvrir des dépenses prévisibles. L'entretien et le renouvellement des réseaux. En fait, comme n'ont pas manqué de le stigmatiser plusieurs Chambres régionales des comptes, cette pratique qui voit le délégataire se conduire comme un assureur relève d'une logique purement financière. Incompatible avec le principe selon lequel l'usager ne doit payer que les charges correspondant au coût réel du service qui lui est rendu. Conséquence inévitable, les sommes ainsi "préemptées" reviendront en grande partie à l'entreprise à l'issue du contrat...

Car la facturation d'un montant de travaux calculé comme une prime d'assurance conduit à ce que celle-ci soit très supérieure au prix réel des travaux effectifs correspondant. Ce qui devrait relever d'un compte de provisions pour travaux de renouvellement, dont l'excédent éventuel aurait, de ce fait, été réintégéré chaque année dans la comptabilité, est dès lors encaissé définitivement par les fermiers. Et sans contrepartie réelle, suivant la pratique des assureurs, qui ne reversent jamais la différence entre les primes qu'ils perçoivent et les remboursements de sinistres auxquels ils font face...

Comptes plombés


Les provisions pour renouvellement procurent donc à nos Trois Soeurs un apport de trésorerie aussi considérable que parfaitement infondé en équité. L'affaire prend des allures de scandale quand on se souvient des investissements gigantesques (entre 10 à 20 milliards d'euros) qui vont devoir être engagés ces prochaines années pour le renouvellement intégral des conduites en plomb qui équipent encore aujourd'hui plus de dix millions de logements en France. Car les magistrats de la Cour des Comptes ont constaté à maintes reprises que dans de nombreuses villes, c'est le cas particulièrement à Paris, les concessionnaires n'ont pas réellement utilisé les "provisions pour renouvellement" pour moderniser les réseaux, lors même qu'ils s'y étaient contractuellement engagés. Pis, le regroupement à l'échelle nationale de l'ensemble de ces provisions constituées localement, auquel a procédé par exemple Vivendi à partir de 1997, a rendu extrêmement difficile la "traçabilité" des sommes qui étaient affectées à l'entretien des réseaux. "C'est évidemment une manoeuvre, fulminait dans l'hebdomadaire Marianne le 18 mars 2002 Raymond Avrillier, l'élu écologiste par qui le scandale de l'eau a éclaté à Grenoble au début des années 90, le problème du plomb était connu depuis les années 70. Les compagnies auraient du renouveler les canalisations depuis longtemps en puisant dans leurs réserves." Aujourd'hui ces entreprises se tournent vers les collectivités locales et les pressent de voter de nouveaux budgets. Faisant valoir que, selon la nouvelle norme européenne, un foyer français sur deux est exposé à un risque lié au plomb. Et qu'il faut donc aller vite. Arguant même à l'occasion que, "principe de précaution" oblige et vu l'imminence du péril, des plus hypothétique, il convient donc d'investir massivement quelles que soient les clauses des contrats en cours... La défunte loi Voynet sur l'eau prévoyait bien que les provisions non utilisées soient reversées aux municipalités. Reste que les contrats en cours peuvent aussi y faire obstacle. De plus cette loi, qui a été prestement renvoyée aux oubliettes par le gouvernement Raffarin dès l'été 2002, ne pouvait pas avoir d'effet rétroactif.

En attendant les affaires continuent de plus belle. Et dans l'immédiat ce sont nos industriels qui vont tirer profit de la psychose du plomb.

On trouvait déjà dans les magasins de bricolage des appareils qui traquent le calcaire ou les nitrates dans l'eau du robinet. La Générale des Eaux présentait le 16 mars 2002 un nouveau filtre anti-plomb pouvant se fixer en un tourne-main sur n'importe quel robinet. Il est réputé pouvoir faire disparaître toute sensation de "mauvais goût". L'innovation vise bien évidemment les 10 millions de logements anciens toujours lestés de canalisations en plomb. Une manière de contre-attaque alors que les consommateurs se tournent en masse vers l'eau minérale. Ou se précipitent sur les carafes de filtrage qui font la fortune de l'industriel allemand Brita, dont les ventes françaises ont doublé entre 1998 et 2001.

Le filtre mis au point par la Générale est issu d'un programme de recherche de deux ans et d'un coût de 450 000 euros, conduit par l'entreprise en collaboration avec le CNRS et le Laboratoire d'hygiène régional en santé publique de Nancy. Le filtre contient de la zéolithe, un silicate naturel, greffée sur du charbon actif. "Elle piège le plomb et le retient dans sa structure" résumait Marie-Odile Simonnot chercheuse du laboratoire nancéien qui a participé à sa mise au point.
"La capacité de filtrage des cartouches représente l'équivalent de six mois de consommation pour une famille de 4 personnes", précisait-elle. Mis en vente dès l'été 2002, au prix de 100 euros, ce filtre recouvre l'appareil proprement dit, ainsi que sa cartouche, à changer tous les six mois pour un supplément de 50 euros. Soit 5 centimes d'euro le litre traité. "À ce prix-là, cela reste moins cher que d'acheter régulièrement de l'eau minérale", assurait Olivier Salvat, directeur du marketing de la Générale des Eaux. Mais potentiellement des plus rémunérateur pour l'entreprise. 100 euros par installation, puis 50 euros tous les 6 mois, pour un parc potentiel de dix millions de logements à remettre aux normes... Mais qu'on se rassure : "La Générale des Eaux n'utilisera pas son fichier d'abonnés à la distribution d'eau", martelait Olivier Salvat, balayant par avance toute accusation de pratiques douteuses.

Il est en fait rarissime qu'une collectivité puisse mettre un terme aux abus générés par l'existence des provisions pour renouvellement. A cet égard Lille fait figure d'exemple. Mais seule une très forte volonté politique aura permis à la collectivité d'interrompre la captation d'une rente abusive. La collectivité urbaine de Lille (CUL) avait signé en 1985 un contrat, sous forme d'une concession de 30 ans, avec la Société des Eaux du Nord, filiale de Vivendi et de Suez-Lyonnaise des Eaux créée en 1912. Jusqu'en 1997 la CUL ne disposait même pas de compte d'exploitation prévisionnel établi par l'entreprise. Mais elle découvre que celle-ci a accumulé 1,027 milliard de francs de provisions. Il lui aura fallu consulter les comptes de la société au greffe du Tribunal de commerce pour s'en apercevoir! En fait 90 % de l'activité de la filiale reposait sur la CUL.

Après cette découverte qui la conforte dans l'idée que "la Société des Eaux du Nord avait une activité essentiellement bancaire", la CUL s'engage dans la négociation d'un avenant quinquennal au contrat initial. Tâche éprouvante. Gérard Courbet, en charge du contrôle de gestion de la collectivité, en relatait les difficultés lors de son audition le 18 mai 1999 par le Haut Conseil du secteur public : "Tout a été discuté à la lettre avec beaucoup de prudence, jusqu'à l'analyse devant le Tribunal administratif d'un adverbe de l'article de révision quinquennale, pour obtenir la simple autorisation de discuter ! Notre première démarche a consisté à faire étudier les comptes de la concession par une commission arbitrale. Elle s'est traduite, dans un premier avenant strictement économique, par un gain de 51 centimes sur le prix de l'eau, réparti en une baisse de 43 centimes pour l'usager et une enveloppe de 84 millions de francs de travaux supplémentaires financés par le concessionnaire. (...) Nous avons forcé le concessionnaire à expliciter la garantie de renouvellement, c'est-à-dire la dotation en provisions, par des travaux réels en fonction du patrimoine existant."

À ce stade c'est, selon leurs propres termes, l'utilisation d'un subterfuge qui permet aux responsables de la collectivité d'aller plus loin. C'est la signature de ce premier avenant qui permettra en effet au Préfet de saisir la Chambre régionale des comptes pour faire vérifier les comptes du distributeur. Le rapport de la Chambre démontrera que 95 % de la provision de 1,027 milliard de francs inscrite dans les comptes de la société devaient être attribués à la CUL. Et non 50 % comme c'était le cas jusque là! La Chambre précisera en outre que les produits financiers de cette provision devaient revenir à la collectivité, estimant qu'à la fin du contrat le solde du poste provisions non utilisé était une dette de la société vis à vis de la collectivité. Jusqu'alors ces produits financiers ne lui étaient pas reversés, mais prêtés aux maisons mères (Vivendi et Suez) à des taux très favorables... Un second avenant permettra donc à la CUL d'obtenir que l'entreprise participe, sur toute la durée du contrat, à hauteur de 35 millions de francs par an, à des travaux de réfection (qualité de l'eau, branchements au plomb...). Avenant qui établira de surcroît un protocole de contrôle financier, technique et qualité. Au total les gains s'établiront chaque année à une réduction totale des coûts de 60 millions de francs pour les usagers, soit 1,20 franc par m3 d'eau...

Jean-Louis Destandeau, secrétaire général de la collectivité, conclura : "Grâce à son poids, la CUL (a pu) mobiliser des moyens d'investigation importants. Tout cela soulève le problème du morcellement communal. Une des critiques formulées après les lois de 1982 considérait que la décentralisation bénéficiait aux grandes sociétés. Je suis favorable à une régulation de caractère national, de nature à obliger les sociétés à établir des documents clairs, définis et obligatoires. Il est indispensable d'apporter aux collectivités territoriales une assistance juridique et technique. Les communautés d'agglomération renforcent l'unité, mais le chemin à parcourir est important. Les conditions réunies à la CUL (étaient) exceptionnelles."

Autre point que le contribuable pourra juger tout aussi "exceptionnel" : aux yeux de l'administration fiscale les provisions pour renouvellement ressortissent des "normes pratiquées dans la profession". Ipso facto elle n'ont donc jamais posé de problème particulier au fisc...