La punition par la privation ne saurait en aucun cas être une réponse à un problème social plus large. La seule réponse possible ne peut dès lors qu’être une réponse intégrant cette dimension sociale. La nouvelle législation de l’eau nécessitera une amélioration du recouvrement des factures d’eau tout en veillant à ne pas porter atteinte à la mise en œuvre du droit de l’homme à l’eau et à l’assainissement.
François Brottes, ancien député,
président de la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale lors du vote de la loi n° 2013-313 du 15 avril 2013
Les factures d’eau impayées ne pourront plus être recouvrées sous la menace d’une coupure d’eau à la seule initiative du distributeur. Ce changement fondamental dans les relations entre les usagers et les distributeurs a commencé en France dès 2007 lorsque le législateur a exclu les coupures d’eau dans le cas des usagers démunis en retard de paiement de leurs factures d’eau. Il a été étendu en 2013 à tous les usagers, qu’ils soient démunis ou pas. Ce dernier changement législatif a été contesté par les distributeurs d’eau qui ont cherché à réduire la portée de la loi Brottes aux seuls usagers démunis sans pour autant préciser comment identifier ces usagers. Comme l’expose l’ancien député François Brottes, "en 2013, le législateur a interdit les coupures d’eau des ménages ayant des impayés et en 2015, il a interdit les réductions de débit risquant de n’être que des coupures déguisées. Ces mesures concernent tous les usagers de l’eau quelles que soient leurs ressources. Désormais, il n’est plus possible d’être privé d’eau pour un simple retard de paiement de facture. Les plus fragiles pourront continuer à bénéficier des mécanismes d’aide pour payer au moins une part de l’eau qu’ils consomment."
L’interdiction des coupures d’eau ne concerne que les usagers domestiques et uniquement leur résidence principale. Sa mise en oeuvre aura pour effet d’éviter que des personnes incapables de payer leur eau soient privées d’eau potable. Pendant longtemps, des distributeurs ont justifié les coupures par le non-respect du contrat de fourniture d’eau par l’usager sans vérifier si cette action n‘enfonçait pas les personnes démunies qui se retrouvaient dans un logement rendu non décent par la coupure ou la réduction de débit. Selon François Brottes, "la punition par la privation ne saurait en aucun cas être une réponse à un problème social plus large. La seule réponse possible ne peut dès lors qu’être une réponse intégrant cette dimension sociale. La nouvelle législation de l’eau nécessitera une amélioration du recouvrement des factures d’eau tout en veillant à ne pas porter atteinte à la mise en œuvre du droit de l’homme à l’eau et à l’assainissement." Deux problèmes devront être résolus simultanément : l’un concerne les personnes démunies pour qui l’eau est trop chère et l’autre concerne les personnes en capacité de payer leur eau mais qui tardent à la payer. Il faudra se montrer plus efficace au plan social pour aider les plus démunis et plus sévère à l’égard des personnes dont le comportement aboutit à renchérir le prix de l‘eau. Il n’est pas acceptable de n’en aider que le dixième des ménages pour qui l’eau est inabordable et de soumettre les autres ménages tout aussi démunis à la privation d’eau.
Dans un nouvel ouvrage, Henri Smets propose d’améliorer les dispositions prises pour le recouvrement des factures d’eau. Il cherche à garantir le respect du droit de l’homme à l’eau et à l’assainissement et à éviter des situations où des familles démunies se trouveraient privées d’accès à l’eau du fait d’impayés. Il prend en compte la réalité des relations dans une société qui après avoir voté une loi pour aider les plus démunis ne prévoit pas comment elle sera mise en œuvre. Des progrès sont possible puisque dans le domaine de l’énergie, la situation a été considérablement améliorée au cours des dernières années. Un système d’aides ou de tarifs sociaux financés par tous est nécessaire pour que le droit à l’eau devienne un droit effectif. Ce système devrait être accompagné d’un régime renforcé de sanctions destinées à dissuader les usagers en capacité de payer leur eau de tarder à respecter leur contrat d’alimentation en eau.
L’analyse de l’auteur porte sur la conception et la mise en œuvre des dispositions législatives ou réglementaires destinées à garantir l’accès à l’eau des plus démunis, à éviter les abus d’usagers de mauvaise foi et à préserver l’équilibre économique des services de l’eau. Il appartiendra aux municipalités et aux services de l’eau de mettre en place les mesures nécessaires pour éviter les impayés. Du fait des changements législatifs survenus au cours des dernières années, les règlements des services de l’eau devront tous être mis à jour. À cette fin, plusieurs pistes sont proposées pour améliorer la réglementation tout en respectant le droit à l’eau.
L'auteur – Ingénieur diplômé de l'École polytechnique de Bruxelles, Henri Smets a obtenu son doctorat au Massachusetts Institute of Technology (Cambridge). Il est aussi titulaire d'une licence d'économie. Il a fait sa carrière à l'OCDE traitant des questions juridiques et économiques de l'environnement. Il a reçu le Prix international Elisabeth Haub de droit de l'environnement pour ses travaux. Il siège au Conseil européen du droit de l'environnement. Élu à l'Académie de l'Eau, il se consacre au développement du droit à l'eau, sujet sur lequel il a publié plusieurs ouvrages. Henri Smets est président fondateur de l'ADEDE, Association pour le développement de l'économie et du droit de l'environnement.