Les enjeux de l'eau potable au 21ème siècle en Europe occidentale
Pour certains, elle est une banale marchandise qui doit générer des profits. Pour d'autres, c'est un bien commun de l'humanité, ayant une charge symbolique exceptionnelle dans toutes les cultures et toutes les religions.
L'eau a-t-elle un prix ? L'eau est-elle un droit ou un besoin ? Y a-t-il assez d'eau pour chacun face à la croissance démographique ? Y a-t-il une crise de l'eau ? Y aura-t-il demain des guerres de l'eau ?
Faut-il s'inquiéter de la pollution de l'eau ? Les solutions techniques suffiront-elles à la juguler ?
Cet ouvrage, d'une grande richesse documentaire, indique des pistes de réflexion et apporte des éléments de réponse. II montre que la gestion et les usages de l'eau posent aux hommes des questions essentielles sur leur mode de vie, sur leur éthique, sur leur rapport à la nature et à la biosphère. II plaide pour une société économe en eau et pour une gestion globale solidaire de l'eau, dans la transparence et le respect des règles démocratiques.
La douloureuse question de l'eau en Algérie et ailleurs
extrait Chapitre 6
Les astronautes voient une planète bleue mais, en dépit des apparences, l'eau douce est une ressource finie. 98 % de l'eau sur terre est salée et 2 % seulement est de l'eau douce.
De plus, l'eau des rivières met seize jours pour être entièrement remplacée, celle des marais cinq ans, celle des lacs dix-sept ans et l'eau des aquifères mille quatre cents ans. Chiffres à méditer pour comprendre la gravité de nos actes et pour avoir présente à l'esprit l'échelle des temps.
Au cours des cinquante dernières années, si la population mondiale a triplé, les surfaces irriguées ont été multipliées par six et la demande en eau multipliée par sept. Au cours des dix dernières années, la consommation d'eau dans le monde a quadruplé.
Pression sur la ressource
En fait, la demande croît à une vitesse double de celle de la croissance démographique et, dans le même temps, la pollution diminue du tiers les réserves à notre disposition. Ainsi, l'Ogallala, l'aquifère fossile sous les Grandes Plaines du Sud, aux États-Unis – qui fournit à lui seul le cinquième de l'eau utilisée pour l'irrigation dans tout le pays – a été non seulement réduit de 50 %, mais de plus, certaines de ses zones sont irrémédiablement polluées par les produits agrochimiques et industriels. Bien que riche de quatre trillions de tonnes d'eau, à la vitesse d'exhaure actuelle, cet aquifère pourrait se vider en 140 ans. Par ailleurs, lors de la guerre du Golfe, l'aquifère fossile de l'Arabie du Centre a été pollué par les solvants utilisés sur les tanks et les avions des armées occidentales. La pollution de ces aquifères, immobiles et très âgés, est bien plus préoccupante que celle des cours d'eau en mesure de se nettoyer grâce à leur débit. Le cas de la mer d'Aral - véritable brouet toxique du fait de la culture intensive du riz et du coton (pour respecter le sacro-saint Plan soviétique), réduite par l'irrigation au tiers de sa surface - est bien connue. Moins connu peut-être est le cas du lac Owens que 85 ans de détournement pour alimenter la mégapole de Los Angeles ont transformé ses 300 km2 en cuvette désolée et poussiéreuse. Voilà dix-huit ans que la municipalité de la ville esquive ses responsablités pour prendre les coûteuses mesures de remédiation en faveur des riverains et de l'environnement. Au cours des élections pour le poste de gouverneur de Californie en novembre 1998, la question des besoins en eau de l'État est qualifiée de "sujet explosif" puisque le candidat démocrate plaide non seulement pour l'économie de l'eau plutôt que pour la construction de nouveaux barrages allant jusqu'à admettre le recyclage des effluents sur les fermes, mais, de plus, il se propose, en cas de victoire, d'abaisser les impôts des agriculteurs qui irrigueront au goutte à goutte. De plus, il demande plus de sévérité vis-à-vis des industriels peu respectueux de l'environnement. La question de l'eau mobilise l'opinion aux États-Unis au point que, en dépit de ses problèmes avec la justice et en pleine affaire Monica Lewinsky, le président Clinton a trouvé le temps, le 30 juillet 1998, de se rendre en Caroline du Nord pour lancer le projet environnemental "Save the rivers" (Sauvons les cours d'eau) et déclarer "American Heritage" (Inscription à l'inventaire des sites nationaux) la New River dans cet État. Le 30 mars 2002, The Los Angeles Times, consacrait un éditorial à la pénurie d'eau qui s'installe à... New-York, et après avoir rappelé la situation critique chronique de la Californie du Sud, soulignait que la situation de la mégapole, à cet égard, "vient rappeler que l'eau ordinaire restera une question extraordinaire sur le plan national".
Si le lac Owen a été dévasté en Californie pour alimenter des millions d'habitants, au Maroc, le joli petit lac de montagne Dayat Aoua, à une trentaine de kilomètres de Fès, jadis un lieu de villégiature avec un charmant hôtel, a vu, en très peu de temps, disparaître ses eaux par la volonté de Hassan II. Le sultan a en effet ordonné le détournement de la source alimentant ce lac pour utiliser l'eau dans son château d'Ifrane... où il ne séjournait que quelques semaines de loin en loin ! L'auteur – Mohamed Larbi Bouguerra est ancien professeur à la Faculté des Sciences de Tunis et ancien directeur de recherche associé au CNRS. II est en charge du Programme mobilisateur eau de l'Alliance pour un monde responsable, pluriel et solidaire.