Le manque d’accès à l’assainissement touche près de 41 % de la population mondiale. La situation est particulièrement préoccupante en Afrique subsaharienne, où le taux d’accès à l’assainissement est le plus faible : 63 % des habitants n’ont pas accès aux dispositifs d’assainissement de base, particulièrement en milieu rural. Dans d’autres proportions, cette crise touche aussi certains pays européens voisins où l’accès à l’assainissement n’est pas un dossier réglé. En France enfi n, certaines populations n’ont pas accès à des toilettes. Il est utile de rappeler brièvement quelle est la situation à ces différents échelons…
La crise de l’assainissement en Afrique touche 6 habitants sur 10 – En Afrique subsaharienne, seuls 37 % des habitants ont accès à l’assainissement. Dans certains de ces pays, en raison d’une augmentation de 85 % de la population urbaine entre 1990 et 2004 et malgré les efforts fournis, le nombre de ménages urbains n’ayant pas accès à l’eau potable ou à l’assainissement aurait doublé depuis 1990 (Source : Atteindre l’OMD relatif à l’eau potable et à l’assainissement, le défi urbain et rural de la décennie, OMS et UNICEF). En l’absence de toilettes, les populations sont contraintes de se "soulager" à l’extérieur de leurs habitations, dans le milieu naturel. La proximité de ces excréments expose les populations à de nombreux risques sanitaires, au prix de vies humaines. En Afrique, toutes les heures, 115 personnes meurent de maladies liées à un assainissement défectueux, aux problèmes d’hygiène ou à de l’eau contaminée (Source : faits et chiffres sur l’assainissement, site Internet de l’OMS). L’ampleur de la crise est telle qu’il est impératif d’envisager des interventions nationales. Les projets ponctuels ne suffi ront pas à résoudre les impacts sanitaires colossaux du manque d’accès à l’assainissement de base et à l’hygiène. La mise en place de vastes plans nationaux pour la réalisation d’infrastructures sanitaires est indispensable. De plus, elle ne suffit pas à elle seule pour susciter, au niveau des individus, une prise de conscience des impacts sanitaires : la promotion de meilleures pratiques d’hygiène et d’assainissement de base est une exigence de santé publique et une nécessité pour améliorer la santé et la qualité de vie des communautés, notamment en zone rurale.
Quelle est la réalité d’un quotidien sans toilettes ? – La réalité d’un quotidien sans ouvrages d’assainissement signifie la défécation en plein air et l’absence de système d’évacuation des eaux usées. En cas de dispositif d’assainissement, le problème n’est pas réglé s’il est inadéquat. Illustration basique : souvent, les excréments sont déposés dans une fosse sèche dont le fond est rarement bétonné. Et si l’implantation de l’ouvrage n’a pas tenu compte de certaines normes (éloignement des puits), les excréments contenus dans la fosse peuvent, par infiltration souterraine, polluer les nappes phréatiques dans lesquelles est puisée l’eau pour la consommation humaine.
En Afrique subsaharienne, les disparités d’accès à l’assainissement sont particulièrement importantes entre le milieu urbain et rural, avec une différence de 29 points, respectivement 55 % et 26 % en 2002 (Source : Objectif 7 Assurer un environnement durable, ONU).
En milieu rural, peu de personnes ont conscience qu’une défaillance en matière d’assainissement est source de nombreuses maladies. L’absence d’accès à l’assainissement est d’abord ressentie comme un problème nuisant à l’intimité plutôt qu’un problème sanitaire. Les individus peuvent être contraints de se lever à l’aube afin de trouver un endroit pour déféquer à l’abri des regards, parfois très éloigné, de traverser les champs, les voies ferrées, et les routes dans l’obscurité au risque d’être agressés ou attaqués par des animaux (morsures de reptiles par exemple), ou de se retenir parfois toute la journée pour attendre l’obscurité du soir, plus propice pour se cacher.
Dans les villes
Les structures d’assainissement
sont très marginales. Traditionnellement,
elles se résument à un
système de fosse sans couvercle
où les excréments sont stockés.
Les excrétas sont en contact avec
les êtres humains par l’intermédiaire
des mouches. Lorsque la
fosse est pleine, elle est vidangée.
Les boues de vidange sont rejetées
sans traitement dans des
décharges publiques à l’intérieur
des villes ou dans des lieux périphériques
en plein air. Ces sites
de rejet sont le plus souvent à proximité des lieux de vie humaine
ou de sources d’eau, ce qui engendre
d’importants problèmes
localement. Ces problèmes prennent
d’autant plus d’ampleur face
à une croissance démographique
importante en milieu urbain et à
des infrastructures souvent vétustes
ou en voie de dégradation.
À Kibéra, plus grand bidonville
d’Afrique subsaharienne situé au
centre de Nairobi, les habitants
n’ont pour la plupart pas accès
à l’assainissement : ni toilettes
privées ni toilettes publiques. Ce
défi cit contraint les habitants à
déféquer dans des sacs en plastique
qu’ils jettent ensuite dans des
fossés ou en bordure de route.
C’est ce qu’on appelle là-bas les "toilettes volantes".
Lorsqu’il existe un système d’assainissement,
il s’agit la plupart du
temps de latrines à fosse. Dans
certains endroits, 150 personnes
doivent partager une même latrine,
ce qui ne permet ni de s’isoler ni
d’assurer les conditions basiques
de sécurité et d’hygiène. Ces latrines
sont souvent mal entretenues,
et les fosses peu profondes débordent
dès qu’il pleut.
Les habitants de ce bidonville n’ont
pas les ressources suffi santes
pour mettre en place un système
d’assainissement : la construction
de latrines à fosse coûte environ
45 dollars US, soit deux mois de
salaire minimum. Parallèlement, la
municipalité de Nairobi ne fournit
pas de services d’assainissement
à Kibéra. Rappelons ici que selon
le PNUD, les chiffres fournis par
le gouvernement kenyan au titre
des OMD indiquent que 99 % de la
population de Nairobi dispose d’un
système d’assainissement, chiffre
qu’il qualifie "d’invraisemblablement
élevé" (Source : Rapport
mondial sur le développement
humain, PNUD, 2006).
À 2 heures de France, des millions d’européens n’ont pas accès aux toilettes – L’assainissement est un sujet souvent oublié dans les anciens pays du bloc soviétique. Pourtant, il est loin d’être anecdotique dans les pays d’Europe orientale. Si de façon générale, les résultats en matière d’accès à l’assainissement dans les pays d’Europe de l’est sont meilleurs que la moyenne des pays à revenu faible ou intermédiaire, il reste de sérieux efforts à fournir. Selon les données les plus récentes, sur les quelques 877 millions de personnes qui vivent dans la Région européenne, telle que défi nie par l’OMS, environ 85 millions d’habitants (10 %) ne bénéfi cient pas encore d’un assainissement de bonne qualité, et cette situation n’a pratiquement pas évolué ou s’est détériorée dans certaines zones. Ces conditions médiocres ou inexistantes d’assainissement ont les mêmes répercussions qu’en Afrique : elles tuent. Selon une estimation de l’OMS, 13 500 Européens de moins de 14 ans meurent chaque année suite à des maladies notamment liées à des problèmes hydriques (Source : Une eau plus potable et un meilleur assainissement préviendraient des millions de cas de maladies hydriques chaque année dans les pays européens, OMS Bureau régional de l’Europe, communiqué de presse 2005). Les maladies d’origine hydrique et dues à une mauvaise hygiène représentent une lourde charge: en 2005, 166 000 cas ont été notifiés dans la région européenne.
La réalité d’un quotidien
sans toilettes dans les zones
rurales d’Europe
– La propagation de maladies
transmises par l’eau est particulièrement
fréquente en Europe
de l’Est. Et la situation est encore
plus grave dans les zones
rurales.
Dans la plupart des pays de cette
région, c’est en moyenne 20 % de
la population qui vit dans les zones
rurales. Les chiffres relatifs aux
taux de raccordement en milieu
rural sont parlants: c’est plus de
la moitié de la population qui ne
dispose pas d’un approvisionnement
fi able en eau potable et/ou
de systèmes d’assainissement
adéquats.
Le système d’assainissement de
base se résume à de simples latrines
de fortune, non étanches, et
la plupart des excrétas humains et
"eaux grises" (eaux usées d’origine
domestique) sont déversés
directement dans la nature, ce qui
engendre des impacts lourds sur
l’environnement et augmente les
risques de contamination des puits
utilisés pour collecter l’eau servant
à la consommation humaine. De
plus, comme en ville, quand un
système d’assainissement existe,
il se dégrade faute d’entretien. Le
délabrement des infrastructures
est un frein majeur au développement
rural. Les moyens d’investissement
sont faibles, et on constate
très souvent un manque de compétences
locales pour élaborer les
solutions techniques.
Même dans les pays récemment
entrés dans l’Union Européenne,
les problèmes persistent. En
Bulgarie par exemple, les systèmes
d’adduction d’eau sont relativement
bien développés et desservent la
quasi totalité des populations. En
revanche, dans les zones rurales
où vit environ 15 % de la population,
les systèmes de collecte
et de traitement des eaux usées
sont quasi inexistants. Faute de
système permettant de mettre les
excréments à l’écart de tout contact
avec les humains, ils s’exposent à
une contamination de leur environnement
et de leur eau, avec des
répercussions directes sur la santé
et les conditions de vie.
En France, pays riche qui apparaît dans les statistiques comme fournissant un accès à l’assainissement à 100 % de sa population, certaines populations n’ont pourtant pas accès à des toilettes. Ce n’est que très occasionnellement que l’assainissement fait l’actualité en France. Exceptionnellement, début 2008, les médias se faisaient le relai d’un rapport annuel de l’Observatoire national de la sécurité des établissements (ONS) et rapportaient que les WC utilisés par les enfants dans certaines écoles étaient mal entretenus, mal nettoyés, et manquaient d’intimité, obligeant les élèves à attendre de rentrer chez eux pour se rendre aux toilettes. Avec une prise de risque importante : infections urinaires, constipations voire incontinences futures.
Des populations exclues de l’accès aux toilettes – La question des exclus des toilettes ne fait pas la Une des journaux. Et pourtant, la France compte aussi ses exclus des toilettes : ils sont en minorité et souffrent pour la plupart d’autres exclusions, celle de l’accès à des toilettes n’en étant qu’une parmi d’autres. La situation des personnes handicapées est ainsi loin d’être réglée. Si des efforts sont fournis pour développer des cabines adaptées aux contraintes de déplacement des personnes à mobilité réduite, il n’existe pas encore de réfl exe automatique de mise aux normes pour faciliter cet accès. De même, dans nos villes, les personnes sans domicile fixe sont souvent contraintes de déféquer dans la rue. Si ce n’est pas sous nos yeux, c’est derrière des buissons, ou au mieux dans les toilettes publiques lorsqu’elles sont gratuites. Dans les centres d’urgence, les toilettes sont dans un état encore plus préoccupant que celui de nos écoles (trop peu nombreuses par rapport aux besoins, sales, mal odorantes, etc.).
Des Français privés d’assainissement – D’autres situations inacceptables persistent en France, dont on n’entend pas souvent parler : l’accès à l’assainissement pour les habitants des DOM-TOM. À Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, malgré un plan élaboré en 1986 pour résoudre le problème d’accès à l’assainissement, la situation est jugée préoccupante. Dans un rapport, la Chambre territoriale des comptes de Nouvelle-Calédonie a mis en cause une mauvaise mise en œuvre du plan par la municipalité et dénoncé les impacts environnementaux. L’exécution du plan de 1986 est jugée "insuffisante et désordonnée" (Source : Rapport d’observations défi nitives établi à la suite du contrôle des comptes et de l’examen de gestion de la commune de Nouméa, Chambre territoriale des comptes de Nouvelle-Calédonie, 2007). En 20 ans, la commune de Nouméa n’a réalisé qu’une seule station d’épuration supplémentaire, pour les quartiers , alors que dans le même temps la ville a connu une urbanisation galopante (27 000 habitants supplémentaires). Le système d’assainissement est pratiquement inexistant, vétuste et mal adapté à la densité de la population, et les eaux usées continuent de se déverser dans la mer.
Le quotidien d’un Rrom dans un bidonville de la région parisienne – Les populations Rroms vivent parfois dans une extrême précarité. Un des problèmes majeurs rencontrés dans les campements de Rroms de la région parisienne est l’absence ou l’insuffi sance, dans certains cas, d’infrastructures sanitaires de base, et notamment de toilettes. Plus la concentration de population est importante, plus le problème sanitaire lié à l’absence de toilettes est critique. Le bidonville "Chemin Vert" était situé sur la commune d’Aubervilliers, en Seine Saint-Denis. Environ 250 personnes vivaient sur ce campement installé sur un terrain vague. Les habitants ont construit à leur arrivée 4 toilettes de fortune (une fosse creusée dans le sol et recouverte d’une palette en guise de plancher) : 2 toilettes pour les hommes et 2 pour les femmes, soit une pour 62 personnes. A titre d’éclairage, les normes de l’OMS en matière d’assainissement sont 1 toilette pour 25 personnes maximum. Les 4 toilettes existantes étaient dans un état d’insalubrité extrême et 2 de ces toilettes ont dû être très rapidement condamnées car les fosses débordaient. Est-il utile de rappeler ici quels peuvent être les impacts sanitaires pour les habitants de ce campement, et plus particulièrement pour les enfants ? Ce bidonville existait jusqu’en 2006. Il ne s’agit que d’un exemple, mais ces populations rencontrent souvent de tels problèmes d’accès à l’assainissement sur les campements qu’elles occupent.