Pierre MAIN
H2o – septembre 2001
Les établissements thermaux français accueillent chaque année près de 600 000 curistes. Mais le thermalisme ne représente que 0,25 % des dépenses d'assurance maladie et moins de 1 % de la consommation médicale totale… Belle performance pour une spécialité qui a disparu des programmes de médecine.
La richesse thermale de la France est considérable : le pays compte 1 200 sources et 104 stations thermales ; la différence provenant du fait qu’une station peut abriter plusieurs sources et que toutes les sources ne sont pas nécessairement exploitées par une station. La France représente ainsi 20 % du capital thermal de l’Europe.
Les sources sont réparties sur l’ensemble du territoire, avec une concentration plus marquée dans les terrains volcaniques. La richesse de ce patrimoine ne réside pas seulement dans son abondance, mais aussi dans sa diversité : les différentes familles d’eau minérales (voir plus loin) sont toutes représentées.
Historiquement, l’utilisation thérapeutique des eaux minérales remonte fort loin, bien antérieurement à l’époque gallo-romaine et très probablement à celle du néolithique ; et deux grandes périodes de développement peuvent être considérées : la période gallo-romaine et la seconde moitié du 19ème siècle. Au cours de cette dernière période, de nombreux établissements de soins ont été construits, composant aujourd’hui un riche patrimoine architectural.
Bien que le mot "thermal" évoque l’idée de chaleur, toutes les eaux ne sont pas chaudes. Leur thermalité va de 7 °C à Forges jusqu’à 81,5 °C à Chaudes-Aigues. On distingue ainsi trois catégories :
La "machine thermique" qui est à l’origine de la thermalité fonctionne, schématiquement, de la façon suivante : la densité de l’eau diminuant quand sa température augmente, l’eau réchauffée dans les profondeurs de la terre tend à remonter vers la surface, sa circulation étant facilitée par le fait que l’élévation de température diminue sa viscosité. C’est l’effet de "thermosiphon" : l’eau froide s’enfonce, puis se réchauffe, puis remonte. Sa circulation en profondeur draine une chaleur accumulée depuis des centaines, voire des millions d’années. Cette chaleur provient pour une grande part des 15 à 20 premiers kilomètres de la croûte terrestre, et, pour une part plus modeste, du manteau, encore plus profond. L’effet thermosiphon explique les différentes compositions des eaux. C’est en effet au cours de leur "trajet" qu’elles se chargent des éléments qui les constituent. Les eaux les plus profondes, dites plutoniennes, sont les plus anciennes (on estime leur âge en millions d’années ) et généralement les plus chaudes. Les eaux superficielles, dites neptuniennes, sont plus fraîches et plus récentes.
Cette classification concerne les eaux fortement minéralisées et distingue 5 grandes familles :
1. Les eaux chlorurées sodiques
2. Les eaux bicarbonatées (ou carboniques)
3. Les eaux sulfatées
4. Les eaux sulfurées
5. Les eaux minéralisées oligométalliques
Il faudrait ajouter les eaux radioactives (présence de radon) car, si toutes les eaux le sont, certaines sources bénéficient d’une radioactivité plus importante entraînant des propriétés thérapeutiques (exemples Luchon, Plombière).
En France, la minéralisation varie de 0,40 à 258 g/°/oo, sachant qu’une eau thermale peut présenter à l’analyse plus de 40 éléments différents, certains à l’état de traces.
Différenciées par leur thermalité, leur minéralisation et leur radioactivité, les eaux se caractérisent aussi par leur couleur, leur limpidité, leur odeur, leur saveur et diverses variables physiques : densité, pH, rH2, conductivité, pression osmotique...
Le captage d’une eau thermale est une opération délicate qui nécessite des forages parfois profonds, de 150 à 1500 mètres. En approchant de la surface, l’eau peut être exposée à un risque de mélange (avec des eaux naturelles) ou de pollution. Peu de temps après sa sortie du griffon, l’eau minérale perd ses propriétés initiales. Certaines, après dix minutes se troublent et présentent un fin précipité. Il y a donc une différence fondamentale entre l’eau qui jaillit du griffon et l’eau embouteillée. Cette dernière ne peut être utilisée qu’à des fins de diurèse.
Un bon captage doit garantir le débit, les caractères physico-chimiques et la pureté de l’eau ; il est assuré par des ingénieurs du Services des mines.
L’exploitation des sources est soumise à une autorisation ministérielle, comportant l’aval de l’Académie de médecine (en cas d’exploitation thérapeutique) et un rapport complet établi par le Laboratoire national de la santé.
Les conditions d’exploitation sur sous la surveillance de la DDASS, de la DRIRE et du BRGM. Le dispositif de surveillance (prélèvements au point d’émergence, aux points d’usage…) a été renforcé par plusieurs arrêtés ministériels (1989, 1992), il intégrera la nouvelle directive de la Direction générale de la santé (application juin 1999) sur la prévention des risques de légionellose. L’ensemble des établissements s’est engagé dans une démarche de normalisation sous l’égide de l’AFNOR.
Les entreprises agro-alimentaires propriétaires de nombreuses sources (Danone, Nestlé...) ont procédé à de larges achats de terrains environnant les points d’émergence, ce afin de prévenir l’installation d’activités polluantes.
Le terme "crénothérapie" couvre toutes les utilisations, interne et externe, d’une eau minérale à des fins thérapeutiques. On emploie aussi les termes d’hydrologie thérapeutique, à ne pas confondre avec celui d’hydrothérapie qui recouvre l’emploi externe de n’importe quelle eau, avec ou sans objectif thérapeutique.
La crénothérapie française possède la particularité d’être "spécialisée", à l’inverse des autres pays où le thermalisme ne possède pas d’orientation thérapeutique majeure, à quelques exceptions près. Cette spécialisation est liée à la diversité des eaux. Elle tend cependant à se relativiser, de nombreuses stations mettant en valeur leur indication principale et leurs indications secondaires, tout en offrant au curiste la possibilité d’une cure portant sur la première et l’une des secondes. Ainsi, la Chaîne Thermale du Soleil, qui regroupe 20 stations, propose des traitements simultanés de deux indications, par exemple : Voies Respiratoires et Rhumatologie.
La durée d’une cure thermale est de 21 jours. Cette durée n’est pas l’effet du hasard mais le délai nécessaire pour obtenir un effet optimum. Ce délai a été mis en évidence par les travaux de l’école du Professeur C. Debray sur le pouvoir zymosthénique des eaux, c’est-à-dire leur intervention dans les mécanismes cellulaires.
Selon le Professeur Roux, la crénothérapie est "une méthode, un médicament, un mode de vie". En effet, le thermalisme réussit une synthèse parfaite entre le préventif et le curatif, l’action des eaux ne concerne pas seulement l’organe visé mais l’ensemble de l’organisme, enfin, la station thermale est un lieu privilégié de récupération physiologique et psychologique. Il s’agit bien d’une approche globale.
Les orientations thérapeutiques et les soins – On distingue onze grandes orientations thérapeutiques, classées ici en fonction du nombre de stations thermales agréées pour les traiter :
Les techniques de cure sont adaptées aux différentes indications et aux propriétés intrinsèques des sources. Le mode d’administration de l’eau minérale étant un équivalent de la forme galénique pour les médicaments, il est normal que l’on retrouve, d’une station à l’autre, des types de soins ou des modes d’administration analogues :
Une médecine naturelle – La crénothérapie est l’objet de nombreuses études scientifiques, tant en France qu’à l’étranger. La base de données de l’INSERM témoigne de l’abondance de publications consacrées à ce mode de traitement. De nombreux médecins ignorent ces publications du fait que, depuis 1968, la crénothérapie n’était plus enseignée ; elle a été réintroduite en 1997 dans les enseignements obligatoires du 2ème cycle des études médicales. Auparavant, elle figurait au programme de thérapeutique, mais cette discipline elle-même a été progressivement négligée au profit du diagnostic.
Il a été pourtant prouvé que la cure thermale détermine trois effets positifs, appréciables tant pour les malades que pour la collectivité :
L’efficacité du thermalisme n’est donc pas contestée, en particulier pour les pathologies chroniques et rebelles. Il faut en effet souligner que la cure thermale intervient souvent en complément de traitements successifs qui ne se sont pas révélés suffisamment efficaces. Elle est alors d’autant plus appréciée par les médecins et les malades qu’il s’agit d’une médecine naturelle, et qu’elle ne vient pas augmenter, mais au contraire diminuer la prise de médicaments allopathiques .
Les établissements thermaux ont accueilli en 1998 une population de 565 000 curistes. Cette population a subi une légère érosion depuis 1990 (environ 100 000 curistes), qu’elle tend à récupérer lentement. Avec seulement 1 % de la population ayant recours aux cures thermales, on peut considérer que la richesse thermale française est sous-exploitée.
Enfin, il faut signaler que le thermalisme, qui représente plus de 100 000 emplois permanents ou saisonniers, ne contribue que pour 0,23 % aux dépenses d’assurance maladie et que pour 0,85 % à la consommation médicale totale.
Seul un médecin peut prescrire une cure thermale, en utilisant le formulaire de prise en charge, sur lequel il indique la station proposée et l’orientation thérapeutique. Le médecin peut prescrire une double indication, traitant deux affections. Ce formulaire est transmis aux Caisses Primaires ou Régionales d’Assurance Maladie qui doivent délivrer l’imprimé de prise en charge dans les meilleurs délais. La sécurité sociale rembourse à 70 % (100 % pour certaines catégories de malades) les honoraires médicaux du médecin thermal, lequel détermine le traitement thermal et conduit la cure. Les soins thermaux sont remboursés à hauteur de 65 %. Sous conditions de ressources [Pour 1999, le plafond de ressources reste fixé à 96 192 francs pour une personne, plus 50 % pour le conjoint et chaque ayant droit à charge. Le voyage est pris en charge à 65 % sur la base d’un billet AR SNCF de seconde classe, le séjour est pris en charge à 65 % sur la base d’une indemnité forfaitaire de 984 francs], le curiste peut bénéficier d’un forfait couvrant une partie de ses frais d’hébergement, de transports, et des indemnités journalières. Il appartient au curiste de réserver sa cure et son hébergement. Il est préférable, si possible, d’éviter les mois d’août et de septembre, les plus fréquentés.
Depuis 1999, il a été procédé à une unification des tarifs de tous les établissements thermaux. Deux types de forfait pour 21 jours ont été établis : un forfait comprenant les soins seuls (de 3 à 6 soins quotidiens), et un forfait incluant les prestations de kinésithérapie.
Voici quelques conditions tarifaires, à titre d’exemple :
Aujourd’hui, plus de 80 % des stations thermales proposent des séjours de santé et de remise en forme. Ces séjours de courte durée (6 à 12 jours maximum) ne sont en aucun cas substituables à la cure classique. Ils représentent une réponse à la demande de personnes en activité souffrant d’une affection chronique mais ne pouvant se libérer pour une durée supérieure, et s’adressent aussi à personnes jeunes qui désirent utiliser ces séjours à titre préventif. Dans une certaine mesure, il s’agit également d’une réponse du thermalisme à la concurrence croissante de la thalassothérapie.
Ces séjours peuvent prendre deux formes :
Ces séjours ne peuvent faire l’objet d’une prise en charge par la Sécurité Sociale. Nous sommes donc bien dans le cas d’engagements individuels préventifs sur des thèmes clairement identifiés : minceur, jambes lourdes, mal de dos, souffle, protection contre le stress, beauté et santé de la peau, détente et bien-être, sevrage du tabagisme, post-natalité. .