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Paris, ville ouverte

 

L'un des derniers grands sièges que la capitale eut à subir fut mené par le futur Henri IV, de mai 1590 à juillet 1593. Les chroniques rapportent une famine complète : la quasi totalité des chiens et des chats finit dans les assiettes, on mangea même des rats et des souris, et l'on signale quelques cas d'anthropophagie. Ce siège mettait un terme aux désastreuses guerres de religion, avait réduit la population de la ville de moitié, et venait clore dans la douleur le XVIème siècle, celui de la Renaissance.

Henri IV entreprit une oeuvre de reconstruction, poursuivie en partie sous la régence de Marie de Médicis. D'origine italienne, la reine est choquée par la laideur d'une ville d'aspect trop médiéval, aux rues tortueuses, boueuses et puantes, rejoignant Montaigne lorsqu'il parle de "l'air puant et poissant" de Paris. Déjà, une ordonnance de 1539 enjoignait, sous peine d'amende (et même de punition corporelle) de tenir propres les maisons, les rues et les places. La Coutume de Paris, dans sa rédaction de 1590, concernant la voierie, ordonnait la présence d'un mur de 4 pieds d'épaisseur pour séparer un puits d'une fosse d'aisance mitoyenne ; elle préconisait également que "tous propriétaires des maisons en la ville et faubourgs sont tenus avoir latrines et privés suffisants en leurs maisons".  Dire que ces règles étaient respectées serait beaucoup dire. On voyait, dans les quartiers, des trous, dits "trous punais", vastes réservoirs d'immondices, répandant une puanteur tenace. Marie de Médicis, à défaut de créer des égouts, engagea la construction d'un aqueduc dont le tracé reprenait celui de l'ouvrage romain. Le plan définitif fut établi par le fontainier Thomas Francine, dont le fils devait s'illustrer à Versailles. Long de 13 kilomètres, l'aqueduc partait de la source de Wissous pour aboutir rue d'Enfer. Il était flanqué de chaque côté d'un périmètre de protection de 30 mètres.

La quatrième enceinte fut édifiée par Louis XIII, concrétisant l'extension de la ville : elle partait de l'actuelle place de la Concorde pour aboutir à la porte Saint-Denis, englobant deux nouveaux quartiers, celui de la rue de Richelieu et le faubourg Saint-Honoré. Cette enceinte n'avait guère de valeur défensive, c'était plutôt une sorte de terrassement qui, vers 1660, commençait déjà à s'ébouler, alors que celle de Charles V tombait en ruine. Louis XIV les fit démolir pour les transformer en "cours", ou promenade de 36 mètres de large, pourvue de deux contre-allées plantées d'arbres. Ce fut l'origine des Grands Boulevards. Paris cessait donc d'être enclose et devenait une ville ouverte.
 

Paradoxe du Grand Siècle

Dans une ville de 400 000 habitants (chiffre approximatif sous Louis XIII), le problème de l'eau ne peut pas ne pas se poser. Mais il se pose curieusement. Au cours du XVIème siècle, l'eau a cessé d'être auxiliaire de l'hygiène. Celle du bain est accusée de dilater les pores et de rendre la peau vulnérable aux miasmes qui la pénètrent. On passe donc à la "toilette sèche" ; pas d'ablutions mais un simple nettoyage, par frottement, avec un linge. La propreté se transfère sur le vêtement, protecteur du corps. Est malpropre non celui qui ne se lave pas, mais celui qui ne peut changer de vêtements au cours de la journée. Pendant les épidémies, les médecins revêtent un vêtement ample, au tissu serré et glissant, se coiffent d'un chapeau pointu et portent un masque pour opposer une barrière aux "exhalaisons morbifiques". L'eau est soupçonnée mais on ne cesse pas pour autant de boire l'eau des puits, contaminée par le salpêtre, les détritus et les matières fécales. On utilise toujours l'eau du fleuve, fortement polluée par de multiples agents : eaux sales des riverains et des habitants des ponts, cadavres d'animaux, rejets d'activités artisanales. On additionne cette eau d'un peu de vinaigre pour se laver les dents, on la complète de tisanes pour les clystères. Il y a là un paradoxe assez curieux. C'est probablement ce paradoxe qui explique pourquoi, au début du règne de Louis XIV, Paris ne possède que 24 égouts, dont plus d'un tiers est effondré, ou obstrué par des boues épaisses ; pourquoi il n'y a, dans toute la ville, moins de 20 fontaines publiques. Ces fontaines sont essentiellement réservées aux porteurs d'eau, à bretelle ou à tonneau, qui se sont multipliés : ils seront plus de 10 000 à la fin du XVIIIème siècle, pour porter et vendre l'eau aux étages.

La construction de la première pompe à eau, la fameuse Samaritaine, date de 1608. Sa raison d'être n'est pas vraiment le début d'un système de distribution de l'eau, mais... le feu ! Dans ce Paris bâti à poutres et à torchis, aux maisons serrées dans leurs rues étroites et tortueuses, le moindre incendie prend vite des proportions catastrophiques. Il faut pouvoir prélever rapidement une grande quantité d'eau du fleuve (plus on en est éloigné, plus le risque est grand) pour maîtriser le sinistre. La Samaritaine débitait 700 m3 par jour, ce qui n'est pas énorme. Vers 1650, on découvrit les eaux de Passy et d'Auteuil (c'était la campagne, alors) ; les premières étaient réputées antianémiques, et les secondes ferrugineuses, leur usage fut donc exclusivement médical, au même titre que les eaux thermales.