La Restauration et le début du Second Empire sont la période pendant laquelle s'intensifie la fonctionnalisation du milieu aquatique terrestre. Les eaux courantes sont progressivement assimilées à leurs fonctions productives.
L'eau devient un "outil" indispensable à l'industrialisation et à la "régénération" de l'agriculture. Il s'agit de renforcer par une artificialisation croissante ses propriétés économiquement utiles en réduisant ses variations pour en faire une fonction stable.
Dès 1817, le programme Becquet qui propose de constituer un réseau cohérent pour la navigation intérieure, marque le début de ce processus. L'état, malgré ses réticences à payer, fera un effort financier considérable pour creuser des canaux, régulariser les grands fleuves, construire des quais à la place des grèves dans les villes.
Cette priorité accordée à la navigation intérieure imprégnera longtemps la mentalité des ingénieurs des Ponts et Chaussées qui auront tendance à négliger les autres usages des eaux courantes qu'ils considèrent souvent comme moins nobles, car moins sujets aux prouesses techniques. En effet, certains canaux seront de véritables laboratoires d'hydraulique théorique et appliquée.
Pour marquer leur empreinte sur ce réseau, les ingénieurs des Ponts et Chaussées commencent à se servir d'un langage formalisé à prétention universelle. Ils adoptent un langage technique et produisent un arsenal réglementaire qui transcende les acteurs et les contextes locaux.
Cela aura pour conséquence une faible prise en compte des besoins et des pratiques effectives, une valorisation excessive du potentiel technique ou une importance plus grande donnée à l'outil réglementaire.
Cette attitude est essentiellement le fait des ingénieurs des services centraux. En effet, d'après nos études les ingénieurs ordinaires des services départementaux sont souvent plus proches des réalités du terrain et tiennent compte des pratiques des riverains. Ils se présentent comme des "guides" serviteurs de l'État, chargés de diffuser la modernité. Dans le cas des services que nous avons étudiés, ils font un travail considérable (de collecte statistique et d'expérimentation locale). Il serait intéressant, à travers l'analyse du fonctionnement d'autres services hydrauliques, de voir comment à travers eux se fait l'intervention de l'État.
Le petit nombre d'aménagements hydrauliques réalisés de la Monarchie de Juillet au début du Second Empire et leur faible envergure, confirme notre hypothèse selon laquelle il y a inflation du discours mais peu de réalisations concrètes. En effet, l'action publique et individuelle est alors hésitante car elle est confrontée à des blocages de différentes natures :
Tous ces échecs, ces blocages, toutes ces inerties et ces rivalités contribuent pourtant à mettre en place l'objet "eau", car ils tendent à fractionner les usages utiles des eaux. Il sera ainsi plus facile de les stabiliser avec des lois et des experts, faute de pouvoir totalement en avoir la maîtrise physique. On le voit, l'État joue un rôle essentiel même par son désengagement ou ses hésitations. Il contribue à façonner les nouvelles représentations sociales des eaux courantes à savoir : une juxtaposition d'usages économiques.