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Le temps est aux solutions concrètes et aux engagements durables

Ce qui comptera à Marseille, lors du 6ème Forum mondial de l'eau, c'est surtout la capacité que nous aurons à faire échanger des solutions nouvelles qui porteront l'espoir de tous ceux qui aspirent à accéder à un service public de l'eau et de l'assainissement sécurisé.

l’interview de Loïc FAUCHON
président du Conseil Mondial de l'Eau – WWC


propos recueillis par Martine LE BEC
en collaboration avec l’IRC – le Centre international de l’eau et de l’assainissement
Catarina FONSECA, Senior Programme Officer, Global Team
Ewen LEBORGNE, Programme Officer, Africa Team
Caridad MACHÍN, Programme Officer, Global Team
Christine SIJBESMA, Senior programme officer, South Asia & Latin America team
Cor DIETVORST, Programme Officer, Global team.
Sources Nouvelles, IRC – 4ème trimestre 2010

 

Quels sont les aspects vraiment novateurs du Forum mondial de l’eau qui se tiendra à Marseille en mars 2012 – le WWF-6, par rapport aux précédents forums ?


Au cours des précédents forums un travail important a été effectué pour présenter ce que j'appellerai  "la situation faite à l'eau" dans le monde. Évaluations, analyses, rapports, se sont succédés pour attirer l'attention du grand public autant que des décideurs de tous niveaux. Les médias se sont attachés à souligner le caractère dramatique de cette situation. Les décès liés à l'eau, dus à l'importance des maladies hydriques, l'extension inquiétante de nouvelles formes de pollution à l’aval des méga-cités ont focalisé l'attention. Les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) ont eux-mêmes ont fixé des objectifs très contraignants, cependant sans détailler les moyens d'y parvenir.

Il est temps de franchir une autre étape et de progresser plutôt que de constater. Le temps est aux solutions concrètes et aux engagements durables.

Le prochain forum veut  privilégier l'action et pas seulement l'analyse. C'est la première véritable innovation. Pour lui donner des racines solides et indiscutables, ce forum aura une dimension populaire et citoyenne beaucoup plus large. Nous avons l'ambition de créer des centaines d'événements tout au long des 18 mois qui viennent, partout dans le monde pour donner la parole à des millions de personnes. Pour la première fois dans l'histoire des forums un groupe spécifique, à travers la commission dite "des événements", s'attachera à donner une assise à la fois planétaire et locale aux solutions présentées et aux engagements demandés.



Quels enseignements tirés des cinq précédents Forums seront pris en compte pour cette édition ?

Les enseignements sont évidemment très nombreux au fil des forums successifs. Au-delà de ceux déjà évoqués, j'insisterai sur deux d'entre eux, dont nous voulons tirer parti pour un forum plus utile à Marseille en 2012.

Le premier est qu'il convient de donner une ampleur nouvelle à ce que nous appelons les processus régionaux. Les femmes et les hommes qui connaissent des solutions à mettre en œuvre sont sur le terrain. C'est à eux que nous voulons donner la parole beaucoup plus largement qu'auparavant.

Le second est de travailler plus étroitement encore avec ceux qui ont le pouvoir de décision pour faire progresser la cause de l'eau. Je pense notamment aux parlementaires et aux élus locaux qui, peu à peu à travers le monde, se voient confier un rôle majeur en matières de législation pour les uns et de gestion pour les autres. Ils auront la parole pour définir eux-mêmes les domaines dans lesquels ils veulent travailler, puis prendre eux aussi des engagements.



Le Forum de Marseille veut être "le Forum des solutions". Concrètement, quelles solutions et actions sont visées et comment garantir au mieux ce challenge ?

Au-delà de ce qui vient d'être dit, notre responsabilité d'organisateurs est d'abord de garantir la meilleure collecte possible de ces solutions. Elles ne sont pas simplement techniques ou technologiques, même si dans ce domaine nous devons bien sûr contribuer à une meilleure répartition des savoirs. Ces solutions peuvent évidemment être juridiques, financières ou concerner la gouvernance, pour autant qu'elles permettent de faire une place plus importante et plus efficace pour sécuriser la ressource en eau et son partage partout à la surface du globe.

Une solution, c'est aussi bien une pompe solaire rustique mais solide que l'obligation de donner l'accès à l'eau à chaque école. C'est également l'engagement d'une municipalité de fixer une priorité chiffrée à l'eau et à l’assainissement tout au long de son mandat.

Ni le Conseil Mondial, ni l'organisation du forum n’ont à déterminer ou à choisir en petit comité les solutions, bonnes ou mauvaises. Ce sont des milliers d'organisations qui tout au long du processus de préparation, dans des régions notamment, vont faire remonter ces solutions pour l'eau.


Comment sont assurés  l’évaluation et le suivi des différentes éditions ?

L'évaluation d'un forum est assurée conjointement par le Conseil Mondial et le pays organisateur dans les six mois qui suivent chaque forum. Un rapport a ainsi été établi après Mexico, puis Istanbul, diffusé à plusieurs milliers d'exemplaires et disponible sur les sites des pays concernés. Ce travail, bien qu’important, est encore insuffisant. Mon intention est de proposer à la France qu'un comité indépendant de cinq à sept sages désignés par chacun des collèges qui composent le Conseil Mondial de l'Eau soit mis en place. Il serait composé de personnalités extérieures au conseil ainsi qu'au pays organisateur. Ce comité de l'évaluation pourrait ainsi proposer des changements, des innovations, pour rendre le forum qui suivra encore plus ouvert et plus utile.



Sans doute les manifestations altermondialistes lors des  précédents forums mondiaux de l'eau ont-elles davantage attiré l'attention des médias que les débats et les déclarations ministérielles eux-mêmes. Le WWF-6 de Marseille  essayera-t-il  de combler le fossé entre l'industrie de l'eau et les groupes militants, par exemple en assurant un rôle de médiation pour intéresser les deux parties à un dialogue constructif ?



Les médias se nourrissent parfois de polémiques, sans se donner toujours la peine d'évaluer la légitimité de ceux qui les lancent. Au cours des deux précédents forums, à Mexico et Istanbul, nous avons vu tout au plus quelques centaines de personnes venir "faire de l'image" face à plusieurs dizaines de milliers de participants représentant 192 pays.  J'observe d'ailleurs qu’aussitôt après les images, parfois violentes, faites à l'extérieur de l'enceinte des forums, les protestataires s'empressent d'entrer pour participer à des sessions, qu'ils président parfois eux-mêmes.

Tous ceux qui ont participé à des forums savent qu'il est caricatural et absurde de résumer ces grandes manifestations à un affrontement entre "l'industrie" et les  "alters". Ce n'est ni l'esprit, ni la réalité de ce qui se passe. Il faut d'abord dire qu'à Istanbul, il y avait près de 2 000 ONG représentées et qui ont contribué à donner un souffle exceptionnel aux travaux du 5ème forum.

Le rôle de Conseil et celui de son président est de faciliter la préparation, la discussion et l'expression. Il n'y a pas une seule organisation qui puisse prétendre avoir demandé la parole et à qui on l'aurait refusée. Nous n'avons qu'une règle simple qui s'impose à tous : "Tu t'exprimes, mais tu écoutes les autres". Cette règle vaudra Marseille avec toujours plus de dialogue et de transparence. Et j'invite tous ceux qui en douteraient à se mettre directement en contact avec moi.



Voyez-vous des différences fondamentales entre les mondes francophone et anglophone dans les approches concernant l'approvisionnement en eau, l'assainissement et l'hygiène, le développement intégré des ressources en eau ?

Des différences fondamentales, non. Mais les approches à travers le monde ne sont pas les mêmes, c’est certain. Et pas seulement entre les anglophones et les francophones. Les différences ne sont pas nécessairement linguistiques. Elles sont plus souvent culturelles, voire d'essence religieuse. Elles sont aujourd'hui aussi souvent économiques : prenez l'exemple de l'assainissement  qui reste un luxe pour les plus pauvres.

En matière de gouvernance certains préfèrent la centralisation, d'autres prônent une responsabilité accrue donnée aux autorités locales et aux comités d'usagers. C’est la spécificité des forums de croiser ces approches différentes, de favoriser l'échange et de tendre parfois vers la synthèse.



Selon un article publié en février 2010 par AlterNet, le Forum de Marseille aurait reçu 1 million d’euros de l’Union Européenne et 38 millions de la France. Cela est-il exact ? Et si oui, une partie de ces sommes ne pourraient-elles  pas être mises au service d’une médiation comme mentionnée ci-dessus, ou  aller à des organisations du Sud disposant d’insuffisants moyens pour assister à de tels évènements internationaux ?

Vous mentionner là un article dont j'ignore l'existence. Ce que je puis dire, c’est que jusqu'à aujourd'hui aucune ligne de participation de la communauté européenne ne figure dans le budget du forum.

J'espère que l'Europe et ses institutions participeront à l'établissement du processus européen dont le leadership revient à la France en sa qualité de pays organisateur. En effet, il y a entre les différents pays européens des inégalités pour l'accès à l'eau et à l'assainissement qu'il faut rapidement combler… Ces inégalités surviennent parfois même à l'intérieur des pays eux-mêmes.

Concernant la participation des organisations des pays les plus pauvres, des aides sont apportées depuis le Forum de Kyoto en 2003. À Istanbul, c’est plus d'un millier de billets d'avion qui ont été attribués. Nous souhaitons à Marseille faciliter le transport et même l'hébergement de ceux qui n'ont pas toujours les moyens de les prendre en charge. Un forum qui a pour but d'amplifier les solutions pour l'eau n'a de sens que si les plus pauvres, les plus démunis y sont largement représentés. Présidant moi-même depuis 33 ans une ONG qui travaille en Afrique subsaharienne, je suis particulièrement vigilant sur ce sujet.



Le Sommet de New-York a été l’occasion pour les Nations unies de plaider pour un recentrage sur les OMD ; en matière  d’accès à l’eau, des "dérapages" sont déjà apparents en même temps que l’objectif en matière d’accès à l’assainissement semble irréalisable. Quelle est la contribution du WWF en faveur d’une amélioration durable des services ?

Vous avez parfaitement raison de souligner ce que vous appelez des "dérapages". Pour moi, ce sont des "erreurs inacceptables", commises durant la préparation du sommet de Johannesburg. L'eau et l’assainissement ont été rejetés au rang de sous-objectifs alors que l'eau concerne la quasi-totalité des OMD. Il y a moins d'un mois j'ai personnellement plaidé cette cause de l'eau à l'occasion d'une rencontre avec M. Ban Ki Moon à New York.

Le problème n'est pas tant de fixer des objectifs chiffrés sans base réelle que d'imposer de véritables priorités d'actions aux organisations internationales et aux gouvernements. Si nous avons lancé, il y a dix ans déjà, le slogan "les robinets avant les fusils", c'est bien pour demander à chaque État de s'engager sur la priorité budgétaire à donner aux services publics de base comme l'eau et l'électricité. Nous continuons à œuvrer dans ce sens, qu'il s'agisse du droit à l'eau, des financements innovants pour l'eau, de l'adaptation des technologies aux besoins des plus pauvres. L'eau, je le répète sans cesse, a autant besoin de conscience que de science.



L'Assemblée générale des Nations unies  a adopté une résolution dans laquelle elle déclare  l’accès à une eau potable, saine et propre comme un "droit fondamental, essentiel au plein exercice du droit à la vie et de tous les droits de l’homme". La résolution appelle les États et les organisations internationales à "fournir des ressources financières, renforcer les capacités et procéder à des transferts de technologies". Quelle contribution peut être attendue à l’issue du Forum mondial de Marseille pour aider ou supporter le droit à l’eau ?

Un pas important a été franchi avec cette résolution. Il faut se réjouir sans restriction de son adoption. Mais nous devons maintenant, tous ensemble, œuvrer à une application concrète et durable. Depuis 2003, nous souhaitons que chaque pays inscrive dans sa Constitution ou son Texte Fondateur, le droit à l'eau pour chaque citoyen. Voilà une demande que chacun d’entre nous  soutient aujourd'hui. C'est un symbole mais peut-on parler de droit à la santé ou à l'alimentation sans droit à l'eau ?

Nous voulons aller plus loin et, par exemple, faire partager la mise en œuvre d'allocations d'eau minimales pour les ménages les plus défavorisés. Nous créons en ce moment dans la région de Marseille des formes de chèques-eau pour les plus démunis. Mais en Afrique où la majorité des habitants est pauvre, c'est un autre combat qui s’impose : comme celui auquel nous sommes attachés pour imposer l'accès à l'eau dans toutes les écoles à construire ou déjà construites. Comment accepter de dispenser une éducation sans la dignité qu'apportent une eau saine et la présence de sanitaires ? Toutes ces questions seront parmi les sujets majeurs que nous traiterons lors du Forum de Marseille.



Combien de participants sont attendus à Marseille en mars 2012 ?

La quantité n'est pas un objectif en soi. Il y a eu à Mexico 18 000 inscriptions, puis 32 000 à Istanbul. Mais il ne doit pas y avoir de course au gigantisme. Ce qui compte c'est la qualité de nos travaux, avant et pendant. Mais c'est surtout la capacité que nous aurons à faire échanger des solutions nouvelles qui porteront l'espoir de tous ceux qui aspirent à accéder à un service public de l'eau et de l'assainissement sécurisé. C'est une grande ambition et nous voulons la faire partager par le plus grand nombre.   .
 

 

 ResSources
201012_fauchon_wwc.gif Conseil Mondial de l'Eau
WWF-6 Marseille 2012