Un grand soleil, de la poussière (car là-bas, c’est déjà la sécheresse) et un immense cortège qui serpente à travers champs derrière une anguille géante : des jeunes, beaucoup de jeunes, des militants aguerris et déjà grisonnants, venus des quatre coins de France et aussi des familles, des voisins de tous âges et des enfants, et même des nourrissons : très discipliné car ouvert par un tracteur-bateau pirate et fermé par un tracteur-balai (celui du goûter qui était prévu), le cortège ne faisait pas moins de deux kilomètres de long. Bannières de toutes les couleurs – celles du collectif Bassines Non Merci, des Soulèvements de la Terre et de la Confédération paysanne, les organisateurs –, mais celles aussi des ONG comme ATTAC, Alternatiba, LPO ou Greenpeace, celles de syndicats tels Solidaires et la CGT, parmi lesquelles se glissaient ci et là les couleurs de la France insoumise ou du NPA : de loin, si ce n’est les chants et les habits, la chose aurait pu passer pour la Grande Troménie de Locronan, jusque dans le parcours d’une douzaine de kilomètres.
Martine LE BEC
photos Les Soulèvements de la Terre & Martine LB
H2o – mars 2022
Plus de 7 000 personnes selon les organisateurs (4 200 selon la préfecture) se sont rassemblées à la Rochénard, dans les Deux-Sèvres, ce samedi du 26 mars pour une mobilisation d'une ampleur inédite contre les projets de mégabassines destinées à l’irrigation de grandes cultures. La destination du cortège, tenue secrète jusqu’au dernier moment, était le site d'un des projets de bassine de 220 000 mètres cubes et 7 hectares, situé sur la commune voisine d’Épannes.
No Bassaran ! – Le Printemps maraîchin veut mettre un coup d’arrêt définitif aux 93 "réserves de substitution" devant être construites dans l’ex-région Poitou-Charentes, dont 16 sur douze communes de la Sèvre niortaise et du Marais poitevin par la société coopérative Coop de l’Eau créée en 2011 et regroupant 220 irrigants. La volonté de ces derniers est de parer aux interdictions de prélèvements survenant chaque année, de plus en plus tôt dans la saison agricole. Le schéma consiste à pomper l’eau de la nappe phréatique en hiver afin que cette eau, ainsi mise en réserve, puisse être utilisée ultérieurement, au printemps et en été. Pour les opposants à ces projets, les "anti-bassines", pomper l'eau dans la nappe, même en hiver, reviendra à rompre un équilibre naturel déjà fragile. En confisquant cette eau à un écosystème qui en a besoin, on va modifier la structure même du sous-sol et mettre en danger la biodiversité de tout le Marais poitevin. D'un point de vue politique, ils estiment que ces bassines ne sont qu'une "créature" supplémentaire du modèle agricole productiviste actuel, basé sur le profit et inféodé aux marchés et qu’elles constituent la figure même d’un accaparement de l’eau, bien commun, au profit de quelques-uns, ceux-là mêmes qui nous inondent de pesticides et d’OGM. "C’est l’agriculture qui a créé les autoroutes de l’eau qui font que l’eau se barre à la vitesse grand V. Et là, ils disent "on ne peut pas laisser partir l’eau à la mer, il faut qu’on la récupère". Mais ils font les choses à l’envers ! L’eau, il faut la retenir dans les zones humides comme le Marais poitevin qui va recharger les nappes, et après on pourra utiliser l’eau pour l’agriculture et faire du stockage. Mais commençons par le début", résume Benoît Biteau, paysan agronome, ingénieur des techniques agricoles et député européen (Groupe des Verts).
Arrivés sur site, à Épannes, les ouvreurs du cortège, munis de bêches, de plants et de semis, ont occupé et commencé de replanter l'espace projeté de la bassine pendant qu’une partie d’entre eux s’efforçait de retenir les forces de gendarmerie mobile et que d’autres s'attaquaient à plusieurs sorties d'eau d'un réseau de pompage déjà existant sur le site (celui d’une ancienne retenue).
Après une heure de courses, de jets de pierres et de grenades lacrymogènes, les choses se sont calmées et les manifestants ont pu être rejoints par les tracteurs de la Confédération paysanne qui étaient restés bloqués à l’extérieur du périmètre.
No Bassaran, ici et ailleurs – Le Printemps maraîchin s’est poursuivi sagement le dimanche au stade de La Rochénard par des échanges avec d’autres défenseurs de l’eau bien commun : les opposants d’une retenue collinaire à La Clusaz, destinée à alimenter les canons à neige de la station de ski ; le collectif Loire Vienne Zéro Nucléaire ayant mis en place mis en place avec le laboratoire indépendant de l’ACRO un suivi de la radioactivité dans les cours d’eau et dans l’eau de consommation (chaque année, depuis plus de 50 ans, 5 centrales rejettent leurs effluents dans la Loire et la Vienne, l’équivalent de 300 camions-citernes) ; la Coordination Eau Île-de-France surtout connue pour son combat en faveur du retour aux régies publiques ; le collectif Eau 88, né à Vittel, et que beaucoup ont pu découvrir à travers le documentaire de Jörg Daniel Hissen "À sec. La grande soif des multinationales" ; enfin, les Soulèvements de la mer, organisateur, en février dernier à Brest, du contre-sommet du One Ocean Summit.
Tout cela témoigne d’une véritable convergence des luttes. Sur le terrain, dans les Deux-Sèvres, le remplissage de la première des 16 bassines, construite à Mauzé-sur-le-Mignon avec une capacité de 240 000 mètres cubes, a été entamé en début d’année et devrait s’achever les prochaines semaines. Les porteurs du projet avaient bien pris le soin d'y monter la garde toute la semaine passée. La société coopérative prévoit trois autres mises en fonction pour 2022 : à Sainte-Soline (avec une capacité de plus de 600 000 m3), Priaires (160 000 m3) et donc Épannes (220 000 m3). Mais elle doit compter sur une opposition de plus en plus vive et… agile puisque, d’après le décompte des Soulèvements de la Terre, ce ne sont pas moins de 5 projets qui ont été neutralisés ces six derniers mois par les opposants dans les départements des Deux-Sèvres et de la Vienne.
D’autres Printemps maraîchins viendront, peut-être même avant les hirondelles. ▄
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