14/02/2016
Burkina Faso

Création d'un ministère de l'Eau et de l'Assainissement

Juste Hermann Nansi, directeur d'IRC Burkina, salue et partage son analyse des priorités de ce secteur

La
composition du nouveau gouvernement est désormais connue et la bonne
nouvelle pour tous les militants de la cause de l'eau est indéniablement
la création du ministère de l'Eau et de l'Assainissement. Les
félicitations fusent à juste titre de toutes parts : bailleurs, ONG,
secteur privé, administration, simples citoyens. Tout le monde manifeste
une grande satisfaction et beaucoup d'optimisme.

Certes, dédier un
ministère pour l'eau et l'assainissement n'est pas une fin en soi, mais
tout de même un moyen très conséquent pour d'une part confirmer
l'importance accordée par les plus hautes autorités nationales à ce
secteur, et d'autre part, pour la conduite efficace de l'action
publique. Cette décision politique donne toutes les chances de succès à
la politique nationale de l'eau et l'ensemble des programmes sectoriels
élaborés pour atteindre l'objectif mondial de développement durable n° 6
qui porte exclusivement sur l'eau et l'assainissement. Dédier
pleinement un ministère pour l'eau et l'assainissement crédibilise
l'État burkinabè, non seulement vis-à-vis des partenaires techniques et
financiers déjà mobilisés en faveur du secteur, mais également vis-à-vis
de nouveaux partenaires potentiels. Il reste maintenant aux
professionnels du secteur à saisir cette opportunité pour faire la
preuve que cette reconnaissance politique portera les fruits escomptés
en termes de performances et d'efficacité.

Avant ce signal politique
fort, il faut saluer les efforts du secteur de l'eau avec la définition
des grands chantiers notamment pour les zones rurales dans les années à
venir. Un audit institutionnel du secteur est prévu dans les mois à
venir pour documenter les défaillances, incohérences et inadéquations
institutionnelles et organisationnelles qui minent les performances de
l'État aux niveaux central, déconcentré et décentralisé notamment dans
les zones rurales. Des réformes institutionnelles fondamentales sont
attendues à l'issue de cet audit pour permettre à l'administration de se
mettre à la hauteur des besoins et ambitions définis à l'horizon 2030.
Il est déjà établi que ces réformes devront s'accompagner
d'investissements significatifs dans le développement quantitatif et
qualitatif des ressources humaines de l'administration. Ainsi se
présentent les bases structurelles que l'État burkinabè devra poser au
cours des prochaines années pour mettre résolument le Burkina Faso sur
les rails de l'accès universel et pérenne à l'eau et à l'assainissement.

Évidemment,
bien de gens pourraient s'étonner de ne pas voir figurer de forages, de
barrages ou de latrines dans cette liste des priorités. C'est le
principal enseignement tiré des trente dernières années d'expérience en
matière de politiques et stratégies publiques d'approvisionnement en eau
potable, d'hygiène et d'assainissement dans la plupart des pays en voie
de développement. Combien de centaines ou de milliers de milliards de
francs CFA ont-ils été dépensés dans les forages et les latrines ?
Quelle a été l'incidence de ces gros investissements sur la qualité des
services pour les usagers ? Pour présenter le taux d'accès officiel à
l'eau potable qui est actuellement de 64 % en zones rurales au Burkina
Faso, il a fallu considérer que tous les forages dont la durée de la
panne ne dépasse pas 12 mois sont fonctionnels et donc ont fourni 20
litres d'eau par personne chaque jour à 300 personnes. Il est aussi
établi qu'on ne consomme effectivement de l'eau potable qu'avec un
robinet à la maison. Tous les travaux de recherche depuis dix ans nous
informent que les moyens actuels de stockage et de transport de l'eau
des points d'eau potable distants aux domiciles dégradent
systématiquement et significativement la qualité de l'eau. La réalité
est donc que l'accès à l'eau potable en milieu rural est largement
surestimé car il repose essentiellement sur une logique d'installation
d'équipements sans capacités et organisations adéquates pour la
fourniture des services satisfaisant les besoins des usagers. Si tous
les usagers ruraux (75 % de la population nationale) pouvaient
manifester leurs souffrances comme ceux qui souffrent actuellement de la
pénurie d'eau à la périphérie de nos grandes villes, notre pays serait
la proie à une crise sociale sans précédent. Et ne faisons pas l'erreur
de leur jeter le tort comme quoi c'est leur responsabilité de
s'organiser et gérer les forages. En ville, ce n'est pas l'usager qui
gère le service public d'eau potable, mais c'est bien l'Etat à travers
l'ONEA.

À propos de l'assainissement au niveau des ménages, le taux
d'accès en fin 2014 était de 9 % contre une prévision de 49 % en suivant
le chemin tracé vers les objectifs du millénaire. Ce résultat a coûté
47 % du budget prévisionnel pour atteindre les objectifs du millénaire.
On a donc utilisé environ la moitié du budget pour réaliser 20 % du
travail. Ainsi se présente la réalité des performances nationales en
matière d'eau potable et d'assainissement dans les zones rurales du
Burkina Faso. Il va falloir nécessairement consentir de gros
investissements encore dans les équipements et infrastructures au cours
des prochaines décennies, mais en s'inscrivant maintenant et résolument
dans une logique de service public, dans une approche fondée sur les
droits humains, en s'imposant plus d'équité, plus de rigueur et plus
d'efficacité, conformément aux nouvelles orientations sectorielles.
Réformer le secteur et renforcer les capacités sont des conditions
incontournables et urgentes de succès.

Les appréhensions des
spécialistes étaient très fortes quant à la faisabilité de tels
changements structurels au sein d'un ministère où l'eau doit cohabiter
avec un autre secteur lourd de l'agenda politique comme l'agriculture.
Dédier pleinement un ministère aux chantiers de l'eau et de
l'assainissement est donc un choix politique judicieux et responsable.
En plus des professionnels du secteur qui doivent saisir cette
opportunité pour engager sereinement les réformes fondamentales, il est
aussi important que les premières autorités nationales ainsi que la
société civile assurent un suivi rigoureux des performances de ce
ministère. Le Président du Faso s'est engagé à éradiquer la corvée de
l'eau et assurer un cadre de vie sain pour ses concitoyens. Sur la base
des éléments objectifs dont nous disposons, le démarrage du mandat est
plutôt bien réussi.

Fasozine (Ouagadougou) – AllAfrica