Avec Un monde sans eau ? le réalisateur autrichien Udo Maurer nous fait prendre conscience, à travers les trois tableaux, des divers problèmes liés à l’eau. Des inondations, au problème de l’assèchement de la mer d’Aral ou encore à la bataille journalière pour la recherche d’eau potable, le film montre les problèmes que doit surmonter l’homme pour s’adapter à son environnement.
La première partie, qui se déroule au Bangladesh, dépeint la vie des paysans du delta du fleuve Brahmaputra, qui font face à la montée des eaux au moment de la mousson. L’eau a forcé ces hommes et ces femmes à se muer en nomades.
Au Kazakhstan, la mer d'Aral a perdu la moitié de sa superficie, à cause de la politique soviétique d’irrigation des cultures cotonnières. Cette catastrophe écologique et humanitaire a obligé des hommes et des femmes à parcourir des longues distances, pour continuer à vivre de la pêche.
Le film se clôture à Kibera, le plus grand bidonville de Nairobi (Kenya) où l’eau est devenue une véritable marchandise. Certains habitants sont amenés à marcher de nombreux kilomètres pour recueillir le bien précieux qui alimentera tout leur quartier.
Le réalisateur – Udo Maurer est né en 1960 à Bruck/Mur. En 1980 il a commencé ses études à la Hochschule für Film & Fernsehen à Vienne où il a étudié le montage et le cadrage. En 1986, il a obtenu une bourse Fulbright et il a passé six mois avec le directeur de la photographie John Bailey. De 1990 à 1994 il a travaillé comme cameraman pour des documentaires, des fictions et des publicités en Autriche, aux États-Unis et en Turquie. Depuis 1994 il a réalisé des documentaires télé pour la TV Autrichienne (ORF), Spiegel TV et Discovery Channel, qui ont remporté un grand succès. Un monde sans eau ? est son premier film documentaire réalisé pour le cinéma. Son interview :
Pourquoi était-il important de faire ce film ?
C’est un projet qui date d’il y a cinq ans. J’ai réalisé des films pour la télévision pendant des années et j’ai voyagé à cette occasion dans ce que l’on appelle communément le Tiers Monde. Un jour au cours d’un tournage aux Philippines, nous avons eu un problème lié à l’eau. Quand on voyage, on a beaucoup de temps pour penser. Et c’est ainsi que j’ai eu l’idée de faire quelque chose de substantiel autour de la thématique de l’eau alors que j’étais à bord d’un bateau ; de montrer comment des hommes doivent gérer au quotidien des problèmes auxquels nous ne pensons plus. En ce qui me concerne, je n’avais pas conscience de cette réalité ; sauf lorsque je reviens de voyage et que j’ouvre un robinet en sachant que je pourrai la boire en toute tranquillité.
Les choses dans la vie arrivent tout naturellement. Je venais juste de réaliser un documentaire qui avait connu un certain succès ("Berghauemwinter") et lorsque j’en ai parlé à mon producteur, il a été instantanément séduit par le projet. Et quand il s’engage dans quelque chose, il ne fait jamais machine arrière ! Puis, Michael Glawogger s’est joint à nous et a commencé à travailler sur le script. Ça a été un long chemin à parcourir jusqu’au premier jour de tournage, mais tout le monde était très enthousiaste et cela ne s’est pas démenti jusqu’à la fin.
Du fait que vous avez beaucoup voyagé, aviez-vous déjà en tête les lieux de tournage ?
J’ai délibérément choisi des pays où je n’étais jamais allé auparavant. Je voulais être impartial. Dans notre recherche, nous sommes tombés sur la mer d’Aral, au Kazakhstan. Tout est parti de là, car nous pensions que le problème de la mer d’Aral était incontournable dans un film qui aborde le caractère politico-économique de l’eau. Les autres choix ont été plus difficiles à faire. L’idée de filmer au Bangladesh revient à Michael Glawogger. Il avait tourné des reportages en Inde et avait connaissance des problèmes qui existaient dans la sous-région. La troisième histoire devait originellement concerner le barrage des Trois Gorges sur le Yangtze. Nos recherches ont montré qu’il serait assez simple de tourner au Kazakhstan, mais en ce qui concerne la Chine, il est vite apparu que je ne pourrai pas travailler comme je le voudrais. Nous risquions d’être arrêtés et de revenir les mains vides. Nous avons alors pensé à l’Afrique où je venais de réaliser un film pour Médecins Sans Frontières. Quand on a à l’esprit que l’eau représente un des problèmes vitaux aujourd’hui en Afrique, je me demande bien pourquoi ça nous a pris autant de temps pour penser à ce continent !
Pourquoi n’avez-vous pas raconté une histoire qui se passerait en Occident ?
Des problèmes existent évidemment ici. Mais ils sont relativement plus faciles à régler car il y a des moyens financiers qui le permettent. C’est pourquoi j’ai choisi des pays où "nos solutions" ne marcheraient pas. Si on investissait la même manne d’argent au Bangladesh qu’au Pays-Bas, on pourrait construire des barrages et ça changerait tout ! Mais malheureusement il n’y a pas d’argent disponible. C’est pour cette raison qu’on s’est concentrés sur ces pays pour le tournage. Le film traite tout d’abord du surplus d’eau, puis du manque d’eau et on passe dans la dernière partie à un autre niveau avec le commerce de l’eau. Le pouvoir est le sujet de la troisième partie. L’eau devient à Nairobi un élément de pouvoir. La question principale qui assure le lien (ou la structure) du film est la suivante : "Est-ce que chaque homme a droit à l’eau sur cette terre ou est-ce un bien de consommation ?". De grandes entreprises traitent l’eau comme une marchandise alors que les ONG la distribuent, car elles estiment que c’est un droit dévolu à chaque être. Nous aurons la réponse à cette question fondamentale dans une dizaine d’années.
Avez-vous été surpris de la façon dont les maisons au Bangladesh peuvent êtres être transformées en bateaux ?
Au Bangladesh, les habitants ont appris à composer avec la nature. Ces toits en tôle ondulée qui peuvent être assemblés ou démontés en peu de temps en sont un parfait exemple, et une image surprenante à laquelle nous ne sommes pas habitués. Je ne voulais pas voyager à travers le Bangladesh et ramener des images auxquelles nous nous attendions tous. On a tous en tête des images d’inondation. Mais j’ai été surpris de constater que l’enjeu était bien sûr ces inondations, mais surtout une de ces conséquences, à savoir le problème de l’érosion des terres. J’ai choisi de donner l’opportunité à ces hommes et à ces femmes de raconter leur histoire.
Est-ce pour cette raison que vous ne faites pas de commentaires, pas de voix off, peu de textes ?
Oui, c’était complètement international, et c’était important. J’espère qu’il ressortira quelque chose de tout ça. Il y a une page d’accueil sur le site du film qui donne toutes les informations nécessaires sur les ONG etc... Ainsi chaque internaute peut participer comme il le souhaite à ce projet. Ce film doit rendre les gens curieux, créer une émotion. Pour cela, Internet est le média le plus efficace. Un monde sans eau ? accède ainsi à un autre niveau.
Pour en revenir au travail proprement dit, quelles ont été les conditions de tournage ?
Au Kazakhstan, nous avions une grosse équipe. Ca s’est bien passé. J’ai travaillé sur place avec des gens très compétents. Au Bangladesh, on n’a pas pu utiliser les mêmes méthodes. Par exemple, on commençait à filmer dans une rizière dans de bonnes conditions et puis nous étions soudainement entourés par 250 personnes, ce qui évidemment compliquait le tournage. J’ai donc réduit l’équipe au minimum car je ne voulais évidemment pas faire appel à la police ! J’étais donc à la caméra et j’avais deux techniciens, un ingénieur du son et un assistant, et ça s’est très bien passé. Nous avons de cette façon pu faire la connaissance des gens et leur donner ce qu’ils ne reçoivent en général pas des occidentaux, à savoir du temps. À Nairobi, par exemple, on n’a rien tourné pendant les première semaines, on a passé du temps avec les habitants du bidonville. Il était très important que notre producteur nous dise: "Maintenant que vous travaillez en équipe réduite, prenez votre temps". C’est de cette façon que nous pouvions être acceptés par la communauté. Je pense que l’on se rend compte dans les trois parties que les gens sont ouverts, en confiance. Ce n’est pas si évident que ça d’avoir une femme musulmane qui s’exprime devant une caméra au Bangladesh, surtout lorsqu’elle critique l’attitude des hommes. Le fait qu’elle nous ait fait confiance a certainement à voir avec le temps que nous avons passé à nous connaître mutuellement. •