Le 19 décembre 2017, les territoires de Plaine Commune, Est Ensemble et Grand-Orly Seine Bièvre, ceinturant une large partie du nord-est et du sud de Paris, ont adopté une convention provisoire de deux ans avec le Syndicat des Eaux d'Île-de-France, s'accordant un délai de réflexion pour étudier et travailler sur l'option de mettre leurs services d'eau potable sous gestion publique... Retour sur l'argumentaire soumis aux citoyens par la Coordination Eau Île-de-France, initiatrice du projet.
Coordination Eau Île-de-France
photo : Assemblée "L’Eau publique, c’est maintenant", Bagnolet, 8 septembre 2017
H2o – mars 2018
Gestion marchande ou régie publique ? La question a donné lieu à de multiples controverses, mais la tendance paraît claire : le prix du service de l’eau est plus élevé en gestion privée que dans une régie publique. Selon une étude sur 19 villes publiée en 2007 par l’UFC-Que Choisir, "les prix pratiqués dans les grandes agglomérations (NDLR : où la gestion marchande domine) sont souvent très abusifs" ; et "nos résultats mettent en lumière les bénéfices faramineux réalisés par Veolia et Suez". La palme de la surfacturation, indique Que Choisir à l’époque, est décernée au Syndicat des Eaux d’Île-de-France (SEDIF), au Syndicat des Eaux de la Presqu’Île de Gennevilliers (SEPG) et à Marseille. De même, une étude de 2010, présentée par la Chambre régionale des comptes d’Île-de-France (CRC) comme fiable et objective, "fait ressortir un prix de l’eau plus bas en régie" sur la Région.
Quoiqu’il en soit, on constate depuis quelques années un mouvement de retour à la gestion publique de l’eau : une série de collectivités ont fait ce choix entre 2014 et 2016, dont Nice, Bastia, Valence, Grenoble, Montpellier Métropole, Rennes, Lille Métropole, Fort-de-France, suivies en 2018 par Metz Métropole, Digne ayant lancé le mouvement en 2009. Dans le contexte actuel d’austérité généralisée, l'on peut penser qu’elles ne s’y seraient pas risquées si elles avaient anticipé une hausse des tarifs de l’eau à supporter par leurs administrés et si elles n’avaient pas estimé que ceux-ci seraient au final gagnants.
Le cas de l’Île-de-France est intéressant à examiner. Les deux formes de gestion coexistent sur la Région : à Paris, une régie directe, Eau de Paris, a pris le relais du privé en 2010, tandis que sur les départements limitrophes domine le Syndicat des Eaux d’Île-de-France, qui dessert 153 communes, 4,6 millions d’usagers et a confié la gestion à la multinationale Veolia. Sur l’ensemble du territoire du SEDIF le prix de l’eau s’élevait à 4,32 euros TTC le mètre cube au 1er janvier 2017 pour une consommation de 120 m3/an – le standard admis pour une famille. La même année, le mètre cube d’eau parisien était facturé à 3,41 euros TTC, soit +25 % à la charge des résidents de banlieue. Dans son étude, la CRC explique le tarif plus élevé du SEDIF par des facteurs objectifs : un réseau de canalisations quatre fois plus étendu qu’à Paris, des frais de stockage importants du fait de la surface de territoire à couvrir, et donc du nombre de réservoirs nécessaires, ce qui paraît vraisemblable. Mais elle souligne aussi la dérive de la rémunération consentie à Veolia, "qui s’éloigne chaque année de l’équilibre économique du [dernier] contrat signé en 2010". Ainsi, l’entreprise a perçu 20 millions d’euros en 2014 pour paiement de ses prestations contre 7 millions en 2011, tandis que les frais de siège (7 millions d’euros) n’étaient pas justifiés ; elle a encaissé 3 millions d’euros au titre du CICE (crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi) en 2015, sans répercuter cette rentrée sur ses tarifs. Ces sommes cumulées ne contribuent-elles pas à éclairer l’écart de prix entre le SEDIF et Eau de Paris ?
Poursuivant son analyse, la CRC relève "le niveau très réduit de concurrence" qui caractérise le secteur. Exprimé plus crûment, les majors de l’eau en France, Veolia, Suez et la Saur, qui se partagent un marché de 14 milliards, sont en situation de quasi-monopole. Ainsi, en Île-de-France, Veolia, ex-Générale des Eaux, détient le contrat sans interruption depuis 1923 ! Certes des appels d’offres doivent être lancés par les collectivités tous les vingt ans (au maximum) quand il y a délégation de service public (DSP). Mais, dans les faits, l’emprise des majors sur le marché est telle que très peu d’entreprises se risquent à les affronter. Ainsi, relate la CRC, la Direction de la concurrence (DGCCRF), suite à une étude, a constaté un taux de reconduction des entreprises sortantes de l’ordre de 85 %. "Les sociétés s’abstiennent parfois de déposer une offre, observe-t-elle, même si elles disposent des capacités techniques et financières". Dans ce contexte, la Commission européenne, qui suspectait les majors de s’entendre sur les prix, a ouvert en 2012 une procédure sur d’éventuelles pratiques anti-concurrentielles.
En conclusion, nous dirons que les régies publiques jouent un rôle précieux en exerçant une pression sur les grandes sociétés qui peut les contraindre à réfréner leurs appétits. La menace du passage en régie, note ainsi la DGCCRF, brandie par une collectivité, incite l’entreprise à baisser ses prix. Cela constitue une raison de plus, à nos yeux, pour développer le service public ! Ainsi, c’est bien évidemment grâce à la création d’Eau de Paris en 2010 que le SEDIF a pu obtenir de Veolia une première baisse de 1,73 euros HT/m3 à 1,41 euros HT/m3 en 2011. Une seconde baisse, de 1,47 euros/m3 à 1,37 euros/m3 est intervenue au 1er janvier 2017, au moment où se posait la question de l’adhésion au SEDIF des établissements publics territoriaux.
La gestion marchande génère un système tentaculaire de lobbying, voire de corruption, afin d’orienter les choix des élus en fonction des intérêts des majors. Sur ce point, un document de référence reste le film franco-allemand Water makes Money (82 mn) diffusé en 2010 par Arte. À Bordeaux, raconte par exemple le film, la Lyonnaise des Eaux facturait l’amortissement d’un compteur sur douze ans, alors qu’après vérification, il fonctionnait en moyenne 24 ans. Selon Patrick du Fau de la Mothe, de l’association bordelaise Trans'CUB, la Lyonnaise, qui récoltait ainsi par divers procédés un bonus annuel de 29 % sur les capitaux investis, a dû restituer 230 millions d’euros à la Communauté urbaine de Bordeaux (CUB). Anne Le Strat, présidente d’Eau de Paris jusqu’en 2014, témoigne qu’elle a vu nombre d’élus accepter des places à Roland Garros, les voyages touristiques, la visite des caves de Bourgogne... D’autres édiles, raconte-t-elle, lui ont confié leurs contradictions : "Si vous nous déléguez l’eau, nous finançons pour votre ville un stade, une équipe de rugby, un musée…" Face à de telles propositions, plus d’un faisait le choix du privé, bon gré mal gré, satisfait de doter sa ville d’un nouvel équipement. Plus récemment, en novembre 2016, Mediapart a révélé un dispositif d’enrichissement personnel mis en place par deux dirigeants de haut niveau de Veolia Eau en France, qui bénéficiaient d’un marché de sous-traitance pour la facturation. Ils ont depuis lors été licenciés…
En 2017, la litanie des affaires s'est poursuivie. Elle a cette fois concerné le Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (SIAAP), en charge du traitement des eaux usées des quelque 9 millions de Franciliens, ainsi que les eaux pluviales et industrielles de l'agglomération. Plusieurs enquêtes et plaintes se sont successivement attachées à la rénovation du site principal (Achères), celle de l’usine de Clichy et enfin à l’exploitation de l’usine de Valenton (Val-de-Marne), représentant à elle seule un montant de 397 millions d’euros sur douze ans. Le contrat d'exploitation de l'usine, concédé à Veolia via une société d'économie mixte à opération unique (SEMOP), vient récemment d’être suspendu par la cour administrative d’appel de Paris. Ces évènements ont été largement relatés par l’hebdomadaire Marianne, le quotidien Le Monde et encore récemment le magazine TV Cash Investigation.
Il est temps, estime la Coordination Eau Île-de-France, de rompre avec un système d’influence qui exerce une pression intense sur les élus et décideurs et les détourne de l’intérêt général. Pour la Coordination, des régies publiques de dimension réduite, en lieu et place de mastodontes technocratiques, dotées d’un conseil d’administration comprenant des associations, des usagers, des représentants des salariés, les élus locaux responsables, semblent le modèle idoine pour assurer une transparence, un véritable contrôle des structures et parer aux dérives de toutes sortes. Pour bâtir un tel organisme, l’exemple des régies créées récemment, dont Eau de Paris, peut être utile. Dans cet organisme, signale son directeur Benjamin Gestin, "les comptes sont transparents, (les) rémunérations publiques, les décisions d’appels d’offres également, et tout un chacun peut consulter les factures de n’importe quel achat extérieur".
"En France, rappelaient sur Reporterre, en juin 2017, Henri Smets de l'Académie de l'eau et Emmanuel Poilane, de France Libertés, un million de personnes ne bénéficient d’aucune mesure pour accéder à l’eau potable". Il s’agit d’abord de gens sans logement, vivant à la rue ou en cabanes, sous la tente ou dans des véhicules. En réalité, des centaines de milliers de familles, acculées par la hausse du prix du mètre cube, les disparités croissantes entre les tarifs des services de l’eau – dans certaines collectivités, l’eau est vendue à un prix double du tarif moyen national – ne sont plus en mesure de se procurer ce bien essentiel. Face à cette situation, des textes de loi ont tenté d’assurer le droit à l’eau. En 2016 notamment, la Fondation Danielle Mitterrand, la Coalition Eau, la Coordination Eau Île-de-France ont été à l’initiative, avec d’autres associations, d’un projet de loi sur "la mise en œuvre effective du droit à l’eau potable et à l’assainissement". Ce projet prévoyait des points d’eau potable accessibles à tous dans chaque commune, des douches et laveries gratuites pour les démunis dans les villes de plus de 15 000 habitants, une allocation pour les foyers dont la facture d’eau dépassait 3 % de leurs revenus. Adopté par l’Assemblée nationale, son examen a été interrompu par les élections présidentielles.
En février 2018, les députés de la France Insoumise ont repris le flambeau et défendu un projet de loi constitutionnel, avec comme rapporteur Bastien Lachaud. Ce texte préconisait la gratuité des premiers mètres cubes et des tarifs progressifs en fonction des usages, plus élevés pour une résidence secondaire ou une entreprise. Il proposait de généraliser une gestion publique de l’eau, par l’État ou les collectivités territoriales.
Cependant, de telles mesures comme la gratuité des premiers mètres cubes ou les fontaines publiques en accès libre, peuvent-elles être généralisées sur des territoires devenus les chasses gardées d'entreprises marchandes ? La réponse semble claire, quand on sait que Veolia procède régulièrement à des coupures d’eau en cas d’impayés, en dépit de la loi Brottes qui les interdit et de décisions de justice récurrentes. A contrario, Eau de Paris a installé un réseau de fontaines publiques sur la capitale, dont une trentaine fonctionne tout au long de l’année, même en période de gel. Elle a instauré une batterie de dispositifs pour inciter les usagers à économiser la ressource, dont 20 000 économiseurs d’eau dans le parc social. Dans le même esprit, plusieurs régies publiques rompent avec la logique marchande : à Rennes, les dix premiers mètres cubes sont gratuits et le tarif pour les entreprises n’est plus dégressif avec la consommation mais constant ; à Besançon, l’eau de boisson, soit les trois premiers mètres cubes sont gratuits ; à Valence, chacun peut s’abreuver aux 50 fontaines dispersées dans la ville ; à Grenoble, une aide financière est attribuée aux familles qui consacrent plus de 2,5 % de leurs revenus à leur facture d’eau…
Au commencement, il y a les choix stratégiques. À Paris, la régie s’approvisionne pour moitié via des captages d’eaux souterraines situés sur des territoires ruraux éloignés de la capitale et peu pollués, et pour l’autre moitié dans les fleuves. Le SEDIF, quant à lui, exploite uniquement des eaux de surface, plus polluées, ce qui le contraint à des traitements importants. Comme l'expliquait Anne Le Strat, "l'enjeu, c’est de préserver la ressource en amont pour éviter de devoir la traiter de plus en plus, ce qui coûte très cher". Paris mais aussi Munich ou d'autres villes l’ont bien compris et, outre les obligations réglementaires qui imposent de mettre en place des périmètres de protection des captages (PPC), ont entrepris de transformer les pratiques agricoles sur les zones avoisinantes, afin de réduire peu à peu la teneur des eaux en nitrates et en pesticides. Ainsi Munich a-t-elle conçu des incitations financières pour faciliter le passage de paysans en agriculture bio sur ce qui est devenu le plus grand territoire d’agriculture biologique d’Europe sur une zone de captage. Selon son maire, le taux de nitrates, qui s’élevait à 14 milligrammes/litre, a chuté à 7 milligrammes/litre. Dès 2010, Eau de Paris a initié une approche similaire. En 2016, indique la régie, 114 agriculteurs exerçant sur les aires d’alimentation des captages avaient opté pour le bio ou pour des pratiques durables qui limitent le volume d’intrants. 3 240 hectares sont ainsi cultivés en agriculture biologique et 9 250 hectares font l’objet de pratiques durables. Les objectifs à l’horizon 2020 sont respectivement de 3 500 hectares et 10 500 hectares. Huit ingénieurs agronomes s’activent sur le terrain pour accompagner l’évolution des mentalités. En parallèle, un partenariat est en cours entre Eau de Paris et la Caisse des écoles du 11ème arrondissement pour approvisionner les cantines scolaires en produits biologiques en provenance de la vallée de la Vanne, en particulier en lentilles. Au SEDIF au contraire, il n’est point question de remettre en cause le modèle de l’agriculture intensive, même localement. D’après la Cour régionale des comptes d'Île-de-France, le syndicat s’oriente pour 2025 vers une technologie pointue, la filtration membranaire, qui produirait une eau pure, sans calcaire ni chlore, éliminerait les perturbateurs endocriniens, les résidus médicamenteux et augmenterait le prix de 0,30 euro/m3. Cette stratégie pose question : s’agit-il de s’attaquer aux effets des pollutions – avec des coûts élevés, qui profitent aux majors –, ou à leurs causes ?
Une approche écologique implique aussi d’économiser la ressource, qui sous l’influence du dérèglement climatique, sera moins abondante à l’avenir. En cohérence avec le plan national d’adaptation au changement climatique, qui a arrêté un objectif de 20 % de baisse de l’eau prélevée en 2020, Eau de Paris a fait installer des kits économiseurs d’eau dans une partie de son parc social ; elle soutient le Défi’O, une approche ludique qui cherche à faire prendre conscience au public de sa consommation réelle et à la réduire ; et appuie "Écolo, c’est économe", une action développée par la Coordination Eau Île-de-France. Autant de mesures contradictoires avec la logique d’une entreprise marchande qui, par définition, cherche à vendre un volume d’eau croissant.
D'ailleurs, sait-on que sur le territoire du SEDIF, c’est de l’eau potable qui est utilisée pour nettoyer la voirie, arroser les jardins ? Alors qu’Eau de Paris recourt pour les mêmes tâches à de l’eau brute, c’est-à-dire puisée dans la Marne ou la Seine et grossièrement filtrée. Ce "tout Eau potable" du SEDIF est favorisé par un prix de gros, soit 50 % du tarif acquitté par un résident lambda, qui bénéficie aux collectivités. Une telle pratique, qui entraîne également une dépense d’énergie, représente un gâchis énorme qui n'a jamais été chiffré. Le recours à l’eau brute, objectera-t-on, est facilité à Paris par un réseau ancien de canalisations qui approvisionnaient dans le passé les industries traditionnelles. Mais une étude récente commandée par Plaine Commune a mis en évidence la faisabilité et le potentiel d’économies du recours à l’eau brute. En chaque point du territoire, indique-t-elle, il existe au moins une ressource d’eau brute mobilisable que ce soit la Seine, les canaux, d’anciens rus ou l’eau des piscines. Des études de cas, notamment conduites à Saint-Denis et à Épinay, font ressortir des retours sur investissement attractifs, d’un à quatre ans. Ces conclusions vont dans le même sens que la comparaison des prix de l’eau brute à Paris et sur le territoire du SEDIF : 0,46 euro HT/m3 dans la capitale, contre 0,73/m3 HT (à partir de 181 m3) pour le SEDIF. Comme dirait Marie-Monique Robin pour son film sur cette hardie petite ville d’Alsace, Ungersheim, "Qu’est-ce qu’on attend ?"
Pourquoi ajouter des sels d’aluminium ? Si la loi autorise jusqu'à 200 µg/l, les écotoxicologues, qui ont planché sur ce sujet pour la préparation du plan national contre la maladie d’Alzheimer, recommandent de ne pas ajouter de sels d’aluminium dans l’eau destinée à la consommation humaine et de fixer un seuil maximal de 50 µg/l (avis de Henri Pezerat et André Picot, directeurs de recherche honoraires au CNRS, en 2008, pour la préparation du Plan Alzheimer). Au SEDIF, la teneur en aluminium se situe en moyenne à 24 µg/l et peut dépasser 100 µg/l dans certains cas. Pourtant d’une façon très majoritaire en France, l’eau potable n’est pas traitée avec des sels d’aluminium, comme le montre le tableau ci-dessous, extrait du bilan de la qualité de l’eau 2014 (publié en novembre 2017) par le ministère de la Santé. Aussi, au titre du principe de précaution, nous demandons l’arrêt des traitements de l’eau par les sels d’aluminium.
Unités de distribution en nombre et en pourcentage |
Population alimentée en nombre et en pourcentage |
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Eau traitée avec des sels d'aluminium | 2 057 (8,2 %) | 21,14 (32,4 %) |
Eau non traitée avec des sels d'aluminium | 22 987 (91,8 %) | 44,16 (67,6 %) |
Total | 25 044 (100 %) | 65,30 (100 %) |
Alerte Pesticides : Selon la synthèse annuelle publiée en décembre 2017 par l'Agence régionale de santé d’Île-de-France pour 2016, l'eau distribuée par le SEDIF, même si elle reste consommable, n'est pas de bonne qualité, contrairement à celle distribuée par Eau de Paris. En cause, la pollution par les pesticides. On voit ici la limite de l'approche par des traitements industriels, sophistiqués et coûteux, privilégiée par le SEDIF. C'est en amont qu'il faut agir en préservant la qualité de l'eau brute, dans l'environnement. L'utilisation d'eaux souterraines et le développement de l'agriculture biologique autour des champs de captage y participe fortement pour Eau de Paris. Jusqu'à quand le SEDIF va-t-il s'acharner à produire de l'eau potable à partir d'eaux de surface (rivières et fleuves) aussi dégradées ?
Pour la Coordination Eau Île de France, le fonctionnement interne du SEDIF pose problème : une fois qu’on y est entré, il est quasiment impossible d’en sortir ! En effet, un établissement public territorial ou une ville qui souhaite quitter le syndicat n’y est autorisé que si la majorité des membres lui donne le feu vert. Pire encore, si un tiers des collectivités membres s’y oppose, il lui faut renoncer. Aussi, depuis la création du SEDIF en 1922, aucune commune (sur 140) n’a pu s’en échapper – à l’exception de deux d’entre elles, à la faveur de la création d’une communauté de communes. Cette règle pose problème d’un point de vue démocratique : une collectivité qui désirerait opter pour un autre mode de gestion, par exemple à la suite d’un changement de majorité, devrait pouvoir le faire sans se heurter à un tel carcan.
Au-delà, les élus, avec la délégation de service public (DSP), perdent la main : les décisions, les orientations sont de fait, élaborées dans de lointains sièges sociaux. L’opacité des comptes, signalée par Que Choisir en 2007 à propos de Veolia, et la fuite des compétences techniques, qui passent des collectivités aux majors, contribuent à cette perte de contrôle. De même, la logique marchande vient percuter la volonté des élus qui souhaiteraient mettre en œuvre une tarification sociale de l’eau et des mesures de solidarité en rendant gratuits les premiers mètres cubes ou encore qui soouhaiteraient économiser la ressource en taxant les usages "de luxe". Par définition, une entreprise lucrative cherche à vendre des volumes toujours plus importants, allant jusqu'à pratiquer des prix dégressifs en fonction des quantités. Ce sont là autant de pratiques contradictoires avec une politique sociale et écologique.
Dit autrement, avec la DSP, les élus se lient les mains, abandonnent dans les faits leurs prérogatives, quand bien même les contrats disent tout le contraire. Ce ne saurait être un hasard si les avancées sociales importantes, les initiatives écologiques, sont le fait de services publics, mus par l’intérêt général et pour qui l’eau est un bien commun ! De même, avec la DSP, les collectivités perdent la maîtrise des coûts : après cents ans de délégation, elles n’ont plus ni les ingénieurs spécialisés, ni les dossiers, ni même la mémoire des données. Comment, dans ce contexte, établir la vérité des prix ? .
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Le 7 décembre 2016, la Coordination Eau Île-de-France lançait une campagne d’information et de mobilisation sur la possibilité – pour tout ou partie d’un territoire – de ne pas adhérer au SEDIF, à l’occasion du transfert de la compétence eau aux établissements publics territoriaux. Elle a également appuyé le lancement d’une étude dans le territoire Grand-Orly Seine Bièvre (GOSB) pour envisager les modalités d’une alternative publique. Des premiers vœux en faveur de la gestion publique ont été votés par des conseils municipaux (Bagnolet). Des collectifs locaux pour l’eau publique se sont créés.
Le 7 juillet 2017, une réunion d’élus et d’associations, organisée par le territoire Est Ensemble, a permis une confrontation entre la perspective de rester au SEDIF, portée par son président, M. Santini, et celle d’en sortir, portée par la Coordination Eau ÎDF. Quelques jours auparavant la Chambre régionale des comptes avait souligné les dérapages financiers du SEDIF au bénéfice de son délégataire, la multinationale Veolia. Le 8 septembre, à Bagnolet, une assemblée générale pour l’eau publique réunissait des d’élus et des militants de trois territoires : Grand-Orly Seine Bièvre, Est Ensemble et Plaine Commune. La dimension métropolitaine de ce mouvement émergeait ainsi, conduisant les présidents des trois territoires à se rencontrer et à adopter une position commune face au SEDIF. Un levier politique était trouvé avec un appel lancé par des élus et de grands électeurs à l’occasion des sénatoriales. Le 20 octobre, les présidents des trois territoires et le président du SEDIF concluaient un compromis : les trois territoires pouvaient s'engager dans une convention provisoire de deux ans leur permettant de poursuivre le débat et les études pour décider de l’avenir de la gestion de l’eau. Le 15 novembre se tenait un conseil municipal extraordinaire sur l’eau à Saint-Denis. Dans cette période, de nombreux conseils municipaux se sont prononcés pour la non-réadhésion au SEDIF. De nouveaux collectifs pour l’eau publique se sont créés, et les débats publics se sont multipliés, créant une vague citoyenne sans précédent en faveur de la sortie du SEDIF et de la gestion publique. Enfin, 19 décembre, les trois territoires ont signé la convention provisoire de deux ans avec le SEDIF. Cela concerne 24 villes dont les plus importantes des trois territoires (une douzaine de villes plus petites de Plaine Commune et du GOSB rejoignent le SEDIF). Durant cette période, les modalités précises de la gestion publique dans chacun des territoires devront être définies. La population devra être consultée et les décisions seront prises juste avant les élections municipales de 2020, ce qui donnera un nouveau levier politique au mouvement. Notons qu'à l'issue de cette période, les territoires qui auront décidé de se lancer dans la gestion publique, devront devenir co-contractants sur leur périmètre du contrat entre le SEDIF et Veolia qui s'achève le 31 décembre 2022. Il s’agira dès lors pour elles d’entreprendre les travaux de déconnexion avec le réseau du SEDIF pour que la gestion publique devienne opérationnelle le 1er janvier 2023. |
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LE RÉSEAU POUR L’EAU PUBLIQUE regroupe :
Les collectifs locaux pour l’eau publique Est Ensemble (Bagnolet, Le Pré-Saint-Gervais, Les Lilas, Montreuil, Noisy-le-Sec) et Plaine Commune (Eau’bervilliers, Saint-Denis, Saint-Ouen) ; Diverses associations en lien : Convergence nationale des collectifs de défense et de promotion des services publics, la Fondation France Libertés, Bagnolet Initiatives Citoyennes, Bondy Autrement, Bondy Écologie, Couleur d’orange (copro Montreuil), La Ligue des droits de l'Homme (LDH) Bagnolet Les Lilas, celle de Montreuil, Grand-Orly Seine Bièvre (GOSB), ATTAC 94, La Fabrique Vitry en mieux ; Des élus : Fatah Aggoune (maire adjoint de Gentilly), Philippe Bouyssou (maire d’Ivry), Christian Métairie (maire d’Arcueil), Jean-Marc Nicolle (maire du Kremlin-Bicêtre), Jacques Perreux (président du groupe Écologistes et Citoyen-nes GOSB), Patricia Tordjmann (maire de Gentilly), Mireille Alphonse (maire adjointe de Montreuil, vice-présidente d'Est Ensemble), Sylvie Badoux (maire adjointe Bondy, vice-présidente d'Est Ensemble), Anne Deo (présidente du groupe Écologistes et Citoyen-nes d'Est Ensemble), Capucine Larzillière (conseillère municipale à Montreuil), Tony Di Martino (Maire de Bagnolet), Ibrahim Dufriche Soilihi (premier adjoint de Montreuil), Christophe Paquis (maire adjoint des Lilas), Sabine Rubin (députée des Lilas), Dominique Carré (Pierrefitte, vice-président de Plaine Commune), Kader Chibane (Saint-Denis, vice-président de Plaine Commune), Bastien Lachaud (député d'Aubervilliers-Pantin), Laurent Russier (maire de Saint-Denis), Michel Bourgain (Île-Saint-Denis, vice-président de Plaine Commune). Contact – Coordination Eau Île-de-France |