Inévitables, les catastrophes naturelles ne sont pas forcément les pires
menaces pour l’humanité ; celles liées aux activités humaines semblent
plus dangereuses encore, soit qu'elles résultent d’erreurs
expérimentales, soit qu'elles dérivent de mauvaises évaluations, ou de
dérapages, soit encore qu'elles proviennent d'une volonté de nuire.
Alors même que la planète est en danger, certains secteurs de la
recherche restent très en retrait, c’est le cas des sciences de
l’environnement ou des énergies renouvelables. Demain, sera-t-il humain
ou… posthumain ?
Martin J. REESastronome, ancien président de la Royal Society – Londres Traduit de l’anglais par Henri Burgelin et Martine Le Bec
article paru dans la revue Prospective Stratégique – CEPS
L'avenir de la recherche – N.39 septembre 2011photos Thierry PRAT H2o – octobre 2011
Le XXIe siècle est le premier dans l’histoire de la terre où une seule espèce, la nôtre, a le pouvoir de déterminer le sort de toute la biosphère. Nous sommes entrés dans une ère que l’on appelle parfois l’"anthropocène". note 1
L’ère anthropocène débuté avec l’invention de l’arme nucléaire. Nous avons vécu, durant la guerre froide, sous la menace d’une catastrophe nucléaire qui aurait pu anéantir toute la substance de la civilisation. Les armes nucléaires sont le fruit de la science du XXe siècle. Nous sommes actuellement incapables de prédire quels espoirs et quelles craintes émaneront de la science du XXIe siècle. Cependant, nous pouvons prévoir que les prochaines décennies vont se jouer devant un décor comportant deux éléments bien nets : la croissance démographique et le changement climatique.
Il y a un demi-siècle, la population mondiale était inférieure à 3 milliards d’habitants. Elle atteindra, cette année, 7 milliards. On prévoit qu’elle se situera entre 8,5 et 10 milliards en 2050, cet accroissement étant essentiellement le fait des pays en développement. Plus de la moitié de l’humanité vit désormais dans les villes, et cette proportion va croissant. En même temps, le capital physique et intellectuel de la planète se déplace vers l’Asie, ce qui marque la fin de 400 ans de domination de l’Europe et de l’Amérique du Nord.
Dans de nombreux pays, le taux de fécondité est tombé au seuil de renouvellement d’environ 2,1 naissances par femme. Sa chute a été spectaculaire (par exemple, il est tombé directement de 7 à 2, en Iran). Les taux actuels varient de 7,1 au Niger à 1,2 en Corée du Sud ; la moyenne européenne se situe aux environs de 1,4. Ce qu’on appelle la "transition démographique" est une conséquence du déclin de la mortalité infantile, de l’accès à l’information sur la contraception, à l’éducation des femmes, etc.
Néanmoins, le nombre des habitants continue à augmenter rapidement dans certaines régions du monde. La population de l’Inde devrait, selon les projections, dépasser celle de la Chine et pourrait excéder 1,6 milliard en 2050. D’ici là, le continent africain pourrait aussi croître d’un milliard d’habitants. Nourrir cette population imposera de nouveaux modes de production agricole (parmi lesquels des modifications génétiques). Des pratiques modernes d’ingénierie devront être adoptées pour conserver l’eau, réduire le gaspillage alimentaire, etc.
En général, cette question de la démographie paraît insuffisamment débattue. Cela vient de ce que les prévisions pessimistes faites dans le passé ne se sont pas confirmées et de ce que certains ont estimé qu’il s’agissait d’un sujet tabou, entaché par l’eugénisme des années 1920 et 1930, par la politique de l’Inde au temps d’Indira Gandhi et, plus récemment par la politique de l’enfant unique, efficace, mais radicale, menée par la Chine.
C’est là un message essentiel. L’amélioration de l’éducation et l’émancipation des femmes au cours de cette décennie, en soi des priorités louables, réduiraient les taux de fécondité dans les pays les plus pauvres et pourraient ainsi diminuer d’au moins un milliard l’augmentation de la population mondiale d’ici à 2050. C’est là une bonne chose car plus nombreuse sera la population après 2050, plus fortes seront toutes les pressions qui s’exerceront sur les ressources, énergétiques et autres, surtout si le monde en développement réduit l’écart de sa consommation par habitant avec celle des pays développés.
Il est presque certain que le monde sera alors plus peuplé. On peut aussi prédire avec certitude qu’il sera plus chaud parce que la combustion des énergies fossiles augmente la concentration de gaz CO2 à effet de serre. Même si le taux de réchauffement demeure incertain parce qu’il dépend du cycle mal connu de la transformation de la vapeur d’eau en nuages, dans son état actuel une science peu sûre suffit à me convaincre de la gravité de la menace.
Même si le changement climatique engendré par l’homme est déjà perceptible, les effets les plus importants du réchauffement surviendront dans un siècle ou plus. Le concept d’une justice intergénérationnelle est dès lors parfaitement fondé : comment évaluer les droits et les intérêts des générations futures et les comparer aux nôtres ? Quels transferts devons-nous accorder aux pays en développement ? Quel équilibre devons-nous rechercher entre l’atténuation de leurs impacts et l’adaptation de nos modes de vie et de production ?
Ces questions peuvent être débattues. L’objectif politique affirmé a été de réduire de moitié les émissions mondiales de dioxyde de carbone d’ici à 2050. Cet objectif correspond à une ration de 2 tonnes par habitant de la planète. À titre de comparaison, le niveau actuel des émissions d’un Américain est de 20 tonnes, celui d’un Européen d’environ 10 tonnes, celui d’un Chinois atteint déjà 5,5 tonnes et celui d ‘un Indien, 1,5 tonne. L’objectif fixé doit être atteint sans étouffer la croissance économique dans le monde en développement. C’est donc aux pays riches qu’il appartient de prendre l’initiative des sacrifices.
Parvenir à réduire de moitié l’émission mondiale de carbone serait un résultat important fondé sur une action commune de tous les peuples pour un avenir dépassant l’horizon habituel de la politique. Le maigre progrès réalisé à Copenhague en décembre 2009 a conduit à un pessimisme qui n’a été que partiellement atténué par les résultats de la Conférence de Cancun, un an plus tard. L’Union Européenne poursuit une politique visant à réduire progressivement les émissions de carbone de ses États membres, mais, quoique fassent l’UE et le reste du monde, si les États-Unis et la Chine ne modifient pas leur politique actuelle, il y a peu ou pas de tout d’espoir d’atteindre les objectifs fixés.
Beaucoup parmi nous espèrent toujours que notre civilisation pourra évoluer vers un avenir pauvre en carbone et une population moins nombreuse sans contrôle de traumatisme ni de désastre. Mais cela exigera que les États entreprennent de façon urgente une action ferme et une telle urgence ne sera pas obtenue si d’actives campagnes ne parviennent pas à modifier les habitudes du public et les styles de vie. Naturellement, aucun homme politique ne gagnera beaucoup d’audience en se faisant l’avocat de procédés brutaux comportant des changements mal accueillis des modes de vie. La priorité pour tous les pays développés devrait être de mettre en œuvre des mesures efficaces d’économies en faisant un meilleur usage de l’énergie et en isolant mieux les bâtiments et en encourageant les nouvelles technologies non polluantes de façon à rendre moins coûteuse une transition vers des énergies propres alors que croissent les prix des énergies fossiles. Mais ce qui est très important, c’est de privilégier le développement de ces nouvelles sources d’énergie, qu’il s’agisse du vent, des marées, de la biomasse, du soleil ou du nucléaire de nouvelle génération.
Le défi énergétique exige une priorité et un engagement équivalant à ceux qui ont conduit le Projet Manhattan ou l’atterrissage d’Apollo sur la Lune. En effet, il serait difficile d’imaginer une cause plus susceptible d’enthousiasmer les jeunes gens pour des carrières d’ingénieurs qu’une priorité affirmée pour la mise en œuvre d’une énergie propre au profit aussi bien du monde en développement que du monde développé.
Je suis personnellement favorable à ce que le Royaume-Uni suive l’exemple de la France en construisant plus de centrales nucléaires. Mais le régime de la non-prolifération nucléaire est fragile. On ne peut faire confiance à un programme mondial de l’énergie nucléaire si des "banques de l’énergie" régulées au niveau international ne sont pas constituées pour fournir l’uranium enrichi et pour recueillir et stocker les déchets. De plus, il vaudrait sûrement la peine de stimuler la R&D en vue de la "quatrième génération" de réacteurs qui pourraient être de dimensions plus réduites et plus sûrs. Naturellement, la fusion nucléaire demeure une source d’énergie intarissable et le projet ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor) mérite un soutien mondial.
L’énergie solaire offre une option de long terme attrayante pour l’Europe : des collecteurs gigantesques, pour la plupart, peut-être, installés en Afrique du Nord, fourniraient une puissance qui serait distribuée par un réseau continental. Réaliser cela exigerait une imagination, une volonté et un investissement public et privé de la même ampleur que la construction des chemins de fer dans l’Europe du XIXe siècle.
J’ai déjà insisté sur le fait que le taux prévu de réchauffement global demeurait incertain. Le plus puissant motif d’une action urgente est qu’il s’agit d’une politique d ‘assurance en face du pire des scénarios climatiques qui prévoit de très dures tensions d’ici 50 ans. Nous saurons, dans 20 ans peut-être grâce à des modèles informatiques, mais aussi en mesurant l’accroissement effectif qu’aura atteint alors la température mondiale, si le cycle de la vapeur d’eau aux nuages amplifie fortement l’effet calorifique du CO2 lui-même. Si c’est le cas, et si, en conséquence, le monde paraît être sur la voie d’un réchauffement rapide parce que les efforts internationaux pour réduire les émissions ont échoué, il pourrait se dessiner une pression pour des "mesures de panique". Cela conduirait à mettre en œuvre un "Plan B" qui, fatalement, prévoirait la continuation de la dépendance à l’endroit des énergies fossiles, mais combattrait leurs inconvénients par quelque forme de géo-ingénierie.
Une des options proposées pour contrer l’"effet de serre" serait, par exemple, d’épandre des aérosols dans la haute atmosphère. Les problèmes politiques posés par une telle géo-ingénierie pourraient être écrasants. Tous les pays ne souhaiteraient pas "baisser le thermostat" au même niveau et il pourrait y avoir des effets collatéraux inattendus. De plus, le réchauffement pourrait réapparaître et prendre sa revanche si jamais les contre-mesures étaient interrompues et d’autres conséquences de l’augmentation du CO2, notamment les effets délétères de l’acidification des océans, resteraient sans remède.
Une stratégie alternative, qui paraît actuellement moins praticable, mettrait en jeu une extraction directe du carbone de l’atmosphère. Cette méthode serait politiquement plus acceptable: pour l‘essentiel, nous déferions inconsciemment la géo-ingénierie que nous avons réalisée en brûlant les combustibles fossiles.
La sécurité énergétique, l’approvisionnement alimentaire et le changement climatique sont les premières menaces à long terme, ne provenant pas d’ennemis, auxquelles nous sommes confrontés ; elles sont toutes aggravées par la croissance démographique. Mais ce ne sont pas les seules. Par exemple, les modifications rapides dans l’utilisation des sols peuvent détruire des écosystèmes entiers. Il y a eu 5 grandes crises d’extinction des espèces au cours de l’histoire géologique. L’action des hommes est en train de provoquer la sixième. Nous détruisons le livre de la vie avant de l’avoir lu.
On présente souvent la biodiversité comme un élément crucial du bien-être des hommes et de la croissance économique, ce qu’elle est manifestement : il est clair que nous pâtirons si les réserves de poissons évoluent vers l’extinction ; il y a dans les forêts humides des plantes dont la génétique pourrait nous être utile. Mais, pour bien des écologistes, ces arguments "instrumentalistes" et anthropocentristes ne sont pas les seuls à être contraignants. Pour eux, la préservation des richesses de notre biosphère a une valeur pour elle-même, dépassant ce que cela signifie pour nous, les humains.
Mais il s’ajoute à cela d’autres vulnérabilités, d’une autre nature. La société mondiale est précaire et dépend de réseaux complexes tels que la distribution de l’électricité, le contrôle du trafic aérien, la finance internationale, les livraisons en temps voulu, etc. Il est essentiel d’assurer le maximum de résilience à tous ces systèmes, sinon les bénéfices évidents que l’on en tire pourraient être anéantis par des ruptures catastrophiques, bien que rares, atteignant en cascade l’ensemble du système. La crainte de cyber attaques par des criminels ou par des ennemis monte rapidement.
Mais il existe aussi de telles craintes dans le domaine "bio". La "biologie de synthèse" présente un immense potentiel pour la médecine et pour l’agriculture, mais elle comporte des risques. Les génomes de certains virus, tels ceux de la polio, de la grippe espagnole, du SRAS, ont déjà été produits par synthèse. L’expertise dans de telles techniques s’étendra, créant un risque manifeste d’erreur biologique, voire de "bioterrorisme".
Nous nous faisons des illusions si nous pensons que ceux qui disposeront de l’expertise technique seront tous équilibrés et rationnels. L’expertise peut être liée au fanatisme, et pas seulement au fondamentalisme traditionnel qui nous préoccupe tant aujourd’hui, mais celui dont certains cultes d’un "nouvel âge", de naturistes extrémistes, de militants violents des droits des animaux et d’autres encore fournissent l’exemple, et il y aura des délinquants individuels, dont la mentalité est celle de ceux qui lancent actuellement des virus informatiques : la mentalité de pyromanes. Le village mondial aura ses "idiots du village".
Ce qu’il y a à craindre, c’est que des évènements peu probables aient des conséquences considérables, analogues dans le monde des réalités à ce qu’a été la panique survenue dans le monde de la finance. Dans un avenir où l’individu disposera de beaucoup de puissance, où même un geste fou ou mal intentionné pourrait être de trop, comment notre société ouverte pourrait-elle être sauvegardée ? Peut-être notre société évoluera-t-elle vers plus d’intervention dans la vie privée ? (De, fait, l’abandon irréfléchi avec lequel les gens adressent à Facebook les détails de leur intimité et notre acceptation de l’ubiquité de la CCTV donne à penser que, de façon surprenante, une telle évolution rencontrera peu de résistance). Y aura-t-il des pressions pour réduire la diversité et l’individualisme ? Cela pourrait devenir de sérieuses questions.
Les prévisionnistes sous-estiment généralement les changements à long terme, alors qu’ils surestiment le court terme. Nous devrions garder l’esprit ouvert, ou au moins entrebâillé, à des scénarios qui paraissent aujourd’hui se situer aux limites de la spéculation. Les futurologues ne se trompent pas toujours.
Il est une chose qui a peu changé au cours des millénaires, c’est la nature et le caractère de l’homme. Mais, avant longtemps, de nouveaux médicaments renforçant la cognition, la génétique et les techniques "cyborg" (organisme cybernétique) peuvent altérer la condition même de l’homme. C’est quelque chose de qualitativement nouveau dans l’histoire et c’est inquiétant parce que cela peut annoncer des formes plus profondes d’inégalité si ces options n’étaient ouvertes qu’à un petit nombre de privilégiés. Or, nous vivrons plus longtemps. De fait, un réel atout dans les projections démographiques c’est que les générations futures pourraient connaitre un allongement important de la longévité.
Les ordinateurs vont-ils gagner ? Déjà, en 1997, l’ordinateur IBM "Deep Blue" a battu Kasparov, le champion du monde d’échecs. Mais les robots ne peuvent toujours pas reconnaître ni déplacer les pièces sur un échiquier réel aussi habilement qu’un enfant peut le faire. Cependant, au cours de ce siècle, leurs successeurs les plus élaborés pourront faire rapport à leur entourage (et aux personnes) aussi habilement que nous le faisons à partir de nos organes sensoriels. Il en découle des questions morales. Nous admettons comme un devoir d’assurer que les autres humains puissent exercer leurs capacités "naturelles" et nous ressentons de pareilles obligations à l’endroit de certaines espèces animales. Mais, quelles sont nos obligations à l’égard de robots sophistiqués qui sont notre propre création ? Devrions-nous sentir coupables de les exploiter ? Devrions-nous nous inquiéter s’ils sont inoccupés, frustrés ou bridés ? Quoiqu’il en soit, les robots ont certainement un immense potentiel dans des domaines que les hommes ne peuvent pas atteindre facilement, comme les mines ou les équipements pétroliers. Les interventions médicales peuvent être facilitées par des robots nains circulant à l’intérieur du corps.
Mais là où ils pourraient vraiment agir de façon autonome, c’est hors de la terre, en soutenant la vieille aspiration des hommes à explorer l’espace. Excusez quelques réflexions à ce propos qui relève de ma spécialité.
Nous célébrons cette année le cinquantenaire du premier vol orbital, accompli par Gagarine. Le "petit pas" de Neil Armstrong sur la Lune n’a eu lieu que 8 ans plus tard et seulement 66 ans après le premier vol des frères Wright. Si l’entreprise avait été poursuivie, il y aurait maintenant une base sur la Lune et même une expédition pour Mars. Mais la course à la Lune constituait une fin en soi, alimentée par la soif de "battre les Russes". Il n’y avait aucune raison pour poursuivre l’énorme investissement et continuer l’entreprise des années 1960. Après Apollo, des centaines d’astronautes ont circulé autour de la terre en orbites basses ; mais aucun n’est allé plus loin. En revanche, la technologie spatiale des vols inhabités s’est épanouie, nous apportant le GPS, les télécommunications à l’échelle mondiale, l’information environnementale et bien d’autres avantages quotidiens.
L’exploration scientifique a également bourgeonné. Les télescopes lancés dans l’espace ont puissamment poussé en avant l’astronomie et, plus localement, des sondages sur Mars et sur les satellites de Jupiter et de Saturne ont rapporté des images de mondes distincts et variés. J’espère que, au cours de ce siècle, tout le système solaire sera exploré par des flottilles d’appareils non habités et miniaturisés. On peu imaginer des robots bâtisseurs, construisant de vastes structures ou, peut-être, récupérant des matériaux rares venus d’astéroïdes.
Les hommes vont-ils s’y aventurer aussi ? La nécessité s’en affaiblit avec chaque progrès de la robotique et de la miniaturisation. C’est, du moins, mon point de vue de praticien de la science, mais, en tant qu‘être humain, je suis néanmoins un enthousiaste des missions habitées, considérées comme une aventure au long cours, au moins pour quelques humains.
Je ne pense pas que de futures expéditions sur la Lune et au-delà soient politiquement et financièrement viables sauf s‘il se produit des circonstances susceptibles de réduire les coûts, sponsorisées par des individus prêts à assumer de gros risques, peut-être même à prendre des allers sans retours. Elles devraient bénéficier d’un financement privé car aucune institution gouvernementale de l’Occident n’exposerait des citoyens aux hasards d’une telle aventure. En effet, elle sera dangereuse. Souvenez-vous que nul lieu dans notre système solaire n’offre un environnement aussi clément que l’Antarctique ou le sommet de l’Everest. C’est une folie de prétendre, comme le font certains, que l’émigration dans l’espace offre, pour une longue période, un échapatoire aux problèmes de la Terre.
Dans un ou deux siècles, cependant, de petits groupes d’intrépides aventuriers pourraient vivre indépendamment de la Terre. Quelles que soient les contraintes que nous imposions sur son sol, nous souhaiterions certainement bonne chance à de tels pionniers en opérant sur leur progéniture des modifications génétiques pour l’adapter à des environnements étrangers. Cela pourrait être la première étape vers la divergence d’une nouvelle espèce : l’ère post-humaine commencerait alors et les machines issues de l’intelligence humaine pourraient poursuivre leur expansion.
Nous ne pouvons prédire ce que seront les voies de la science au XXIe siècle, mais nous pouvons fermement présumer ce qui sera important pour la communauté scientifique. Il y aura sûrement une distance de plus en plus grande entre ce que la science nous permet de faire et les applications qu’en autorisent l’éthique et la prudence. La science pourra ouvrir plus de portes, mais il vaudra mieux les laisser fermées.
De plus en plus de décisions importantes ont une dimension scientifique, que ce soit à propos de l’énergie, la technologie des OGM, des médicaments renforçant l’activité intellectuelle, ou dans d’autres domaines. Elles ont aussi une dimension mondiale, aussi il pourra être nécessaire de créer de nouvelles institutions internationales, peut-être sur le modèle de l’OMS ou sous la forme de consortium, comme le GIEC.
Je suis un techno-optimiste. Au cours de la dernière décennie, nos vies ont été considérablement enrichies par la consommation électronique et les services fondés sur le Web que nous accepterions volontiers de payer beaucoup plus cher et qui dépassent tout ce que nous pouvions en attendre il y a dix ans. Leur impact sur le monde en développement a été énorme. Il y a plus de téléphones mobiles que de toilettes en Inde et ils ont pénétré l’Afrique, aidant les agriculteurs auxquels ils fournissent une information sur les marchés qui leur permet de n’être pas floués par les commerçants et rendant possibles des transferts d’argent. Il y a maintenant une forte demande pour les générateurs solaires de faible puissance, en vue de les charger.
Il semble qu’il n’y a pas d’empêchement scientifique à la réalisation d’un monde acceptable avant 2050, époque à laquelle les pays en développement auront réduit la distance qui les sépare des pays développés et où tous bénéficieront de nouvelles avancées qui pourraient avoir un impact aussi important et aussi bénéfique que celui qu’a eu la technologie informatique au cours de la dernière décennie.
Mais les insolubles problèmes posés par la politique et la sociologie, la distance entre ce qui était possible et ce qui est réellement advenu, engendrent le pessimisme. Les pays les plus riches reconnaîtront-ils que la prospérité du monde en développement et sa pleine participation aux bénéfices de la mondialisation répond à leur propre intérêt ? Les nations peuvent-elles conserver une gouvernance efficace, mais non répressive, face aux menaces de petits groupes dotés d’une expertise high-tech ? L’objet de nos sympathies peut-il devenir plus pleinement international ? Mais, avant tout, nos institutions permettent-elles de donner priorité à des projets à long terme dans des perspectives politiques, même dans un seul instant de l’histoire de notre planète ?
Il est urgent de mettre en œuvre les nouvelles technologies de la meilleure façon, et d’éviter leurs inconvénients cauchemardesques, d’endiguer les risques de dégradation de l’environnement, de développer une énergie propre et une agriculture durable et d’assurer qu’en 2050, nous ne connaîtrons plus un monde où des milliards de personnes vivent dans la pauvreté et où les bénéfices de la mondialisation ne sont pas répartis de façon honnête. .
note 1 – En 2008, la Commission de stratigraphie de la Société Géologique de Londres, société savante fondée en 1807, a proposé d’ouvrir un débat international sur l’entrée dans cette nouvelle ère géologique. Pour les 21 savants, membres de cette Commission, il ne fait aucun doute que nous vivons aujourd’hui dans une nouvelle époque et qu’il est temps de tourner la page de l’holocène, commencée il y a plus de 10 000 ans et correspondant au néolithique des archéologues. Déjà, en 2002, Paul Crutzen, climatologue et Prix Nobel de chimie, suggérait que nous avions quitté l’holocène. haut
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Martin Rees – Institut d'Astronomie, Université de Cambridge (Royaume-Uni) Earth in its final century? Sir Martin Rees's lecture – Sweet Speeches, conférence sous-titrée |