Mohamed Larbi BOUGUERRAancien professeur à la faculté des sciences de Tunis
directeur de recherche associé au CNRS
Tunis juin 2011 – H2o septembe 2011
photo Freiburg, août 2011 – ATTAC
université européenne d'été
Le 13 juin dernier, en Italie, le référendum populaire, né d’une initiative citoyenne, a dit non à la marchandisation de l’eau et fait mordre la poussière aux politiques néolibérales promues par le gouvernement Berlusconi.
La démocratie participative a ainsi défendu les biens communs – dont l’eau, bien entendu – qui font saliver les milieux d’affaires. Depuis fin 2009, le gouvernement italien obligeait, au moyen d’un décret, les institutions locales à transformer toutes les sociétés qui géraient le service de l’eau dans la péninsule à attribuer au moins 40 % des actions de ces sociétés à des partenaires privés. Mais l’initiative populaire inscrite dans la Constitution permet aux citoyens d’abroger un décret si 500 000 électeurs demandent un référendum et si la moitié du corps électoral plus un inscrit prennent part au vote. C’est ainsi que la société civile a remporté cette grande victoire du 13 juin en dépit du fait que les médias aux ordres de Berlusconi et l’establishment en général ont tout fait pour la faire capoter.
La victoire du peuple italien vient confirmer que l’eau est un élément chargé de symboles et de valeurs et qu’elle ne saurait être traitée comme une vulgaire marchandise générant des profits pour les actionnaires des multinationales de l’eau. L’eau est Vie. Elle fait vivre cette planète – en déployant son magnifique cycle – depuis son apparition dans le Cosmos il y a 4,5 milliards d’années. Nul ne saurait en être privé pour son incapacité à la payer. La loi du marché est ici une exigence néfaste, contreproductive tant pour le citoyen que pour l’environnement.
Dans le monde aujourd’hui, 95 % des réseaux d’eau sont gérés par la puissance publique car des millions de citoyens refusent de passer sous les fourches caudines des multinationales de l’eau qui n’ont d’yeux que pour le cash flow, la valeur de l’action en bourse et le dividende à distribuer en fin d’année. Du reste, exception faite du Chili, de l’Angleterre et du pays de Galles – qui ont totalement privatisé la gestion de l’eau – aucun État n’a totalement délégué cette fonction capitale à un opérateur privé. Pour la Tunisie, on a vu en juin 2008, un représentant des multinationales de l’eau, être reçu par l’alors Premier ministre, M. Mohamed Ghannouchi, président en outre de la Commission des marchés. C’est là un fait inquiétant car certains veulent, à tout prix, exporter les principes de"l’école française de l’eau" et ils emploient à cet égard tous les subterfuges possibles : publicité tapageuse, ciblage des écoliers, des médecins… et surtout conversion des politiques à leurs vues. Or, sur les quatre plus grands groupes mondiaux du secteur de l’eau, trois sont françaises. En France en effet, pour des raisons qui tiennent à l’histoire de ce pays, depuis la Deuxième Guerre mondiale, 8 habitants sur 10 sont desservis par un opérateur privé voire 9 habitants sur 10 dans les grandes agglomérations. Mais les gens luttent et disent : ce bien commun doit être partagé, loin de tout esprit de lucre ou de profit. C’est ainsi que la ville de Paris vient de dénoncer les contrats – signés par M. Jacques Chirac, alors maire de la capitale – qui la liaient aux entreprises de l’eau. D’autres villes, aussi bien de droite que de gauche, ont fait de même car, dans l’immense majorité des cas, l’eau distribuée par les multinationales est bien plus chère que lorsque le service est assuré par un organisme public. Il en est de même pour l’assainissement des eaux usées : assuré par le public, il demeure moins cher pour le citoyen. De plus, en France même, on a souvent vérifié cette loi : la privatisation des services de l’eau et de l’assainissement conduit parfois à de graves dérives : opacité, surfacturation… qui ont conduit à de nombreuses "affaires politico-financières". C’est ainsi que le maire de Grenoble, Alain Carignon a été condamné, en 1996, à quatre ans de prison ferme pour corruption.
Les multinationales de l’eau – françaises notamment – face aux rigueurs de la loi "at home" et face aux actions citoyennes, lancent des actions tout azimut à l’étranger et promeuvent, avec l’appui du FMI et de la Banque mondiale, le partenariat public-privé. Il s’agit de mettre à contribution les financements publics (souvent en partie internationaux) et d’inventer des mécanismes pour assurer la sécurité des investissements privés car le krach en Argentine, par exemple, a fait perdre plus d’un demi-milliard d’euros à une multinationale française. En 2003, la ville d’Atlanta aux États-Unis a rompu son contrat de 20 ans signé en 1999 avec une autre entreprise française. Pareillement, en 2003 encore, parce que la municipalité de Manille aux Philippines a refusé les hausses de tarif de l’eau, cette même entreprise a du quitter le pays : le prix de l’eau a explosé de 500 % en 5 ans et la qualité de l’eau n’a pas été à la hauteur, choléra et gastroentérite ayant fait des centaines de malades et tué 7 personnes. En Bolivie, la privatisation de l’eau a conduit à des émeutes sanglantes à Cochabamba. Les multinationales de l’eau ont du aussi se retirer du Vietnam, voire d’Halifax au Canada. En Afrique, des joint ventures d’une multinationale française ont vu le jour au Gabon, au Niger et au Maroc où la résistance des populations va crescendo.
En Tunisie, bien des zones du pays méritent une meilleure couverture et pour bien des communautés, l’alimentation en eau est un calvaire. Des problèmes sanitaires ont même été signalés par endroit. La Révolution peut et doit mettre fin à ces situations déplorables et dégager les financements nécessaires, d’autant qu’un dinar consenti pour l’eau en rapporte huit au final. Le pays a assez d’ingénieurs et de techniciens capables de relever ce défi. Ils doivent être mobilisés pour que l’eau et l’assainissement ne causent plus de souci à nos concitoyens. Les multinationales de l’eau ne veulent pas d’une clientèle aux moyens modestes et rurale. Elles visent en priorité les villes et veulent faire des profits. Rappelons enfin que l’Assemblée générale de l’ONU a voté en juillet 2010 que l’alimentation en eau est un droit. Pour l’heure, ce droit n’est peut être pas opposable aux États mais la résolution de l’ONU a un tel poids moral que nul pays n’a osé voter contre… Seule une poignée de membres s’est abstenue comme les États-Unis et Israël. L’eau est, en effet, au premier chef, une question politique et éthique.
"Ça s’écrit EAU, mais ça se lit démocratie", tel était le slogan du référendum italien. Il nous faut retenir la leçon qui vient de Rome: la société civile exerçant démocratiquement ses droits peut faire échec aux adorateurs du Veau d’Or qui visent la privatisation des biens communs et oublient que, pour le poète Paul Claudel : "l’eau est le regard de la Terre, son appareil à regarder le temps." La Révolution tunisienne doit garder limpide et propre ce regard. Elle doit résister aux multinationales de l’eau. .
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{mospagebreak title=2. Tunisie : Éviter le piège de la privatisation&heading=1. Italie : Victoire de la société civile}
Medhi LAHLOU président – ACME-Maroc
manifestation devant le siège de la province de Rabat
jeudi 14 avril 2011
photo Ouhnaoui Mohammed pour ACME-Maroc
Depuis la révolution qui l’a mise sur le chemin de la démocratisation, la Tunisie attire la sympathie, notamment celle de tous les peuples épris, comme le sien, de liberté, de justice et de développement économique et social.
Pays encore fragile à la suite des sept mois de gestation qu’elle a déjà connus, mais aussi en raison des retombées négatives des évènements dramatiques survenant sur le sol de sa voisine, la Libye, elle est aujourd’hui courue par divers prospecteurs à la recherche des meilleures opportunités d’affaires, pour y reprendre pied dans la perspective de l’ère de stabilisation d’après Ben Ali.
Parmi ces opportunités potentielles figurent, à n’en pas douter, le secteur de l’eau et de sa distribution dans différentes villes tunisiennes. Dans une approche de "solidarité" pour apporter aide et support à un pays qui en a grandement besoin, qui dispose certes de compétences humaines reconnues, mais qui est aujourd’hui en "manque" de ressources financières et qui doit opérer en urgence pour répondre à une infinité des besoins et de demandes exprimés par sa population, les conglomérats de l’eau se mettent désormais dans les rangs pour assurer aux Tunisiens "l’accès à l’eau", soit la capacité de bénéficier d’un service de base.
Or, sous prétexte de se mettre au service des populations et de les aider à accéder à une ressource vitale, de plus en plus rare, les entreprises de l’eau sont mues, d’abord et avant tout par la prise de contrôle d’un secteur monopolistique qui constitue pour elles, un peu partout dans le monde et plus particulièrement dans les pays en voie de développement, une source de profits importants et assurés pour de longues années.
De ce point de vue, il est utile d’énoncer les principaux éléments suivants qui conduisent à affirmer, sans conteste, combien la prise de contrôle des services de l’eau par le capital privé – de quelque origine qu’il soit et quelle que soit la forme que prend ce contrôle – est inappropriée, politiquement injustifiée et économiquement et socialement contreproductive :
Dans une démarche citoyenne, à l’international, un ensemble d’associations agissant dans le cadre du Forum Alternatif Mondial de l’Eau, bien conscientes des dangers pour les populations – surtout les plus pauvres – de la volonté d’accaparement par les grandes entreprises multinationales de leurs eaux, se mobilisent depuis de nombreuses années pour :
Les autorités publiques tunisiennes, administratives et élues, ne sont pas seules aujourd’hui à éprouver des difficultés à résoudre les problématiques de l’eau qu’affrontent leurs populations – dont la raréfication et/ou la pollution ne sont pas les moindres. L’arrivée du capital privé pour gérer l’eau en Tunisie, dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler un partenariat public-privé (qui n’est rien d’autre formule policée de privatisation) n’est pas une panacée, comme celle-ci ne s’imposait pas au Maroc.
Un autre partenariat existe, véritablement gagnant-gagnant celui-là, qui verrait la mise en place de collaborations technique, financière, industrielle et, surtout, politique et sociale, entre des établissements publics et des municipalités tunisiens avec des établissements pertinents maghrébins (de ce point de vue l’expérience de l’Office national marocain de l’eau potable, ONEP, serait d’une très grande utilité) ou des collectivités urbaines au sud et au nord de la Méditerranée, qui ont montré leur efficience et leurs compétences en la matière, à l’exemple notable de la ville de Paris, qui a remunicipalisé la gestion de son eau à partir du début de l’année 2010. Mais d’autres exemples peuvent être tirés, dans le même secteur, des expériences allemande, italienne, espagnole ou scandinave.
On aurait là une occasion majeure pour les uns comme pour les autres d'exprimer une solidarité agissante vis-à-vis du peuple tunisien et aussi de pâtir une coopération décentralisée, gage véritable d’un nouvelle forme de construction euro-méditerranéenne, plus conforme aux intérêts des sociétés de part et d’autres de la Méditerranée, à la suite du printemps arabe qui a démarré Tunisien. .
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{mospagebreak title=3. Afrique : La privatisation est-elle la solution ?}
Jacques CAMBON
membre du conseil d'administration – ATTAC France
manifestation devant le siège de la province de Rabat
jeudi 14 avril 2011
photo Ouhnaoui Mohammed pour ACME-Maroc
Le 29 juillet 2010, l’Assemblée générale des Nations unies a reconnu, dans une résolution proposée par la Bolivie et adoptée par 122 voix et 41 abstentions, "le droit à une eau potable salubre et propre comme un droit fondamental, essentiel au plein exercice du droit à la vie et de tous les droits de l’homme". Elle demande en outre "aux États et aux organisations internationales de fournir des ressources financières, de renforcer les capacités et de procéder à des transferts de technologies, en particulier en faveur des pays en développement ".
C’est une décision historique, mais s’il a été nécessaire de proclamer ce droit, c’est bien entendu qu’il était loin d’être respecté partout dans le monde. Selon le rapport UNESCO/OMS 2010, 884 millions de personnes dans le monde (soit 13 % de la population) dont 343 millions en Afrique, n’ont pas accès à "une source d’approvisionnement en eau potable améliorée" (réseau d’eau courante, borne-fontaine, puits ou source protégé, citerne d’eau de pluie) et 2,6 milliards de personne, soit 39 % de la population mondiale, n’ont pas accès à "des installations d’assainissement améliorées" (tout-à-l’égout, fosse septique, latrines à fosse). Les conséquences sont dramatiques : les maladies liées à l’eau (la diarrhée, le choléra, la typhoïde, la polio, la méningite, les hépatites…), représentent à ce jour la principale cause de mortalité dans le monde, avec 8 millions de victimes par an selon l’ONG Solidarité International (autour de 3 millions selon l’OMS). Les causes de la "crise de l’eau" sont multiples, qui tiennent au climat, à la démographie, aux modes de vie, à l’économie, à la politique, aux institutions …et il importe de toutes les éliminer pour que ce "droit à l’eau potable" puisse entrer réellement dans les faits.
Le climat de l’Afrique est souvent mis en cause. Certes l’eau n’est pas répartie équitablement sur la planète et les évolutions prévisibles avec le réchauffement de la terre ne feront qu’accentuer les écarts, avec plus de précipitations dans les zones polaires, tempérées et équatoriales et moins dans la zone intertropicale. En outre, les besoins humains sont répartis sur toute l’année, voire plus importants en saison sèche, alors que les apports varient considérablement au cours de l’année et que les stockages naturels (glaciers, lacs, rivières pérennes…) sont là aussi plus rares dans les régions tropicales. Ces disparités ne sont pas nouvelles et n’ont pas empêché le développement de sociétés humaines adaptées sur les différents continents.
Mais il n’en va pas de même avec la démographie et la mondialisation des modes de vie. La population mondiale est passée de 2,5 milliards en 1950, à près de 7 milliards en 2010, ses besoins en eau augmentant bien sûr en proportion. Et quand on parle des besoins de la population, il ne faut pas considérer seulement les besoins en eau domestique (5 litres/personne/jour pour la survie, 50 l/p/j pour une vie décente, plus de 500 l/p/j pour satisfaire les standards nord-américains), qui représentent moins de 10 % de la consommation d’eau. Pour mesurer l’impact de l’augmentation de population, il faut s’intéresser au total des prélèvements d’eau pour la production de nourriture, de biens de consommation, d’énergie, etc., ce qu’on appelle l’empreinte eau. Cette empreinte est 3 400 l/p/j en moyenne mondiale, variant de 6 800 l/p/j aux États-Unis à 1 850 l/p/j en Éthiopie, la France se situant autour de 5 140 l/p/j. L’empreinte eau dépend du niveau global de consommation, du mode de vie et du climat. Sachant par exemple que la production d’un kg de bœuf demande 15 500 l d’eau, contre 3 900 l pour 1 kg de poulet ou 1 300 l pour 1 kg de blé, on mesure l’impact de l’occidentalisation des modes de consommation.
L’urbanisation est un autre facteur de la crise. Relativement facile à résoudre pour une petite communauté rurale, nécessitant des volumes réduits, l’alimentation en eau se complique dès que la communauté grandit et diversifie son activité ; il faut songer à rechercher des ressources en eau plus lointaines, donc à les transporter, les stocker, les distribuer au sein d’une agglomération trop étendue pour être desservie par un seul point d’eau, etc. Tout ceci à un coût. De nos jours plus de la moitié de la population mondiale réside en zone urbaine, ce qui accroit les besoins d’adduction et de distribution d’eau, avec les coûts associés de stockage, de pompage, de potabilisation… Cette concentration de population rend encore plus aigus les problèmes d’assainissement des eaux résiduaires et pluviales et de leur traitement, mais aussi de l’organisation du service. Passé le niveau du petit village, ou la communauté autogère le plus souvent ses ressources en eau, la responsabilité des services de l’eau et de l’assainissement (quand ce dernier existe) sont d’une manière générale sous la responsabilité du pouvoir politique, qu’il s’agisse de l’État central ou d’autorités locales (région, commune…). Dans les pays récemment décolonisés où les compétences étaient rares, ces services ont la plupart du temps été confiés à des entreprises nationales (au moins pour les villes) avec assez souvent une responsabilité du ministère de l’Agriculture sur l’alimentation en eau des zones rurales. Leur bilan est très variable mais hélas le plus souvent mauvais. Les raisons des échecs sont multiples : manque d’encadrement, manque d’équipements de maintenance, financements insuffisants, consommateurs insolvables, dirigeants incompétents ou corrompus… à l’image bien souvent du paysage politico-économique du pays. De ces insuffisances, les multinationales de l’eau ont fait leur miel, expliquant à l’envie qu’une meilleure gouvernance de l’eau (privée, bien entendu) permettrait de redresser la situation…
Historiquement l’Afrique n’a intéressé que très modérément les multinationales du secteur, en dehors du cas de l’eau de Côte d’Ivoire concédée en 1960 à la SAUR, appartenant alors au groupe Bouygues. Au début des années 1990, l'intervention de plus en plus marquée des organisations financières internationales, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, pousse les pays en développement à mettre en place des politiques d'ajustement structurel : la réduction de la dette extérieure passe par la diminution des dépenses publiques. Les privatisations sont au cœur du dispositif, y compris pour la distribution d’eau potable.
En Afrique sub-saharienne, c’est la SAUR qui mène le bal avec la Guinée Conakry (1989), la République Centre Africaine (1993), le Mali (1994), le Sénégal (1995), l’Afrique du Sud (1999), le Mozambique (1999) : numéro 1 du BTP, Bouygues utilise sa position de concessionnaire (pas toujours assez lucrative) pour se faire adjuger sans concurrence les travaux de rénovation et d’extension, beaucoup plus rémunérateurs. Vivendi (futur Veolia) et Suez-Lyonnaise des eaux, qui n’ont pas les mêmes intérêts, se font un peu tirer l’oreille avant de se lancer à leur tour : Afrique de Sud (1992), Guinée-Bissau (1995), Cameroun (2000) pour Suez, Gabon (1997), Kenya (1999), Tchad (2000), Burkina Faso (2001) et Niger (2001) pour Vivendi. On note quelques étrangers à la "Françafrique" : Biwater en Afrique du Sud ou IPE (Portugal) au Mozambique ou au Cap Vert par exemple.
En Afrique du Nord, d’avantage convoitée, si la SONEDE Tunisienne tient bon contre les privatisations, le Maroc concède Casablanca à Suez (1997), Rabat à un groupement Lusitano-Espagnol (1998), vite remplacé par Veolia, et Tanger et Tétouan à Veolia (2002); l’Algérie hésitera plus longtemps avant de confier Alger à la SEAAL (dont Suez est actionnaire) en 2006, Oran à l’Espagnol Agbar Agua et Annaba à l’Allemand Gelsenwasser (2007), et envisagerait de généraliser le système.
Et pourtant l’Afrique pèse encore peu dans les profits des multinationales : 8,5 % (cumul Afrique-Moyen Orient-Inde) du CA de Veolia Eau (sur 12,5 milliards d'euros), 7% (cumul Afrique-Moyen Orient) pour Suez Environnement (sur 12,3 milliards d'euros), mais 19 % pour SAUR (sur 1,5 milliard d'euros) en 2009. Une des raisons réside peut-être dans le bilan de ces opérations de délégation de service public. Se traduisant quasi systématiquement par des hausses de tarifs (jusqu’à 40 % à Nairobi) sans que l’amélioration du service soit toujours à la hauteur, les privatisations provoquent souvent la révolte des usagers qui ne peuvent plus payer et se mobilisent pour obliger leur gouvernement à rompre les contrats. Veolia a dû se retirer du Mali, du Gabon, du Tchad, du Niger, de Nairobi… SAUR a quitté la Guinée. Un peu partout des mouvements de lutte contre la privatisation de l’eau se se sont mis en place, notamment en Afrique du sud, et une quarantaine de pays se sont regroupés dans le Réseau Africain de l’Eau lors du FSM de Nairobi.
En fait la DSP ne répond pas aux multiples problèmes de l’eau en Afrique :
En bref, injecter du savoir-faire (même s’il est excellent) et une meilleure gouvernance dans les entreprises ne sert à rien si les installations ne sont pas remises à niveau, ce qui nécessite des investissements que les pouvoirs publics locaux ne peuvent pas faire et que le pouvoir d’achat des usagers ne permettra pas de rembourser au travers d’une augmentation du prix de l’eau. Sans parler des bénéfices que les multinationales doivent dégager pour satisfaire leurs actionnaires.
La déclaration de l’ONU faisant de l’eau un droit humain fondamental n’a en rien entamé la combativité des multinationales : au contraire elles ont applaudi, considérant que ce nouveau droit devait leur ouvrir de nouveaux marchés…aux frais des états, c'est-à-dire des populations ! Même s’il ne sera plus tout à fait possible d’affirmer, comme le porte-parole de l’UE Joe Hennan, que "l'eau est une marchandise comme une autre", les multinationales continueront à chercher à faire du "business as usual" avec. Pour lutter contre, une référence existe. La notion de "patrimoine commun de l’humanité" a déjà été arrêtée pour ce qui est de la gestion des mers et des océans, des planètes, des corps célestes…Elle comporte quatre éléments :
"Le combat continue", et l’adversaire est connu : c’est le Conseil Mondial de l’Eau (CME) à la botte de Veolia, Suez et consorts. La prochaine étape sera le Forum Alternatif Mondial de l’Eau (FAME) organisé à Marseille en mars 2012 pour réponse au Forum Mondial de l’Eau (FME) organisé par le CME au même moment et également à Marseille, pour promouvoir la marchandisation de l’eau. .
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{mospagebreak title=4. Nouvelles donnes de la mobilisation citoyenne}
Riccardo PETRELLA
professeur émérite de l’Université catholique de Louvain – UCL
président de l’Institut européen de recherche pour la politique de l'eau – IERPE
avril 2011
manifestation Aqua Bene Comune – Rome 26 mars 2011
photo Josiane Teissier
La rupture a commencé autour de 1992. Pour la première fois, les pouvoirs forts économiques et politiques des "pays du Nord" ont affirmé et fait admettre par la communauté internationale que l’eau devait être considérée essentiellement comme un "bien économique" (d’après les principes de l’économie capitaliste de marché). (Quatrième principe de la déclaration finale de la conférence des Nations unies sur l’eau à Dublin, en préparation du premier Sommet de la Terre de Rio de Janeiro).
Sur cette base, la Banque mondiale – qui a été l’un des pouvoirs inspirateurs et promoteurs de ce changement – a élaboré et imposé à travers le monde, à partir de 1993, le modèle qui devait permettre, selon elle, de "gérer" de manière optimale les ressources hydriques de la planète en tant que "bien économique". Référence est faite à la Gestion intégrée des ressources en eau – GIRE (1), dont le postulat fondateur est la fixation d’un prix de l’eau basé sur le principe de la récupération des coûts totaux (Full Cost Recovery Principle), y compris la rémunération du capital investi, assurant ainsi aux investisseurs un rendement financier raisonnable, constituerait le moyen nécessaire et indispensable pour réaliser une gestion optimale de la ressource eau.
Les conceptions à la base de la GIRE sont devenues les lignes guides de la politique de l’eau de la plupart des gouvernements des cinq continents, sous l’impulsion notamment de la Global Water Partnership (2). De nombreux syndicats du "Nord" ne s’y sont pas opposés. Le monde académique, en général, s’est aligné. Ainsi, le Full Cost Recovery Principle a été adopté par toutes les agences spécialisées des Nations unies travaillant dans le domaine de l’eau, Il est l’épine dorsale de la Directive Cadre européenne de l’Eau de l’an 2000. Au dire des auteurs, il a inspiré la première "grande" loi sur l’eau en Italie (la loi Galli de 1994)…
L’élément clé qui a contribué à rendre la rupture crédible et justifiée – alors quelle ne l’était pas – a été la raréfaction croissante de l’eau de qualité bonne pour usages humains. Ces groupes ont fait croire que les phénomènes de raréfaction étaient inévitables car dus, selon eux, à l’augmentation de la population mondiale et au développement économique croissant permanent, nécessitant de plus en plus d’eau. Or, les principales causes de la raréfaction qualitative de l’eau, qui est réelle, sont en revanche réparables et réversibles car liées aux mauvais usages de l’eau (prélèvements non respectueux du taux naturel de renouvellement des corps hydriques, massives contaminations et pollutions dévastatrices des eaux, absence/faiblesse de règles de gestion partagée et solidaire des eaux, notamment transnationales). Manipulant les faits, les groupes dominants ont imposé l’idée que la crise mondiale de l’eau est essentiellement une crise de rareté de l’eau, que cette rareté va rester voir augmenter à l’avenir à cause du changement climatique et que, par conséquent, la gestion de l’eau se doit d’être une gestion efficace d’une ressource économique rare, de plus en plus stratégiquement importante pour la sécurité économique de chaque pays. Cette thèse n’est pas l’apanage exclusif des grandes entreprises multinationales privées de l’eau, mais aussi des grandes organisations internationales publiques (3). Elle est clairement le support central de la politique de l’eau de la Commission européenne (4).
En vogue auprès des classes dirigeantes depuis désormais plus de vingt ans, les choix idéologiques en faveur de l’eau bien économique, de la gestion axée sur le prix de l’eau basée sur la récupération des coûts totaux à payer par le consommateur, et de la rareté de l’eau en tant qu’enjeu clé du futur de l’eau sur la planète, ont contribué à forger et à diffuser d’autres "thèses sur l’eau" dont le pouvoir d’influence sur l’opinion publique est grandissant. Je pense, en particulier, à trois thèses qui méritent d’être combattues avec force et persévérance.
1. La première porte sur la nécessité d’attribuer une valeur économique à l’eau – Valuing Water est l’une des prescriptions ayant un potentiel de rupture idéologique (politique, culturelle, sociale et humaine) des plus "puissants" pour l’avenir des sociétés humaines et pour la vie sur la planète. Définir et mesurer la valeur de l’eau est le cheval de bataille préféré de tous ceux qui pensent l’eau et sa gestion en termes de "bien économique" (5). Ils disent que en l’absence de cette "monétisation" de l’eau, les capitaux privés du monde entier ne seront jamais suffisamment intéressés à investir les gigantesques sommes d’argent – plusieurs dizaines de milliers de milliards de euro au cours des 30 prochaines années (6) – qui seront nécessaires pour lutter contre la rareté de l’eau et les effets du changement climatique sur l’eau. Valuing Water signifie surtout que la rentabilité des biens et services des activités hydriques, déterminée par les transactions financières sur ces biens et services en fonction de leurs "prix mondiaux" (le plus souvent sujets aux mouvements spéculatifs) établira la valeur de l’eau. Celle-ci, donc, variera dans le temps et dans l’espace en fonction de la contribution des entreprises gestionnaires de l’eau à la création de valeur pour les détenteurs / propriétaires des capitaux investis.
L’intérêt pour Valuing Water est lié au fait que si la gestion optimale intégrée passe par le prix de l’eau reflétant les coûts réels, il devient indispensable d’appliquer au cycle économique de l’eau et à chacune des fonctions du cycle le calcul de la "chaîne de la valeur" typique de l’économie capitaliste de marché. Cela permettrait, au dire des groupes dominants, de bien mesurer la contribution de chaque fonction à la création de valeur pour le capital et décider si, quand et sur quelles bases est préférable de segmenter / spécialiser la gestion des différentes fonctions, une tendance aujourd’hui manifeste. Ceci ne signifie pas la dispersion des entreprises. Au contraire, la segmentation et spécialisation ne doit pas empêcher l’intégration des fonctions dans le cadre de la formation de grands groupes industriels et financiers multi utilities multinationaux actifs sur les marchés boursiers. Emblématique à cet égard est le cas de grands groupes français Veolia et Suez dont le secteur de l’eau est, d’une part, un des "métiers" de ces groupes (les transports, les déchets, l’énergie, l’ingénierie conseil, etc., étant aussi, sinon plus, importants que l’eau) et, d’autre part, il comporte en leur sein l’existence de différentes entreprises actives respectivement dans la protection de l’environnement, le captage et la potabilisation, la distribution de l’eau potable, l’assainissement, le recyclage des eaux usées, le dessalement de l’eau, les services technologiques, la gestion informatisée des services hydriques, la gestion des pertes…
2. La deuxième thèse (aussi mystificatrice que la première) en découle : les entreprises privées ont le savoir, les connaissances, les compétences, et… l’argent – Il revient aux pouvoirs publics (à l’État, aux collectivités locales) de valoriser et donner libre action aux entreprises privées par des mesures législatives, administratives et financières appropriées et cela dans le cadre d’un partenariat public-privé (PPP) et de la gouvernance multi acteurs (stakehorlders). Un État "fort", convaincu de son rôle de facilitateur de l’initiative privée au service de la liberté des consommateurs et des investisseurs. Jamais la culture antiétatique, oligarchique et antisociale n’avait été aussi explicite et brutale dans le domaine de l’eau. Et jamais, au cas d’acceptation de cette thèse de la part des pouvoirs publics, l’abdication des pouvoirs publics et leur soumission aux intérêts des groupes privés n’auront été aussi profondes
Quoiqu’elle puisse paraître impossible, l’idée que l’État et les collectivités locales ne possèdent plus les ressources financières nécessaires pour faire face aux besoins en investissements dans les infrastructures, les biens et les services indispensables pour le droit à la vie de tout être humain et au vivre ensemble, est aujourd’hui partagée par la grande majorité des classes dirigeantes politiques. Elle est même entrée dans la tête des gens !
3. La troisième thèse est la plus "nouvelle" et avant-gardiste et, en ce sens, la plus chargée d’inconnus et de dangers : "l’eau technologique", salvatrice de l’humanité – Pour répondre à l’impératif de l’offre croissante d’eau bonne pour usages humains, les groupes dominants comptent sur trois moyens technologiques, déjà en œuvre mais qui sont destinés, à leur avis, à garantir la sécurité et le développement économique dans les temps à venir. Il s’agit de :
Personne ne saurait s’ombrager devant ces développements. En soi, ils sont à encourager. Les questions et les préoccupations surgissent au cas où ces développements devaient se faire – pour les raisons soutenues par les deux premières thèses et tout ce qui les précède – sous l’égide et la maîtrise des capitaux privés, par des entreprises privées, selon les mécanismes de marché.
Si telle devait être le cas, il est évident que l’eau deviendra définitivement dans nos sociétés un produit industriel, une marchandise, un produit financier. L’eau dessalée dans le cadre d’une logique marchande, industrielle et financière privée ne sera plus, ni elle ne pourra être considérée telle, un don de la vie, un bien naturel universel, l’exemple de la "gratuité de la vie" (c’est à dire la prise en charge par la collectivité de la responsabilité globale de l’eau, financière comprise), un bien commun accessible et appartenant à l’humanité et à toutes les espèces vivante, un droit humain. "L’eau technologique", comme j’ai proposé de l’appeler, sera un bien essentiel et insubstituable pour la vie made by Veolia Water ou American Water ou Blue Techno Corporation. Elle ne sera plus un "don du Ciel" (comme disent les musulmans ou les chrétiens), ni un don de Pacha Mama (comme le croient les populations amérindiennes), mais le produit commercial de NEWater, Suez, Agua de Barcelona, voire de Coca-Cola, Nestlé et Pepsi-Cola (producteurs de la soi dite "Purified Water" commercialisée sous les noms de Dasani, Aquafina et Pure Life respectivement).
Toute eau sera "marchandise", vendue et achetée, au même titre que le pétrole ou le blé. Les marchés de l’eau font déjà parties intégrantes de nos modes de vie. En février dernier, le Commissaire européen en charge de la politique régionale a affirmé qu’il ne voyait aucun inconvénient à ce que l’eau d’une région européenne soit exportée au Moyen-Orient en échange de gaz naturel.
Aucune eau ne sera sans un prix de marché, chaque eau devra créer de la valeur pour le capital investi.
Face à cette réalité, on mesure l’indécence intellectuelle et la mystification idéologique contenues dans l’affirmation encore toute récente du président de la Fédération professionnelle des entreprises de l’eau (FP2E) de France répétant la litanie désabusée qui veut faire croire que "le débat sur le mode de gestion entre public et privé est un faux débat (…), ce débat n'est pas un enjeu (…). La collectivité organisatrice a un rôle d'autorité et de gouvernance (…). Ce qui compte pour le citoyen utilisateur de l'eau, c'est le niveau de service, le prix et la transparence." (7)
Au cours des cinquante dernières années, la mobilisation citoyenne pour l’eau a subi des mutations importantes. Au départ, la lutte pour le droit à l’eau pour tous et contre les dévastations des ressources hydriques (construction de grands barrages, pollutions des fleuves, contaminations des nappes, déforestations, etc.) a été le cœur de la mobilisation. Puis, à partir des années 1980 la bataille contre le démantèlement des services publics et leur privatisation ainsi que contre la marchandisation de l’eau est venue élargir, au nom de l’eau bien commun de l’humanité, les champs de la mobilisation et des enjeux. Finalement en 2010, les citoyens ont obtenu la reconnaissance de l’accès à l’eau en tant que droit humain, cela grâce surtout à l’engagement des gouvernements de certains pays de l’Amérique latine. Des progrès marquants, mais locaux, ont été enregistrés un peu partout à travers le monde au cours des dix dernières années, sur le plan de la défense du caractère public de la gestion des services hydriques. Un énorme travail reste à faire concernant la réalisation du droit à l’eau pour tous et la valorisation de l’eau en tant que bien commun public.
Aujourd’hui, à la lumière de ce qui précède, la mobilisation citoyenne doit porter sur le "cœur idéo-logique" de la civilisation capitaliste techno-marchande et financière portée à ses expressions outrancières au cours des trente, voire quarante, dernières années. Cette mobilisation, dont l’essentiel réside dans l’opposition à la prétention du capital privé mondial d’être propriétaire de la vie et, donc de l’eau, doit se faire avant tout au plan idéologique (culturel, politique, scientifique) et à trois niveaux d’espaces sociétaux :
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{mospagebreak title=5. Sur la route de Marseille 2 : Du FME au FAME}
Jean-Claude OLIVA
président de la Coordination EAU Île-de-France
mars 2011
images du Forum social mondial de Dakar
Éric Faisse
Benedito Braga est un technocrate brésilien. D’ici peu, nous serons en mesure de dresser un portrait plus précis du personnage. Mais en attendant, il suffit de savoir qu’il est le président du comité international pour le 6ème Forum mondial de l’eau – FME, qui aura lieu à Marseille en mars 2012, c’est-à-dire une sorte de faux-nez destiné à faire oublier que le président du Conseil Mondial de l’Eau – CME, qui organise le FME avec l’État français et la ville de Marseille, est Loïc Fauchon, président-directeur général de la Société des Eaux de Marseille, filiale de Veolia. Quel est l’objectif du FME selon Monsieur Braga ? "L’idée est de développer un pacte mondial de l’eau grâce à la participation de tous".
Sans faire insulte à Monsieur Braga, on peut remarquer que d’autres ont eu cette idée (bien) avant lui : il y a treize ans, Riccardo Petrella publiait Le Manifeste de l’eau : pour un contrat mondial de l’eau (Éditions Labor, Bruxelles), ouvrage devenu une référence pour les alter-mondialistes dans le domaine de l’eau. Bien entendu, le Contrat mondial de l’eau se fonde sur "la reconnaissance de l’eau en tant que bien vital, patrimonial, commun mondial" Rien de semblable pour le Pacte de Monsieur Braga qui développe tout un jargon "d’objectifs cibles", de "solutions concrètes" et de "recommandations nécessaires" (ou l’inverse) sans en indiquer le sens. À ces réserves près, on voit Monsieur Braga bien inspiré. Mais il n’est pas le seul. Loïc Fauchon, maître du monde de l’eau – "MME", lui-même, se prononce "pour la création d’un parlement (mondial) de l’eau" ! – voir à ce sujet : Intergroup Water issue 01 décembre 2010
Une action prioritaire du Manifeste de l’eau était "la mise en place d’un réseau des Parlements pour l’eau, bien commun mondial" devant déboucher sur "la mise en place, le plus vite possible, d’un Parlement mondial de l’eau". Le Manifeste évoque aussi "la création d’assemblées parlementaires à l’échelle des bassins interétatiques" mais Monsieur Fauchon, MME, n’a pas encore lu ces pages-là. Ou alors cette idée ne provoque pas la franche adhésion de l’alliance des États et des multinationales au sein du CME ? Toujours est-il que la reprise, au moins formelle, des idées des contestataires de la marchandisation de l’eau est un signe de plus de la défaite des promoteurs de cette même marchandisation sur le terrain des idées et de la culture. Dans Le Monde du 26 octobre 2001, sous le titre "De l’eau pour tous, vite !" Gérard Mestrallet, alors président-directeur général d’Ondeo-Suez, livrait un impudent plaidoyer en faveur des partenariats publics privés, égrenant de Buenos Aires en Argentine à La Paz en Bolivie, en passant par Atlanta aux États-Unis, Manille aux Philippines, Casablanca au Maroc, des contrats… perdus depuis par Suez ou fortement contestés et en sursis ! – voir à ce sujet : La vraie bataille de l'eau – lettre ouverte à pSEau novembre 2001
De l’eau a coulé sous les ponts en dix ans. Un boulevard est donc ouvert pour le Forum alternatif mondial de l’eau – FAME, qui se tiendra à Marseille du 10 au 18 mars 2012, c’est-à-dire avant, pendant et après le FME ? À certaines conditions toutefois…
La première condition est d’obtenir des financements publics. Car, si ceux-ci se déversent en abondance (au moins 30 millions d’euros) sur le FME, rien n’est encore certain pour le FAME. "Ce soutien serait de bonne tradition républicaine, comme il a été pratiqué notamment par le président de la République, Monsieur Chirac, lors du Forum social européen en région parisienne en 2003 et lors d’autres contre-sommets", rappellent les organisateurs dans un courrier adressé à Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’Écologie, début décembre… La région PACA (où se dérouleront le FME et le FAME) a annoncé son soutien aux deux manifestations (dans des proportions de 1 à 10 en faveur du FME). D’autres collectivités territoriales peuvent suivre. Tout cela est à concrétiser très rapidement maintenant. En tout cas, dans les collectivités territoriales, il s’agit d’une bonne occasion pour la gauche, socialiste en particulier, de mettre en cohérence ses actes avec ses discours, ce qui n’est jamais évident dans le domaine de l’eau, on l’a vu encore récemment avec le retour de l’agglomération Est Ensemble dans le giron du SEDIF-Veolia par le vote des élus du PS, de la droite et d’une minorité des élus du PCF – voir à ce sujet Coordination EAU Île-de-France
La deuxième condition pour la réussite du FAME est de ne pas en rester aux discours généraux et généreux sur "l’eau, c’est la vie", "l’eau n’est pas une marchandise", etc., devenus majoritaires dans l’opinion publique. À présent, il s’agit d’aller plus loin dans l’élaboration commune de contenus alternatifs et d’un discours de l’eau. Il ne s’agit pas de tout inventer mais d’aller chercher des analyses et des expériences qui existent déjà au sein des diverses associations, des experts et des élus. Et à partir de là, de construire ensemble des questions et des réponses nouvelles et pertinentes. Il faut voir, par exemple, comment le colloque sur "l’eau et la terre", prévu par la Coordination EAU Île-de-France début avril, la campagne pour un moratoire sur les gaz de schiste ou encore l’action climatique s’intègrent au FAME. Sur chacune de ces questions, s’élabore l’alternative qui est la raison d’être du FAME.
À la question économique du mode de gestion, public ou privé, doivent s’ajouter la question politique et démocratique et la question environnementale et sociale. Dans le domaine de l’eau, la concentration des pouvoirs dont le Syndicat des Eaux d’Île-de-France – SEDIF, offre un exemple caricatural avec un exécutif souvent réduit à son seul président, se retrouve, sous différentes formes, un peu partout dans le monde. Dans Il y a loin de la coupe aux lèvres (Éditions Charles Léopold Mayer), Moussa Diop met en évidence l’appropriation politique de la ressource par les chefs de villages et leur nomenklatura dans la région de Saint-Louis du Sénégal. Autre enjeu au Nord comme au Sud, l’instrumentalisation politicienne dont l’eau fait l’objet lors des échéances électorales ; une question qui n’est pas théorique pour le FAME situé à la veille des élections présidentielles françaises ! Tout en accueillant les élus et en élaborant main dans la main avec les autorités locales des partenariats publics-publics, le FAME se doit de rendre la parole aux citoyens et aux associations et de faire respecter son autonomie.
Troisième condition, c’est de dépasser la situation actuelle où l’eau est une grande cause mais où ses militants, "les porteurs d’eau" pour reprendre la belle expression de la Fondation France Libertés, sont encore trop dispersés et trop faibles en terme d’organisation. Cela rejoint la première condition, à savoir les moyens dont disposera le FAME. Mais aussi la deuxième, si le FAME est capable de s’ouvrir aux questions démocratiques, environnementales et sociales, alors de nouvelles ONG y participeront et de nouvelles alliances seront possibles. Sur toutes ces questions, de premières réponses ont été apportées à l’occasion du FSM de Dakar. On en reparle bientôt. .
À suivre
Sur la route de Marseille 3
En passant par Dakar, au Forum social mondial
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Jean-Claude OLIVA
président de la Coordination EAU Île-de-France
février 2011
image extraite de l'exposition
"La démocratie du fil de l'eau"
Un Forum mondial de l’eau – FME, se tient tous les trois ans : le dernier était à Istanbul en 2009, le prochain sera à Marseille en mars 2012. L’initiative en revient au Conseil Mondial de l’Eau qui regroupe multinationales et États les plus puissants. Son président est le Français Loïc Fauchon, président-directeur général de la Société des Eaux de Marseille, filiale de Veolia. Créé en 1995, le Conseil Mondial de l’Eau se veut "la voix de l’eau", c’est-à-dire qu’il élabore un discours de l’eau au niveau global. Que l’eau devienne un sujet politique majeur à l’échelle du monde est tout à fait souhaitable. Là où le bât blesse, c’est que cette tâche devrait revenir à une institution internationale placée sous l’égide de des Nations unies, pas à un groupe privé. C’est un peu comme si à la place du conseil de sécurité de l’ONU, il y avait une assemblée de marchands d’armes et d’États, présidée par Monsieur Dassault. De fait, cela dépasse de très loin le lobbying "ordinaire" : la politique est privatisée ! Sous la houlette des entreprises, le Forum mondial de l’eau mobilise et influe sur les décideurs politiques à tous les niveaux et se conclut par une déclaration des ministres ou des chefs d’État qui donne la feuille de route pour les prochaines années. Les 20 000 participants attendus à Marseille seront pour l’essentiel des élus, des fonctionnaires et des dirigeants d’entreprises publiques !
Mais tout cela ne coule pas comme un long fleuve tranquille. Il se pourrait que des turbulences surgissent en mars 2012 à Marseille ou même avant. En juillet 2010 s’est produit un événement majeur : à l’initiative de la Bolivie, l’Assemblée générale des Nations unies a reconnu le droit à l’eau potable et à l’assainissement. C’est la consécration historique du combat mené depuis de nombreuses années, par des associations, des citoyens et des élus, mais pas… par le Conseil mondial de l’eau ! À Istanbul, en 2009, une vingtaine de pays avaient publié, en marge du Forum mondial de l’eau, une déclaration en faveur de la reconnaissance du droit à l’eau que le Forum n’avait pas retenue. Du coup, dans sa préparation, le Forum mondial de l’eau est gêné aux entournures et évoque à peine cette question qui est pourtant essentielle dans la définition d’une politique mondiale de l’eau. Et si le FME joue aux abonnés absents sur un point aussi crucial, sa crédibilité politique de "voix de l’eau" est sérieusement mise en doute ! D’autant que le droit à l’eau continue à faire son chemin : une résolution a été adoptée par le Conseil des droits de l’Homme en octobre 2010 qui insiste sur la responsabilité des États. On pourrait imaginer que la principale manifestation internationale dans le domaine de l’eau célèbre cette reconnaissance historique et s’en serve pour impulser un nouvel élan mondial en faveur de l’accès à l’eau de tous. Ce n’est malheureusement pas la voie choisie pour le FME à Marseille. Il se présente comme "un forum des solutions", sous-entendu de terrain, par opposition aux grands discours. Ce qui, au passage, évite de faire un bilan des multiples déclarations et engagements pris par les cinq forums précédents qui n’ont pas apporté de remède, bien au contraire, à une crise mondiale de l’eau qui ne fait que s’aggraver. Et ses "solutions" sont étroitement conçues du point de vue des entreprises. Un exemple, une des douze priorités d’action est "harmoniser l’énergie et l’eau". En soi, ce sujet est d’une actualité brûlante, que l’on songe à l’exploitation des gaz de schistes qui pollue massivement les nappes souterraines et contamine l’eau potable ou au rapprochement entre GDF et Suez d’une part, Veolia et EDF d’autre part, qui concentre dans les mêmes mains différents usages de l’eau et laisse perplexe sur les futurs arbitrages… Mais, vous n’y êtes pas, "harmoniser l’eau et l’énergie", signifie pour le FME un objectif final (certes louable) de…"réduire la consommation énergétique des services des eaux" ! C’est vraiment le petit bout de la lorgnette. Peut mieux faire…
Outre ce cap incertain, le FME va rencontrer des turbulences en approchant du port (de Marseille). Ainsi la Fondation France Libertés dénonce un conflit d’intérêts entre les fonctions de Loïc Fauchon, à la fois président du FME et P-Dg de la Société des Eaux de Marseille – SME, mettant en doute à travers le cas de Constantine, sa capacité "d’assumer la promotion de l’eau comme bien commun, tout en multipliant marchés et profits pour sa société". Et elle l’appelle par une pétition en ligne à démissionner ! C’est que la SEM apparaît dans ce dossier sous un jour peu flatteur, plus près de la prédation que de la mise à disposition de compétences. À titre personnel, Monsieur Fauchon, ancien maire de Trets, ancien bras droit de Gaston Deferre et de Robert Vigouroux, incarne la collusion entre le monde politique et celui des entreprises, si prégnante dans le domaine de l’eau (voir l’article de Marsactu). Tout ceci n’est pas forcément un gage de sérénité pour le FME, organisé à quelques mois d’élections municipales très disputées entre la droite et la gauche et au sein de chaque formation et à quelques semaines… des élections présidentielles ! En 2007, on se souvient que Monsieur Proglio, alors P-Dg de Veolia, était au Fouquet’s pour fêter l’élection du président Sarkozy. Mais le climat actuel n’est plus à de telles démonstrations ! Enfin, il y a toutes les "affaires" marseillaises, en particulier le marché des déchets : la société Bronzo qui a défrayé la chronique est une filiale à 100 % de la SEM ! Ce qui fait dire à certains que tenir un Forum mondial de l’eau à Marseille, c’est comme tenir un Forum mondial des déchets à Naples ! Le Forum alternatif mondial de l’eau – FAME, est bien décidé à faire entendre à Marseille les voix de l’eau. .
À suivre
Sur la route de Marseille 2
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