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ON FORME EN AFRIQUE
4 ingénieurs pour le "prix" d’un en Europe
Il reste aux bailleurs à adapter leurs dispositifs de bourse

l’interview de Paul GINIÈS
directeur général de la Fondation 2iE – Burkina Faso


propos recueillis par Martine LE BEC
Sources Nouvelles, IRC – 2ème trimestre 2010

 

L’institut international d’ingénierie de l’eau et de l’environnement – 2iE, ex-EIER-ETSHER a été profondément réformé en 2005.  Il est aujourd’hui géré par la Fondation 2iE, une association internationale à but non lucratif reconnue d’utilité publique au Burkina Faso. Quels étaient les principaux objectifs de cette réforme ?

Le premier objectif de cette réforme était d’adopter  le système international LMD – Licence Master Doctorat et, plus loin, d’agréger sur ce tronc commun LMD diverses spécialisations sur l’eau, l’environnement, l’énergie ou le génie civil. Un second objectif visait à répondre à des besoins professionnels très précis : l’institut est par exemple en train de monter un master WASH – eau, assainissement & hygiène, à destination des ONG. Certaines de ces spécialisations sont aussi accessibles en formation à distance.

L’école doctorale apporte de son côté un surcroît de notoriété. Elle compte aujourd’hui 24 doctorants.


Au total combien d’étudiants cela représente-t-il ?

Pour l’année scolaire 2009-2010, l’institut accueille 860 élèves sur ses campus de Ouagadougou et de Kamsoinsé, originaires de 27 pays, auxquels viennent s’ajouter, dans le cadre de la formation ouverte et à distance, 550 étudiants originaires de 33 pays et 1 400 stagiaires en formation continue, dont environ la moitié appartiennent au secteur privé. 


Quelles sont les ouvertures internationales de 2iE ?

La réforme a permis à 2iE d’obtenir le label EUR-ACE et donc la reconnaissance de ses diplômes au niveau européen. L’institut jouit d’un important réseau de partenaires parmi les instituts technologiques et universités les plus prestigieuses : l’Université Pierre et Marie Curie – Paris 6, Science Po Paris, les écoles Polytech’ de Montpellier et d’Annecy-Chambéry, l’Université virtuelle Environnement et Développement durable – UVED, l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne, l’Université de Princeton, le Massachusetts Institute of Technology, l’Université de Hokkaido, etc. Les modalités d’échanges sont diverses : un MBA entrepreneuriat et éco-innovation par exemple est en train d’être mis en place avec HEC Paris et un nouveau programme d’échanges est en cours de préparation avec les universités américaines ; ces échanges sont d’ailleurs souvent favorisés par les diasporas africaines. Enfin, l’institut développe évidemment des partenariats en Afrique : par exemple au Ghana, avec la Kwame Nkrumah University of Science and Technology et plus récemment en Afrique du Sud. Le bilinguisme français / anglais, aussi introduit par la réforme, favorise cette plus grande intégration africaine. Notre objectif est de former des ingénieurs capables d’agir sur le continent.


Et cela fonctionne-t-il ?

Oui, et même très bien : la plupart des ingénieurs diplômés du 2iE restent en Afrique ; 50 % trouvent un emploi à l’obtention de leur diplôme et plus de 90 % dans les six mois qui suivent. Ces résultats sont dus à l’importante collaboration de l’institut avec le secteur privé, qui représente 80 % environ des recrutements. 2iE a développé des partenariats avec des groupes de renommée internationale comme Bolloré, Bank of Africa, Fadoul Afrique,  JA Delmas, Sogea-Satom, Total, Suez Environnement, Veolia  ou encore l’Association Africaine de l’Eau.

Entre 10 et 15 % des diplômés créent aussi leur propre entreprise. Cette performance reste à confirmer dans le temps. Afin de favoriser cette voie, l’institut va monter un incubateur d’entreprises  ainsi qu’un fonds de capital risque, ceci évidemment avec un petit nombre de partenaires.


À quelle hauteur
les partenariats avec le privé contribuent-ils au budget de l’institut ?


Les frais de scolarité ne représentent que 50 à 60 % des ressources de l’institut ; les contrats de recherche et d’ingénierie sont doc essentiels. Le sens de la réforme était aussi de passer d’un système subventionné à 150 % à un système de subventions entièrement dirigées sur l’investissement : dans les laboratoires, dans les équipements et la création de valeur. Les enseignements, les salaires et toutes les autres charges courantes sont assurés sur nos propres ressources. Le "point mort" se trouve ici à un peu plus de 1 000 étudiants ; le seuil a été franchi en 2009, ce qui nous a permis d’avoir dès lors un budget positif.


À quelle hauteur s’élèvent les frais de scolarité ?

3 500 euros en années de master, 2 000 euros en licence. C’est élevé, cependant, la garantie d’emploi permet aux étudiants d’obtenir aisément un prêt sans pour autant présenter une garantie patrimoniale. La création de valeur est ici encore l’élément clé ; celui qui ouvre les emplois et donc qui facilite le financement des études.

L’on forme en Afrique 4 ingénieurs pour le "prix" d’un en Europe, mais il nous reste encore à convaincre nos partenaires bailleurs d’adapter leurs dispositifs de bourse dans ce sens ; en d’autres mots : accorder leurs bourses aux étudiants africains qui font le choix de rester sur place.

Quelles sont vos perspectives de développement ?

L’institut va doubler ses capacités d’accueil avec l’objectif de recevoir entre  2 000 et 2 500 étudiants d’ici à 2015. L’enjeu est de développer une recherche à haut niveau, ce qui suppose de regrouper entre 80 et 100 chercheurs au sein de l’école doctorale. L’objectif est ambitieux car la recherche peine à trouver des financements en Afrique. Il ne pourra être atteint qu’à l’appui de solides partenariats avec des écoles et universités de renom. C’est le cas de Paris 6, de Princeton ou du MIT.

L’autre élément important concerne les stages mis à disposition des étudiants, notamment en master et qui vont leur permettre de se confronter au terrain et aussi d’appréhender la compétition internationale. Cela demanderait une assez forte mobilité – par exemple avec des stages en Europe, parfois difficile à financer. Le prix du billet d’avion coûte l’équivalent d’une année de formation. 2IE est aujourd’hui à la recherche de relais pour ce type d’échanges, des initiatives se présentent mais côté américain car l’Europe est en panne de ce point de vue : Erasmus fonctionne un peu en autarcie, sans permettre aux Africains d’aller faire un stage en Europe, ni même aux jeunes Européens d’avoir une expérience africaine. Cela est particulièrement regrettable pour nous.


Le 2iE a-t-il des relations avec l’UNESCO-IHE de Delft, aux Pays-Bas ? Sinon quel pourrait être le cadre d’un partenariat ? À quelles conditions ce partenariat profiterait-il à 2iE et, plus généralement, à la formation en Afrique de manière plus générale ?

Dans le passé, l’EIER-ETSHER et IHE entretenaient une simple relation de "bon voisinage", ou plus précisément chacun se tenait sur son terrain sans empiéter sur les platebandes de l'autre. Pour parler franchement, l'ex-EIER-ETSHER était resté sur un modèle peu ouvert et très franco-français. L’avènement de 2IE a changé le rapport. La vocation dorénavant internationale de l’institut ; son offre, de meilleur niveau et compatible avec le système international LMD et en même temps le renchérissement des formations au nord font qu'un rapprochement entre 2iE et IHE devient non seulement possible mais très souhaitable. Il permettrait notamment à 2iE d'accélérer le passage au bilinguisme et de s'ouvrir ainsi plus vite aux pays anglophones et d'accueillir en Afrique des étudiants et des chercheurs d'IHE pour une mobilité. Pour IHE, l’intérêt serait de maintenir au nord ce qui ne peut être fait au sud, en même temps que d'appuyer le développement au sud de capacités de niveau international et d'offrir, ce qui est essentiel, une mobilité pour des étudiants africains en master et des co-encadrements de thèses.

Il y a en Europe de plus en plus de femmes ingénieurs de l’eau, cette féminisation est-elle aussi à l’œuvre en Afrique ?

Sûrement mais dans une moindre mesure à cause de la sous représentation des femmes dans  les filières scientifiques de l’enseignement secondaire. Le problème est donc en amont. Néanmoins, les femmes représentent 17 % des effectifs de 2iE, ceci d’ailleurs pour 10 % des candidatures.  .
 

 

 ResSources
201006_ginies_2ie.gif Institut international d'ingénierie de l'eau et de l'environnement
International Institute for Water and Environmental Engineering
1, rue de la Science, Ouagadougou – Burkina Faso