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Rénover le modèle français de l’eau…
Faut-il s’inspirer de nos voisins européens ?

Jean Launay, député du Lot, président du Comité national de l'eau, fait
la synthèse du colloque 
organisé le 15 janvier par le Cercle Français de l'Eau – CFE, à l'Assemblée nationale. Confronté à la baisse des recettes, aux besoins
d’investissement et à l’émiettement de l’organisation des services et
des syndicats d’eau, le modèle français de l'eau a besoin d'être rénové.
La prise en compte du grand cycle de l’eau et les nouvelles compétences
données aux collectivités locales en matière de préservation du milieu
aquatique et de prévention des inondations appuient ce besoin. Quelles
inspirations trouver chez nos voisins ?

Jean LAUNAY
député du Lot, président du Comité national de l'eau – CNE

 
H2o – janvier 2015

 

Le Cercle Français de l’Eau a souhaité organiser ce colloque dans le prolongement de celui des agences et du ministère, qui s’est tenu en octobre, à l’occasion des 50 ans de la loi sur l’eau. La politique de l’eau en France a beaucoup fait parler d’elle, ces dernières années : un rapport d’évaluation initié par les pouvoirs publics, le travail mené par Anne-Marie Levraut, le rapport parlementaire de Michel Lesage, notre collègue député des Côtes-d’Armor, diverses notes du Centre d’analyse stratégique, un rapport du Conseil économique, social et environnemental sur la gestion et les usages de l’eau en agriculture, et j’en passe… Merci à Pierre Roussel, président de l’Office International de l’Eau (OIEau), et ancien directeur de l’eau, de nous avoir redonné le contexte dans lequel la directive-cadre européenne sur l’eau est venue à la fois suivre et précéder les conditions de notre organisation. Tous les rapports et événements que je viens d’évoquer nous questionnent et tentent d’apporter des réponses aux nouveaux enjeux auxquels nous sommes confrontés : la baisse des recettes, liée aux baisses de consommation, les besoins d’investissement dans le patrimoine – concrètement, le renouvellement des réseaux –, l’émiettement, parfois superbe, de l’organisation des services et des syndicats d’eau, dont je suis convaincu qu’il est nécessaire de les rationaliser, la participation à la gestion du grand cycle de l’eau, les nouvelles compétences locales vis-à-vis du milieu aquatique et la prévention des inondations, la fameuse GEMAPI. Dans la réflexion sur ces enjeux, personne ne comprendrait que j’évite d’évoquer le sujet douloureux du prélèvement opéré par l’État sur les budgets des agences de l’eau. Après celui de 220 millions d'euros, en 2014, j’avais pris mon bâton de pèlerin pour convaincre le Premier ministre et le ministre du Budget et leurs cabinets respectifs, à l’époque, de ne pas renouveler cette ponction. Face au contexte budgétaire très contraint de notre pays, les changements de tête de l’exécutif, la volonté permanente de re-budgétisation de l’Inspection des finances et de la Cour des comptes, je n’ai pas pesé lourd. J’attire donc votre attention sur deux points en particulier. Premièrement, nous devons continuer à être vigilants sur le jacobinisme latent de l’État finances, avec le risque d’atteinte de notre modèle qu’il comporte. Deuxièmement, je qualifie de double peine, pour le financement de la politique de l’eau, le fait que nous ayons à la fois moins de moyens et plus d’actions à mener par l’élargissement du champ d’intervention. J’évoque ici la GEMAPI et la biodiversité, sans contester cet élargissement, que j’avais moi-même suggéré pour éviter les ponctions.

Dans la réflexion sur ces enjeux, nous sommes jusqu’à présent peu tournés vers les solutions de nos voisins européens, qui connaissent pourtant des enjeux similaires et ont développé des solutions qui ont fait leurs preuves et dont nous pourrions nous inspirer.

Que retenir des trois tables rondes de ce matin ? La première a posé la question de la gestion des inondations, qui constitue l’une des préoccupations principales des élus locaux. Aux Pays-Bas, Marleen Van Rijswick, professeur en droit de l’eau néerlandais et européen à l'Université d’Utrecht, nous a montré que l’État était seul responsable du financement des protections comme de l’aide des sinistrés. Il est relayé à l’échelle locale par les collectivités spécifiques, les waterschappen, qui ne sont responsables que des eaux et qui ont leurs propres taxes. Ainsi, la protection contre les inondations par des digues correspondant à des événements de fréquence millénale ou déca-millénale, a rarement été discutée depuis l’inondation de 1953. Aujourd'hui, cependant, dans l’esprit de la directive-cadre sur l’eau, les Néerlandais veulent réduire les risques en redonnant de l’espace à la rivière et en réorganisant une gouvernance multi-niveaux de la sécurité. Leur logique est axée sur la prévention. Aux Pays-Bas, si les moyens d’intervention ne sont pas négligés, c’est la place essentielle donnée à la prévention qui m’est apparue, comme à vous, certainement : l’acceptation, par la société, des nouvelles solutions préventives visant à faire la part de l’eau, la recherche sur l’intérêt des solutions alternatives, avec la volonté de maintenir l’eau là où elle est, de valoriser son utilisation, de vivre avec.

En France, la plus grande partie du financement va à la gestion de crise
et à la réparation. L’État est le premier responsable de la lutte
contre l’inondation, mais son budget ne la finance qu’à la marge,
l’essentiel du financement venant des collectivités territoriales et des
assurés par le biais du régime des catastrophes naturelles. Je vous
livre quelques éléments de réflexion… En 2012, une mission parlementaire
d’information a été conduite sur les inondations dans le Sud-Est.
J’avais moi-même fait partie d’une mission du même type, en 1994. Les
crues cévenoles ne sont pas nouvelles, mais leur rythme s’accélère,
preuve, s’il en était besoin, du lien entre l’eau et le climat. Le
rapport de 2012 préconise donc d’intégrer la logique de protection dans
l’aménagement du territoire en créant des établissements publics par
bassin versant financés par une taxe foncière, comme aux Pays-Bas, mais
également, de définir de manière législative ce qu’est un cours d’eau.
Je sais que c’est un souhait exprimé depuis longtemps par les directeurs
successifs de l’Association française des établissements publics de
bassin. J’évoque Régis Thépot et Guy Pustelnik, qui auraient souhaité
pousser cette démarche. Nous souhaitons aussi, en France, et ces
rapports le suggèrent, que les plans de prévention du risque
d’inondation soient vécus de façon moins conflictuelle qu’ils ne le
sont. La protection contre l’inondation doit être l’affaire de tous et
de tout un territoire, en mobilisant les acteurs locaux et non pas en
imposant d’en haut.

J’ai aussi quelques interrogations sur cette fameuse GEMAPI. À compter du 1er janvier 2016, la maîtrise d’ouvrage sur l’ensemble du territoire, en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations, relèvera désormais de la compétence du bloc communal, avec transfert aux EPCI lorsque ceux-ci existent. Mais la question se pose aussi des syndicats déjà existants, souvent des syndicats mixtes, structurants, qui vont déjà souvent au-delà des EPCI. Les collectivités vont-elles être en mesure de financer la prévention des inondations avec une taxe facultative de 40 euros par habitant ? On peut se poser la question. La tendance n’est pas à l’augmentation de la fiscalité ou à la création de nouvelles taxes. Cela figure néanmoins dans la loi et c’est permis. Nous verrons comment l’urgence nécessitera de recourir à cette possibilité.

Comment aussi justifier le recours aux agences de l’eau ? Jusqu’à présent, elles ont toujours été exclues de ce domaine de la sécurité publique et leurs redevances sont assises sur les factures d’eau, en référence au principe "l’eau paie l’eau" évoqué précédemment par Alain Grizaud. Je précise que dans le cadre de l’examen de la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, j’ai porté cet amendement GEMAPI, nous l’avions travaillé conjointement avec les services de la direction de l’eau et de la biodiversité. J’ajoute qu’un jugement récent, sur lequel je ne me prononce pas, a amené l’AMF, l’Association des maires de France, à temporiser sur le sujet, souhaitant que son nouveau président, François Baroin, soit préalablement reçu par le Premier ministre. Je n’ose pas penser que le sujet voie son application et son examen retardés.

La seconde table ronde nous a permis d’observer la gestion du patrimoine au Royaume-Uni, grâce à Richard Franceys, directeur de cours à l’Université de Cranfield, spécialisé dans l’étude des services d’eau et d’assainissement. Au Royaume-Uni, où le secteur de l’eau est entièrement privatisé, une autorité indépendante régulatrice, l’OFWAT – Water Services Regulation Authority, est chargée de déterminer tous les cinq ans le juste prix de l’eau pour chaque entreprise, sur la base de leur performance et des besoins d’investissement constatés. Ce système induit donc une plus grande transparence dans l’écoute, le suivi des performances des compagnies, à travers l’OFWAT, qui dispose d’importants moyens. La connaissance est donc capitalisée et les réajustements périodiques qui sont effectués doivent permettre d’arriver à un optimum collectif équitable entre l’usager, l’actionnaire et l’exploitant. Ce système, associé à la forte concentration des unités de gestion, rend possible une optimisation de la gestion des services d’eau et d’assainissement, comparativement à nos 35 000 services français et à l’émiettement que j’évoquais en introduction.

La régulation des services d’eau et d’assainissement est donc un sujet de plus en plus d’actualité en Europe. Toutefois, plus la gestion des services est éclatée et le pouvoir des communes ancré, plus une régulation nationale est difficile à mettre en œuvre. Pour les autorités locales, organisatrices du service en France, les indicateurs de performance peuvent apporter une réponse en mesurant les résultats du service en termes de définition du contenu de ce service et de pilotage par la collectivité, d’incitation à l’amélioration de la communication envers les usagers. Mais nous ne ferons pas, j’en suis persuadé, l’économie de rationaliser l’existence des syndicats et des services. C’était d’ailleurs l’un des objectifs de la feuille de route tracée par l’État à l’issue de la conférence environnementale de 2013, dans la table ronde consacrée à l’eau. C’est d’autant plus vrai que s’agissant de la question des financements pour l’entretien et le renouvellement des réseaux, les collectivités ont une responsabilité particulière. Bien que la situation actuelle, marquée par les baisses des dotations de l’État, n’incitent pas à l’investissement, les financements pour l’eau existent. Mais je partage l’inquiétude des professionnels des réseaux. Je constate avec eux les difficultés des collectivités locales à entrer dans le processus de décision, l’incertitude institutionnelle, avec les différents textes sur l’organisation territoriale, sur le "qui fait quoi ?", en quelque sorte, y compris sur l’existence même des départements, dont je pense, à titre personnel, qu’ils devraient être les lieux ensembliers des politiques de l’eau et de l’assainissement.

Enfin, nous avons étudié, dans le cadre de la troisième table ronde consacrée à la reconquête du milieu aquatique et la préservation la biodiversité, la renaturation de la rivière Emscher, témoignage d’une politique de l’eau orientée vers l’état des milieux. Mario Sommerhäuser, docteur en sciences naturelles, chef de bureau, Emschergenossenschaft und Lippeverband (agences de l’eau allemandes), nous a expliqué que pendant plus d'un siècle, l’Emscher a servi d’égout à ciel ouvert pour le bassin de la Ruhr. Après l’arrêt de l’extraction de la houille, un grand projet de requalification a été développé et a transformé la région. Ce projet traite non seulement de questions écologiques et de gestion de l’eau, mais aussi de planification urbaine, paysagère, de loisirs, de sports, de changement climatique. Les associations syndicales de gestion de l’eau, de l’assainissement et en même temps, du milieu aquatiques, qui se sont multipliées, en Rhénanie du Nord, illustrent les liens forts qui existent dans une région très industrialisée et très urbanisée, les liens entre petit cycle et grand cycle de l’eau, et nous montrent qu’une gestion plus territoriale de l’eau peut être durable et efficace.

En France, il existe quelques syndicats d’assainissement qui s’occupent aussi de la rivière, notamment en Île-de-France, mais on peut imaginer des développements nouveaux avec cette réorganisation territoriale liée à la compétence GEMAPI déjà évoquée. Dans notre pays, nous sommes face à une double nécessité : construire une ambition nationale pour la biodiversité et conforter les acquis français de la politique de l’eau. Nous avons toujours considéré, en Europe, que chaque pays organisait librement ses services d’eau et d’assainissement. Ces organisations sont le fruit de l’histoire, des conditions géographiques et des conditions institutionnelles particulières. L’information sur l’état des milieux a connu un vrai bond en avant, au niveau européen, à travers le Water Information System, mais l’échange sur les bonnes pratiques, la capacité à les décupler restent aujourd'hui insuffisants. Je souhaite que l’on s’y attelle, que le débat comme celui initié ce matin se généralise et que nos agences, qui sont déjà ouvertes à l’international, le soient encore plus demain. L’école française de l’eau a besoin de se nourrir, de s’enrichir des initiatives des autres pays et des autres territoires. Si la France est une grande nation de l’eau, elle n’a pas pour autant vocation à s’ériger en modèle. Elle doit simplement répondre à la fois au devoir d’efficience et à l’exigence démocratique, à l’indispensable adhésion du consommateur au prix et à la qualité du service. Nous avons donc le devoir particulier d’y veiller.

La France a tout intérêt à s’ouvrir à d’autres métiers – l’assurance, à travers la problématique des risques, par exemple –, à d’autres thématiques. Et typiquement, le débat qui vient d’avoir lieu sur la biodiversité a montré que l’on pouvait à la fois rendre compte de la complexification du débat et des interactions entre les acteurs et en même temps, s’orienter vers une plus grande lisibilité institutionnelle par le regroupement des structures. La France a tout à gagner à s’inspirer de ses voisins européens.

Il nous faut enfin veiller à maintenir l’eau en haut des agendas politiques. Je veille personnellement, en lien avec le Partenariat Français pour l’Eau, à ce que notre pays soit bien représenté lors du Forum mondial de l’eau qui aura lieu en Corée, en avril. Je travaille à faire en sorte qu’y compris les parlementaires – députés européens, députés français, sénateurs – y participent, si possible en couvrant le double spectre de la représentation politique et du territoire national, à travers tous ses bassins.

J’ai dit avant-hier à Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, et je lui confirmerai par écrit la semaine prochaine, ainsi qu’à la ministre de l’Écologie, Ségolène Royal, l’indispensable lien entre le sujet de l’eau et la conférence sur le climat de la fin de l’année 2015, à Paris.

Je vous remercie de votre attention. .

 

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