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L'eau, facteur de croissance et de coopération

La Conférence de Paris, qui s’est tenue dans le cadre du Palais de l’Unesco, représente l’une des étapes importantes d’un défi devenu permanent. En effet, le constat de base est teinté d’alarmisme : l’extrapolation des modes d’utilisation actuels indique que, dès 2005, près des deux tiers de l’humanité risquent de souffrir d’un manque d’eau, allant de modéré à grave. Les moyens d’éviter cette perspective existent, mais ils sont nombreux, divers, et de ce fait souvent méconnus. Surtout, ils exigent des engagements financiers dont l’ampleur dépasse les possibilités des nations ou des régions. Intimement liée au développement économique, l’eau implique désormais des coopérations actives entre tous les acteurs, justifiant plus que jamais une approche "holistique".

La Conférence de Paris s’inscrit dans une suite de sommets, conférences et déclarations qui témoignent d’une prise de conscience progressive, de plus en plus aiguë, des problèmes posés. L’ont précédée d’importants jalons : conférence de Mar del Plata (1978), sommet de Rio (1992), conférence de Dublin (1992), de Noordwijk (1994), session extraordinaire de l’A.G. des Nations Unies (1997), déclaration de Strasbourg (février 1998), discours de Petersberg (mars 1998)... Autant de réunions où l’eau s’est imposée comme un thème majeur et préoccupant...

Focalisation d’inquiétudes

Mondialement, les consommation d’eau ont doublé au cours des 20 dernières années, soit deux fois plus que la population. On sait que l’eau est une ressource rare, irrégulière et très inégalement répartie ; on sait aussi que l’eau douce ne représente que 2,5 % du stock planétaire.

Or, cette faible quantité est mal utilisée, gaspillée dans d’importantes proportions, souvent contaminée... Actuellement, 20 % de la population mondiale sont privés d’eau salubre, 40 % n’ont pas accès à une ration suffisante. M. Dennis B. Warner (OMS) cite deux chiffres éloquents : en 1970 nous disposions en moyenne de 13 000 m3 d’eau par personne et par an ; en 1995, le chiffre s’est réduit à 7 000 m3 ! Cette situation est à l’origine d’une très importante mortalité et Stéphane Essel (Eau et Solidarité) estime donc que 60 % de la population est en danger.

Ce n’est pas seulement un défi, mais une situation d’urgence !

Améliorer les connaissances

Mieux connaître les ressources en eau douce et leur évolution, tel est l’un des grands objectifs débattus à la Conférence de Paris. Nous parlons des ressources connues et de la détection de ressources supplémentaires, encore ignorées. Il est en effet essentiel d’évaluer le potentiel aquifère des différentes zones, des pays, des régions car nombreux sont les aquifères surexploités. Le recours au traitement d’images numériques renvoyées par les satellites (images spot) est ici précieux car il permet d’approcher avec précision des zones qui sont, autrement, d’accès difficile. L’utilisation d’un nombre limité d’images spot au Niger, au cours de la saison sèche, a permis d’établir les équations d’échanges entre le plan d’eau, les précipitations et la nappe phréatique d’un endroit donné, avec une très grande précision.

La demande de connaissances ne concerne pas seulement les ressources mais aussi les écosystèmes, et les modes d’utilisation de l’eau. Sur ce dernier point, même les pays les plus avancés manquent de données. Indispensables pour gérer, ces données, comme les techniques de traitement, doivent être partagées. La question se pose donc d’un stockage et d’un réseau de transmission mondiaux.

Développer des outils de gestion

Le mot "gestion" est probablement celui qui a été le plus souvent prononcé au cours des discours, interventions et propositions. C’est assez logique dans la mesure où bien naturel et social, l’eau devient de plus en plus un bien économique. Cependant, le champ sémantique du terme "gestion" est large, donc souvent imprécis. La gestion ne peut être efficace sans une évaluation correcte des ressources et des utilisations ; elle s’applique ensuite à la protection du milieu (gestion intégrée transnationale), à la lutte contre les causes de gaspillage et les sources de pollution, la prévision de catastrophes d’origine hydro-climatiques, la définition d’objectifs à long terme, l’élaboration de schémas directeurs... Dans cet esprit, la gestion doit être considérée comme l’anticipation des risques.

Les ressources hydriques ignorant le plus souvent les frontières tracées par l’homme, il s’est confirmée que la meilleure approche est l’approche par "bassin versant", la mieux adaptée pour désamorcer des conflits éventuels, initier des coopérations, parvenir à une gestion intégrée, transfrontières, des ressources en terres et en eau.

L’approche par bassins se révèle ainsi un outil de gestion permettant, comme l’a souhaité Mme Dominique Voynet, ministre français de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement, une planification spatiale et temporelle. Il est clair que, désormais, les usagers doivent être étroitement associés à cette gestion.

L’eau, facteur de croissance et de coopération

L’un des paradoxes mis en évidence est que si l’eau représente un indispensable facteur de développement, la croissance économique représente une menace évidente pour l’eau. Tout l’art d’une gestion intégrée consiste à répondre aux besoins tout en protégeant le bien fourni. L’eau potable est en effet indispensable pour assurer l’hygiène et la santé des populations rurales et urbaines, leur sécurité alimentaire ; pour autoriser la production d’énergie, le développement de l’industrie et des loisirs ... Cependant, l’agriculture irriguée utilise près de 70 % des prélèvements mondiaux en eau (et jusqu’à 90 % dans certains pays, comme le Vietnam), dont la moitié environ seront perdus.

Il faut protéger les écosystèmes, les nappes phréatiques, contre l’utilisation abusive d’engrais chimiques, les rejets diffus ... L’urbanisation favorise souvent le déboisement et le gaspillage. Dans les grandes métropoles, soulignait le président Jacques Chirac, les réseaux d’adduction laissent s’échapper près de 50 % du précieux liquide. Se pose donc la question de la récupération et de la réutilisation de l’eau : l’eau récupérée est une option à long terme, coûteuse, mais qui permet de faire face à des déficits hydriques.

La complexité des problèmes posés implique la coopération des états entre eux, tant pour cataloguer les ressources que pour les gérer. Il faut donc développer les échanges de données, d’expériences et de savoir faire, les transferts de technologies, instaurer une solidarité entre les riches et pauvres en eau, mais aussi entre usagers...

Désamorcer les conflits

Les Nations Unies ont recensé 70 foyers de tension relatifs à l’eau. Le président du Conseil de l’Eau, Abu Zeid, les estime à 160 environ, soulignant que la plupart des pays qui manquent d’eau sont politiquement instables. Alors que 215 fleuves ont des fonctions frontalières, l’eau plus que les terres ou l’or noir, risque de devenir le motif de conflits majeurs. L’exemple de fleuves naguère âprement disputés mais aujourd’hui gérés en commun montre qu’une coopération planétaire est possible. Le discours de Petersberg va dans ce sens : mieux vaut faire de l’eau un catalyseur de coopérations régionales qu’une source de conflits potentiels. Se profile ainsi une sorte de mondialisation des démarches, des programmes, que précède l’actuelle mondialisation des prises de conscience. C’est probablement l’une des justifications de ce type de conférence, l’eau devenant "la responsabilité partagée de tous les pays et de tous les peuples" (Cielito Habito, président de la Commission du Développement durable).

La question du financement

Daniel Caille, responsable du pôle Eau de la CGE (Vivendi), évoque un paradoxe : dans de nombreux cas, la pénurie n’est pas liée à la disponibilité des ressources mais le fait d’une impossibilité à financer et organiser le traitement et l’acheminement de l’eau potable vers ses utilisateurs. Une politique de l’eau ne se concevant que sur une période de 10 à 30 ans, on conçoit qu’il soit nécessaire de mobiliser des investissements très importants. Or, les allocations financières diminuent, en particulier sur les budgets consacrées aux études, alors qu’il faut sans cesse plus de données pour convaincre les décideurs. Actuellement, les consommateurs finaux acceptent de payer autour de 1 % du produit brut mondial ; cette contribution est inévitablement destinée à augmenter car les crédits nécessaires dépassent de loin les possibilités des budgets nationaux ou régionaux. Selon l’OCDE, nous n’avons pas attribué une valeur économique aux ressources en rapport avec l’enjeu. Il en résulte que le prix de l’eau est "socialement très sensible" , alors que le principe pollueur-payeur et utilisateur-payant est acquis. Lionel Jospin, premier ministre français, a précisé qu’il s’agissait du fondement d’une théorie économique de l’eau, mettant fin à sa "gratuité divine"...

Le prix de l’eau étant un peu "le prix d’un futur", il est destiné à augmenter. Il a d’ailleurs été suggéré d’abandonner les tarifications forfaitaires pour des tarifs volumétriques pour tous les utilisateurs.

Dans le sillage d’une conférence

On peut s’interroger sur la validité et les retombées d’une rencontre internationale telle que la Conférence de Paris. Le ministre allemand Carl Dieter Spranger a déclaré qu’il s’agissait d’une conférence sans illusions sur les pénuries futures. La remarque est réaliste mais la Conférence ne sera pas sans ressort, ni sans effets. Il a ajouté, ce qui est très important, qu’aucune approche de solution sur le thème de l’eau ne sera valable si elle n’est pas traitée de façon interdisciplinaire. Un point de vue largement partagé : le RIOB (Réseau International des Organismes de Bassins) affirme que seule une approche holistique permet de définir des objectifs à long terme, et Cielito Habito réclame, dans les mêmes termes, "une approche holistique, c’est-à-dire morale et globale, horizontale et verticale". Il n’existe en effet pas d’autre moyen pour mettre en oeuvre une prospective de l’eau, de loin préférable aux extrapolations et analyses segmentées. C’est certainement dans cet esprit que le président Jacques Chirac a suggéré la création d’une Académie Internationale de l’Eau.
La prochaine Conférence Internationale sur l’Eau se déroulera à La Haye en l’an 2000. Nous serons alors à même de juger si le jalon posé à Paris a été utile. .

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La Conférence en 13 points

 

1. Il devient indispensable de mettre en réseau tous les systèmes de documentation

2. Les modèles de projection de la demande sont souvent faux car fondés sur le passé

3. Si l’on s’intéresse à l’eau, on doit aussi s’intéresser à l’énergie

4. Si les difficultés sont si sérieuses, pourquoi le problème de la désanilisation de l’eau de mer n’est-il pas devenu prioritaire ?

5. Trop de projets sur l’eau ont d’autres objectifs que la santé ou l’hygiène

6. Il faut adapter les technologies à la taille des problèmes posés

7. Il importe de créer une bibliothèque "Thesaurus" pour rassembler toutes les études réalisées et les confronter

8. L’éducation des populations est médiocre ; il faut développer une culture de l’eau

9. Nous n’avons pas évalué le coût du non accès à l’eau

10. Les grandes villes deviennent des écosystèmes très fragiles

11. Une politique de l’eau nécessite un cadre administratif et réglementaire bien clarifié

12. En matière d’eau, il n’y a que du sur-mesure, le standard n’existe pas

13. Les métiers de l’eau doivent être renforcés