Henri SMETS
Académie de l'Eau
photo Martina Rama, Murales, Maputo, Mozambique 2008H2o – juin 2011
Résumé – Le passage d’un tarif binôme à un tarif progressif permet de mieux tenir compte des objectifs de protection de la ressource et de fourniture à tous d’un quota d’eau potable à prix réduit. Pour éviter de pénaliser les ménages nombreux, il convient de choisir parmi les différents tarifs progressifs un tarif "équitable" qui garantit un même prix moyen du litre d’eau pour tous les usagers domestiques desservis par un même réseau. Ce tarif est fréquemment utilisé pour répondre à une demande des usagers. Bien que favorable aux petits consommateurs, il ne contribue pas à rendre le prix de l’eau abordable pour tous. Au vu de l’expérience des distributeurs d’eau dans le monde, le rapport propose une méthode pour choisir un tarif qui satisfait les besoins de la plupart des usagers domestiques.
Abstract – Selecting a progressive tariff instead of a two-part tariff enables one to meet the objectives of resource protection and of supply to all of a quota of water at a reduced price. To avoid penalizing large households, it is necessary to select among all progressive tariffs an "equitable" tariff in order to ensure that all domestic users in the same supply network pay the same price for a liter of water. Progressive tariffs are frequently used to meet users’ demand. Although favorable to small consumers, it does not guarantee an affordable price for all. Based on the experience of water suppliers all over the world, the paper outlines a method to select a water tariff that meet meets the requirements of most domestic users.
La tarification de l’eau potable distribuée sert principalement à répartir le coût des services de l’eau et de l’assainissement entre les usagers compte tenu des subventions reçues et accessoirement à donner un signal de prix bien que le prix de l’eau potable soit généralement subventionné. Dès lors, les considérations d’équité prennent le pas sur les considérations d’efficacité économique. Un bon prix devrait contribuer à atteindre les objectifs assignés aux services de l’eau et de l’assainissement et satisfaire la majorité des usagers. Il doit notamment permettre d’assurer la durabilité du service public.
Lorsqu’il y a des compteurs, la tarification est fondée sur la consommation mesurée (part variable) et comporte généralement un abonnement (part fixe). Les principaux systèmes de tarification sont la tarification proportionnelle (uniquement au prorata des quantités d’eau consommées), la tarification binôme qui contient en plus un abonnement et la tarification progressive dans laquelle le prix unitaire de l’eau augmente avec le niveau de consommation (tarification à tranches croissantes)
Ce rapport est fondé sur une analyse de la structure des différents systèmes de tarification dans le monde et comporte des exemples provenant d’une douzaine de pays. Il vise à montrer comment concevoir un tarif progressif qui satisfait divers objectifs tels que la continuité et la qualité du service, la préservation de la ressource et l’équité.
Il apparaît que la tarification progressive qui est déjà utilisée dans de très nombreux pays pourrait utilement se substituer à la tarification binôme à condition de fixer les paramè-tres de la tarification progressive de façon appropriée pour répondre aux objectifs poursuivis. La raréfaction de la ressource et son prix croissant devraient favoriser une telle évolution.
Les principaux objectifs de la tarification sont les suivants :
La tarification à trois tranches utilisée dans de nombreux pays est de nature à répondre dans une large mesure à ces différents objectifs. Elle comporte une première tranche à prix réduit, une deuxième tranche à prix normal et une troisième tranche à prix renforcé. La majorité des usagers devrait se situer dans la deuxième tranche. Celle-ci devrait être conçue de manière à ce que le prix du litre d’eau par personne soit le même pour la consommation normale de ménages de différentes tailles. L’écart entre le prix unitaire de la deuxième tranche et celui de la troisième tranche ne devrait pas être excessif.
La tarification progressive équitable est la tarification qui garantit un prix unitaire de l’eau identique pour tous les ménages, grands ou petits, dans la zone de desserte du service. Elle se situe entre une tarification faiblement progressive qui risque de favoriser les gros consommateurs et une tarification fortement progressive qui favorise les petits consommateurs. La tarification équitable est probablement la tarification qui répond le mieux à l’objectif de l’égalité des conditions d’accès à un service public.
Le passage de la tarification binôme à la tarification progressive a l’inconvénient d’encourager une réduction de la part fixe et l’octroi d’une première tranche à prix réduit, ce qui a pour effet d’augmenter le prix unitaire de l’eau de la deuxième et de la troisième tranches puisque la facture moyenne reste la même. Cet inconvénient est compensé par la création d’un signal prix plus accusé pour la troisième tranche, ce qui permettra d’améliorer l’efficacité économique.
L’expérience des pays européens, d’Amérique latine et de l’Afrique du Sud montre qu’une tarification progressive peut être préférable à une tarification binôme ou proportionnelle mais qu’elle ne peut pas répondre à tous les objectifs assignés car elle est basée sur la seule connaissance de la consommation d’eau. Pour améliorer le système, il est nécessaire de tenir compte d’autres variables socio-économiques telles que le nombre de logements desservis et la taille des ménages (nombre de personnes desservies par un même compteur) si l’on ne veut pas défavoriser ces ménages. Des ajustements tarifaires pour les grands ménages sont effectués en Espagne, en Grèce, en Belgique et au Royaume-Uni et ne concernent qu’une minorité de ménages. Ainsi les familles nombreuses bénéficient parfois de bons d’eau ou de mesures équivalentes afin de disposer d’un quota suffisant d’eau au prix de la deuxième tranche.
L’expérience de pays comme la Belgique ou Malte montre que les tarifs progressifs sont tout à fait satisfaisants pour la grande majorité des ménages mais doivent être améliorés par des dispositions à objectif social qui concernent une minorité de ménages démunis. L’adoption de tarifs progressifs en Europe ne permettra donc pas de faire l’économie de dispositions à vocation sociale.
Les systèmes qui aident plus particulièrement les petits consommateurs d’eau n’aident pas les personnes démunies dont la consommation d’eau n’est pas faible. Le droit à la dignité implique que chacun puisse disposer d’un quota d’eau pour ses besoins essentiels, quota qui varie peu avec le revenu du fait de la similitude des métabolismes. Parmi les tarifications favorables aux petits consommateurs, il convient de citer le tarif progressif sans part fixe qui est utilisé à Johannesburg ou encore les tarifs de Ouagadougou ou de Tunis.
La tarification progressive apporte de nombreux degrés de liberté pour
établir une facture d’eau qui répond aux souhaits de la population.
Elle est préférable au tarif binôme mais ne permet pas de faire
l’économie de la création d’un tarif social ou d’un système équivalent.
De même, elle n’évitera pas de prendre des mesures exceptionnelles pour
les familles les plus nombreuses.
Le choix des paramètres intervenant dans la tarification progressive
dépend de la courbe de distribution des consommations d’eau et des
tailles de ménages dans le contexte particulier et aussi du nombre
d’immeubles avec compteurs collectifs. Plus il y aura de compteurs
collectifs et plus faible sera le bénéfice à attendre de la tarification
progressive. Il conviendra d’éviter une trop grande sophistication dans
la tarification car elle est coûteuse.
L’inconvénient majeur de la tarification progressive est l’obligation
d’ouvrir un dialogue avec les usagers sur le sujet difficile de l’équité
dans la répartition des coûts. En revanche, il sera possible d’offirir à
chacun une tranche de consommation à prix très réduit. .
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