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Les migrants de Calais doivent avoir accès à l’eau

Le droit à l’eau et à l’assainissement est un droit pour tous, même pour les migrants en situation irrégulière. Le principe vient d'être affirmé fin novembre 2015 par le juge des référés du Conseil d’État.

Henri SMETSmembre de l’Académie de l’eau

photo FranceTV H2o – janvier 2016

 

En août  2015, le Premier ministre  et le ministre de l’Intérieur ont visité la "jungle" de Calais (la Lande) qui "accueille" près de 5 000 migrants qui tentent de passer en Angleterre. Au vu de la situation, le Premier Ministre a déclaré : "Nous ne pouvons pas, en France, accepter que des gens vivent dans de telles conditions d’insalubrité." En novembre 2015,  le Conseil d’État a confirmé que la situation sanitaire dans la jungle est illégale.

Vu l’insuffisance des efforts pour rendre la "jungle" moins insalubre, Médecins du monde, Secours catholique/Caritas France et quatre associations de migrants ont déposé un référé liberté devant le Tribunal administratif de Lille pour obliger l'État à agir de façon plus efficace en vue d'améliorer les conditions de survie dans ce campement gravement sous-équipé malgré des actions importantes mises en œuvre par les autorités publiques. Il est reconnu par tous "que les conditions actuelles d’hébergement, d’alimentation, d’accès à l’eau, d’assainissement et de sécurité de la population vivant sur le site de la Lande, révèlent une situation d’urgence caractérisée." Le Tribunal saisi a mis tout particulièrement en avant les insuffisances graves en matière d’accès à l’eau et le manque de toilettes.

Dans son ordonnance du 2 novembre 2015, le Tribunal administratif de Lille a considéré que : "En raison d’un accès manifestement insuffisant à l’eau et à des toilettes et de l’absence de ramassage des déchets, la population du camp est confrontée à une prise en compte insuffisante de ses besoins élémentaires en matière d’hygiène et d’alimentation en eau potable  et se trouve exposée à un risque d’insalubrité ; qu’il est ainsi porté une atteinte grave et manifestement illégale  à son droit à ne pas subir de traitements  inhumais et dégradants." Le Tribunal estime qu’il y a "une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu’elle  entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée". Pour le Tribunal, "il appartient aux autorités publiques de veiller  à ce que les droits  les plus élémentaires  de ces personnes, constitutifs de libertés fondamentales, soient garantis."

Concrètement, le Tribunal a condamné l'État  à développer des points d'eau et des toilettes, à assurer le nettoyage des lieux et la collecte des ordures, à aménager un accès pour les véhicules d'urgence et a recenser les mineurs isolés. Le Tribunal a en particulier exigé  la création sous astreinte de 100 euros par jour de dix points d’eau supplémentaires comportant chacun cinq robinets et la mise en place de cinquante latrines. L’amélioration en matière d’hygiène sera sensible puisque qu’il n’y avait sur la Lande  que quatre points d’eau, dont trois comportant cinq robinets et 66 latrines.

Le ministre de l’Intérieur et la Ville de Calais ont fait appel de ce jugement. En novembre 2015, le  juge des référés du Conseil d’État a rendu une ordonnance dans laquelle il a exposé qu’"il appartient en tout état de cause aux autorités titulaires du pouvoir de police générale, garantes du respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité humaine, de veiller, notamment, à ce que le droit de toute personne à ne pas être soumise à des traitements inhumains ou dégradants soit garanti." De plus, le juge estime que "Lorsque la carence des autorités publiques expose des personnes à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, le juge des référés peut prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence."

Le juge des référés du Conseil d’État a rejeté lundi 23 novembre l’appel formé par le ministre de l’Intérieur et la Ville de Calais contre la condamnation prononcée par le Tribunal administratif de Lille. La décision  de ce Tribunal est maintenue car les conditions de vie exposent les migrants vivant sur le site de la "jungle" à des traitements inhumains ou dégradants. Dans ce jugement, le Conseil d’État s’est réfèré à la Convention européenne sur les droits de l’homme qui interdit les traitements inhumains ou dégradants et qui protège aussi le domicile. Une privation d’eau d’un ménage pour cause d’impayés sera sanctionnée d’autant que les coupures d’eau pour impayés sont devenues illégales en France en 2013.

Au niveau international, il existe un précédent célèbre, l’affaire Grootboom en Afrique du Sud, dans laquelle la Cour constitutionnelle a condamné en 2000 la collectivité à installer des points d’eau et des latrines pour un groupe de personnes qui occupaient illégalement un terrain communal.

Conclusions – Lorsque l’État ne met pas en œuvre le droit à l’eau et à l’assainissement, que ce soit dans les prisons françaises, dans les écoles, dans les centres de rétention, dans les camps de Roms ou dans la "jungle" de Calais, il s’expose à une condamnation par les tribunaux si la privation d’eau ou d’assainissement est suffisamment grave. En effet, le droit à l’eau et à l’assainissement est un droit pour tous, même pour les migrants en situation irrégulière. Il n’est pas permis en France d’offrir des conditions de vie indignes, ni de porter atteinte à la dignité. L’État a des obligations positives en matière d’accès à l’eau et de protection de la santé auxquelles il ne peut se soustraire. .

 

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ResSources
Les textes des ordonnances du Tribunal administratif de Lille, numéro 1508747 et du Conseil d’État sont disponibles sur le site du Secours catholique.  Voir l’ordonnance du 23 novembre 2015, ministre de l'Intérieur, commune de Calais, numéros 394540, 394568.

Secours catholique
Académie de l'eau