Martine LE BEC-CABONH2o – octobre 1999
Le six milliardième être humain a vu le jour mardi 12 octobre, selon les Nations unies. La population mondiale atteindra neuf milliards en 2050 avant de se stabiliser. L'Asie comptera plus de la moitié des habitants de la planète. Entre-temps, l'Afrique aura aussi vu sa population doubler.
"D'ici à 2080, dans moins de cent ans, la Terre comptera 16 milliards d'hommes." Jacques-Yves Cousteau n'était pas un démographe, mais un homme plutôt informé, un bon indicateur de la conscience commune. En 1990, il croyait, comme beaucoup de ses contemporains, que la planète poursuivait sans relâche son explosion démographique. Neuf ans plus tard, alors que les Nations-Unies ont célébré, le 12 octobre, le six milliardième humain sur Terre, le renversement de perception est complet : l'explosion démographique n'est plus le paradigme dominant de la démographie mondiale et l'on commence même à s'inquiéter du vieillissement de la population. Le démographe Jean-Claude Chesnais (Ramsès 2000, éditions Dunod) évoque même la "récession démographique planétaire". Dans tous les cas, "analyse démographique" rime avec "peur", mais apparaissent aujourd'hui deux certitudes.
Première certitude : la population mondiale augmente beaucoup moins vite. Alors qu'en 40 ans – de 1960 à 1999 – la population mondiale a crû de 100 %, elle ne devrait plus augmenter que de 43 % d'ici 2040. Ce qui signifie tout de même que nous serons 9 milliards aux alentours de 2050.
Seconde certitude, les dynamiques démographiques sont très différentes selon les pays et selon les continents.
Si le Nord rencontre des indices de fécondité (nombre d'enfants par femme) stables (2,1 par exemple aux Etats-Unis), il témoigne surtout d'indices "dépressifs" (1,7 en Europe septentrionale et en France), voire "franchement dépressifs" (1,3 pour l'Allemagne, l'Italie, l'Europe de l'Est et le Japon ; 1,2 pour la Russie).
Dans le même temps "côté Sud", l'Asie semble en voie de parvenir à la stabilité, ainsi que l'Amérique latine, mais la population africaine a elle toutes les chances de doubler au cours du prochain demi-siècle.
"L'Afrique est le dernier continent qui ne s'est pas encore engagé franchement dans la réduction de la taille des familles", explique Gilles Pison, chercheur au Musée de l'homme. En d'autres mots le seul continent qui ne ne soit pas encore engagé sa transition démographique, cette transition symbolisant le régime où la population, après avoir crû vivement du fait de la chute du taux de mortalité, se ralentit quand les couples adaptent leur fécondité et abaissent le taux de natalité. En Afrique, bien que l'évolution s'amorce dans les villes, elle ne pourra que difficilement surmonter la désorganisation des systèmes de santé, par lesquels se diffusent méthodes et moyens de contraception. De surcroît, le sida, qui frappe durement le continent, perturbe profondément les comportements. "En de nombreux pays, écrit le Fonds des Nations unies pour la population dans son rapport 1999, le sida a effacé les progrès accomplis depuis plusieurs décennies en matière de réduction de la mortalité infantile et d'allongement de l'espérance de vie."
Derrière ces certitudes, subsiste une question de taille : a-t-on enfin gagné la course-poursuite entre population et ressources ? Contrairement aux prévisions alarmistes des années 60, la planète a réussi à absorber les trois milliards de nouveaux humains qu'elle a gagnés depuis 1960. Ce, grâce aux progrès de l'agronomie, mais à un prix écologique croissant : déforestation, pesticides dans l'environnement, pression sur les ressources en eau, diminution de la biodiversité. Pourtant un habitant de la planète sur sept ne mange toujours pas à sa faim et plus de cinq millions d'hommes meurent chaque année à la suite d'infections liées à la mauvaise qualité de l'eau... un enfant toutes les 8 secondes. Nous n'avons plus le droit de prendre vingt ans pour réagir, pas même dix, pas même cinq. .