Bernadette d'ARMAILLÉ
REVUE STRATÉGIQUE – n°63 janvier 1999
Institut de Stratégie Comparée, Éditions Économica
H2o – février 1999
Rotterdam de l'Extrême-Orient, Hong-kong du Nord, Triangle d'or ! Ces qualificatifs brillants s'adressent à une rivière connue des seuls spécialistes des confins de la Chine et de la Russie : la rivière Tumen. Pourtant, depuis quelques années, une littérature de moins en moins confidentielle s'est emparée de l'histoire et du développement de ce cours d'eau pour en décrire un avenir qui, si les obstacles étaient franchis, pourrait être très prometteur.
3 703 kilomètres délimitent la frontière orientale entre la Chine et la Russie. La rivière Tumen, qui, par un coup de l'histoire, ne fait pas partie de cette frontière puisqu'elle n'en est que la prolongation n'a, elle-même, aucun intérêt : trop étroite pour être navigable, sauf sur 80 kilomètres, elle étire des flots limoneux sur quelque 516 kilomètres (c'est la 41ème rivière chinoise) au sein d'un bassin d'environ 41 000 km2.
En revanche, son emplacement, son parcours et surtout son estuaire ne sont pas tout à fait banals. Elle prend sa source au Mont Paektu, ancien volcan situé entre la Chine et la Corée (lieu sacré puisqu'il serait selon la légende, le berceau du peuple coréen et objet de différends frontaliers et de partage administratif avec le voisin du Nord). Sa sœur jumelle, la rivière Yalu (version chinoise du nom Amnok-kang en coréen), née au même endroit, court d'est en ouest pour former la partie ouest de la frontière sino-coréenne. La rivière Tumen (Tuman-gang en coréen), elle, coule d'ouest en est et forme tout du long la frontière entre la Chine et la Corée du Nord.
Sur la fin de son parcours, la rivière oblique brusquement vers la mer du Japon. Le territoire chinois se resserre, jusqu'à n'être plus qu'une mince bande de terrain coincée entre la Russie et la Corée du Nord. L'estuaire, sur 15 km, sert alors de frontière entre ces deux pays et c'est cet emplacement, sur un espace de quelques kilomètres carrés où trois pays à l'histoire chargée se touchent, qui attire la curiosité. C'est le seul point de contact physique entre la Russie et la Corée : un pont de fer, le pont de l'amitié selon Pyongyang, sert de lieu de passage uniquement par voie ferrée. C'est également le terminal transsibérien Moscou-Vladivostock, fenêtre russe sur l'Asie-Pacifique, zone militaire stratégique, n'étant qu'à 120 kilomètres plus à l'est, au-delà de la baie de Pos'Yets. Sur la rive russe, le lac de Khasan et les marais avoisinants constituent un écosystème fragile où une faune et une faune rares doivent être protégées. Le delta sert d'abri à nombre d'oiseaux : 100 000 canards, oies sauvages ou cygnes y ont établi leurs quartiers. C'est aussi une halte entre l'Australie et l'Arctique russe, pour une multitude d'oiseaux migrateurs. Une partie de la baie de Pos'yets et de ses environs ont été déclarés "Réserve de haute protection" pour une faune maritime diversifiée. On ne peut éviter de parler du tigre de Sibérie (il n'en reste qu'environ 200 spécimens) et du léopard de l'Amour, très confidentiel puisqu'il n'existerait plus que 30 ou 40 sujets. Ces deux espèces vivent dans des réserves ou dans la forêt aussi luxuriante que riche, elle aussi, en mammifères et oiseaux de toutes sortes. Les gouvernements sont conscients du devoir de protection qui leur incombe mais ce n'est malheureusement pas le cas des autochtones qui polluent et défrichent sans vergogne. Nombre d'associations écologistes surveillent toutes les avancées à la fois du projet Tumen, mais aussi des politiques locales. Ils espèrent faire du bassin un modèle de développement écologique intégré.
Enfin, il n'est qu'à regarder la carte pour comprendre que la proximité de la mer du Japon, ses débouchés pour toute la province de Jilin et au-delà toute la région qui tend à y descendre naturellement et le nœud de transit qu'elle représente (Japon, Corée du Sud), sont pour la Chine une tentation permanente de retrouver à nouveau cet accès à la mer. Le port japonais de Niigata, par exemple, est à une journée de traversée, alors que le transit par le port de Dalian (province de Liaoning) demande un temps de transport terrestre plus long et une journée et demie de traversée.
{mospagebreak title=2. Le contexte historique&heading=1. Le contexte géographique et écologique}
Ce sont les traités de Nerchinsk, le 27 août 1689 et de Kiakhta,, le 21 septembre 1727, qui ont défini les frontières entre la Russie et la Chine impériale, du sud du lac de Baïkal jusqu'à la mer d'Okhotsk. À cette époque, la Chine englobait la Mongolie actuelle et tout le bassin de l'Amour. Ce tracé est resté inchangé jusqu'au 16 mai 1858, date du traité d'Aigoun par lequel la Russie obtient le droit de surveiller le territoire du nord de la rivière Yalu, occupe la ville de Khabarovsk à la jonction de la rivière Oussouri et de l'Amour et obtient en même temps la rive gauche de l'Amour. Par le traité d'Aigoun, la Chine abandonne 479 150 km2 à la Russie. Ce traité, ainsi que celui de Pékin, signés en position de faiblesse politique, ont toujours été qualifiés haut et fort par la Chine de traités inégaux.
Le traité de Pékin, conclu le 2 novembre 1860, accroît encore l'espace cédé à la Russie : il s'agit cette fois de 344 470 km2. La Russie acquiert la région de l'est de l'Oussouri jusqu'au Pacifique et fait du même coup de l'estuaire de la rivière Tumen le point de jonction entre trois pays, la Chine, la Corée - alors sous protectorat chinois depuis le XVIIème siècle - et la Russie. Jusqu'à cette date, la rivière ne séparait que la Chine et la Corée. Lors de la signature du traité, les deux parties ont eu du mal à s'entendre sur l'emplacement exact de l'embouchure : les Russes voulaient reculer la frontière de "vingt li" par rapport à l'emplacement accepté par les Chinois. Finalement le compromis se fit à mi-distance entre ces deux points, c'est-à-dire à 15 kilomètres de la mer. L'empire chinois est désormais privé de sa façade maritime de l'Est. Poursuivant son avancée vers la mer de l'Est (mer du Japon), la Russie fonde officiellement en 1860 la ville de Vladivostok, le "seigneur de l'Orient" (avant l'arrivée russe, la ville était un village chinois, du nom de Haichengwei, "baie des concombres de mer"). La Russie pousse alors la dynastie Qing à lui octroyer les zones côtières du nord de la ville, c'est-à-dire toute la province de Primorié, ou future Province maritime qui s'étend de l'estuaire de la rivière Tumen en remontant le long de la mer du Japon vers l'île de Shakalin.
En 1868, l'accord de Hunchun adoucira quelque peu le traité de Pékin en reconnaissant aux Chinois le droit de passage dans l'estuaires à condition qu'ils notifient chaque trafic aux autorités russes.
À partir de 1963, les incidents frontaliers se sont multipliés. Dès 1964, le président Mao, dans un discours aux parlementaires japonais, fait allusion aux territoires perdus. Par la suite, la Chine a périodiquement et plus ou moins ouvertement remis les questions frontalières sur la table des négociations avec la Russie, notamment après des incidents violents sur la rivière Oussouri en 1969.
La rivière Tumen traverse la province de Jilin, province lointaine, coincée entre la province frontalière de Heilonjang et le Liaoning industriel. Jilin est restée quelque peu oubliée dans son développement par le gouvernement central en raison des aléas de l'histoire : rivalité sino-soviétique, guerre de Corée, militarisme japonais. Sur les deux millions de ressortissants du "Pays du matin calme" qui vivent le long de la frontière, 63 % sont regroupés principalement dans la préfecture coréenne autonome de Yanbian. Rien d'étonnant à cette installation puisqu'au cours de l'histoire la population coréenne est allée vers le nord au-delà de Harbin. Lorsque, à partir de 1905-1906, la Corée s'est retrouvée sous protectorat japonais, puis annexée à partir de 1910 pour 35 ans, la population est passée en Mandchourie devenue, sous la férule japonaise, État de Mandchouhuo de 1932 à 1945. En 1945, 11 % de la totalité des Coréens sont installés au Japon ou en Mandchourie. Les Coréens qui vivent aujourd'hui dans la province de Jilin sont parfaitement intégrés à la population chinoise mais ils entretiennent toutefois leur culture, leur langue (la signalisation urbaine est dans les deux langues)et dans certains villages leur architecture d'origine. En Russie, la présence coréenne est antérieure à l'invasion japonaise. Pendant l'occupation japonaise, certains d'entre-eux s'étaient en plus installés du côté russe de la frontière, dans la province de Primorié, où ils ont d'abord été bien intégrés, mais à la suite d'incidents de frontière, leur situation est devenu inconfortable. Les Soviétiques craignaient quelques connivences avec les Japonais. En 1937, Staline les a déportés pour la plupart au Kazakhstan. Certains sont aujourd'hui revenus mais leur recencement est difficile.
La rivière Tumen change donc de partenaires en 1832 et devient alors frontière entre d'autres acteurs qui sont le Japon (Corée, Mandchoukouo) et la Russie. Les relations entre les Japonais et les Russes, devenus Soviétiques, dabord faites de concessions successives de la part de Moscou vis à vis des exigences de plus en plus poussées des Japonais, se tendront peit à peit et donneront lieu à des escarmouches dont une en particulier conditionne encore le bornage actuel de la frontière.
En effet, en 1938, les Soviétiques avaient commencé la construction d'une base sous-marine et d'un aéroport militaire à Pos'yets. Pos'yets est à 25 kilomètres de l'estuaire de la rivière Tumen. En réaction, les Japonais décidèrent d'occuper le plateau de Changkufeng - plateau stratégique puisqu'il domine la baie - et de barrer l'estuaire. Il s'ensuivit une bataille qui dura un mois, au lit dit Fangchuan, le point chinois le plus proche de la mer du Japon. Les morts dont le souvenir reste encore attaché à ce lieu seront nombreux : officiellement 158 du côté japonais, 236 du côté soviétique et plusieurs centaines de blessés de part et d'autre.
Les traités définissant la frontière russo-chinoise n'ont pas été très précis et les litiges frontaliers se sont multipliés. Les tentatives de résolution concentrées en particulier sur la partie terrestre de la frontière, ont abouti le 16 mai 1991, à un accord préliminaire par lequel Russes et Chinois se cèdent mutuellement du terrain. Cet accord, dont les clauses principales sont restées secrètes, a été ratifié en mars 1992 par les deux gouvernements. Il est entré en application en mai de la même année. Une commission mixte de démarcation a été chargée de procéder à l'abornement de la frontière. Pour la partie qui nous intéresse, la Russie cède à la Chine une bande de terrain de 328 hectares, situés le long de l'estuaire de la rivière Tumen, dans le district de Khasan, en bordure du lac du même nom. Cette acquisition rapproche un peu la Chine de la mer, mais ne lui en fournit pas encore l'accès. La commission de bornage devrait prochainement terminer son travail.
{mospagebreak title=3. Le contexte politique et économique}
L'accord ratifié en mars 1992 par les gouvernements russe et chinois a permis un échange de terrains et du coup rapprocher un peu la Chine de la mer mais sans lui accorder un accès. Mais les décisions du pouvoir central russe sont loin de plaire aux dirigeants locaux qui crient au bradage de la terre russe et s'opposent ouvertement aux travaux de la commission de bornage qui e été mise en place. Dans la province de Primorié, le gouverneur Yevgeniy Nazdratenko et le présendent de la Douma, Igor Lebedinets, tout en soutenant Boris Eltsine dénoncent l'accord de 1991 et développent des thèses aux accents nationalistes. Et de revenir à l'histoire en faisant valoir que la rétrocession d'un terrain près du lac Khasan donnerait aux Chinois un accès à la mer et leur permettrait de développer des installations portuaires concurrentes dans le cadre du projet de développement de la rivière Tumen ; et de rappeler que ce territoire renferme les tombes des Russes morts lors des combats contre les Japonais et qu'il est impossible de céder un centimètre de terre russe.
Il est vrai que la répartition démographique de chaque côté de la frontière n'a rien de rassurant : 100 millions de Chinois répartis dans les trois provinces de Heilongjiang, Jilin, et Lianing sur une surface de 802 100 km2 (recensement de 1990), contre 8 millions d'habitants en Extrême-Orient russe sur une surface de 6 millions de km2 (recensement de 1994). La population russe craint d'être débordée et lésée. La normalisation des relations entre les deux frères ennemis a permis la construction de routes, de ponts et d'aéroports qui ont facilité les échanges. Les Chinois ont ainsi largement passé la frontière pour s'installer souvent illégalement dans la province de Primorié : 500 000 sont entrés en 1992 et il est difficile de savoir combien sont restés. En 1994, ils étaient entre é,5 et 4 millions. À la fin de la même année, les visas ont été rétablis juste après le nouvel an chinois, pour éviter le retour des fêtes en famille. Mais les voyages touritiques sont utilisés avec profit. Le projet de développement de la rivière galvanise l'activité de la Chnie et pousse ses ressortissants à aller de l'avant, vers l'est au grand dam de la population russe moins entreprenante. La plupart du temps, ces immigrés se livrent à un commerce plus ou moins clandestin, travaillent au noir et entretiennent ainsi l'hostilité à leur encontre. Dans ces conditions, le ressentiment des populations ne crée pas un climat serein pour le travail de la commission de bornage.
{mospagebreak title=4. Le projet de développement et ses acteurs}
TRADP – Tumen River Area Development Program
TREDA – Tumen River Economic Development Area
Le projet est extrêmement ambitieux. Il projette sur 20 ans, pour un financement de 30 milliards de dollars et la construction de onze ports. Il fait intervenir cinq pays (Chine, Corée du Nord, Corée du Sud, Russie, Mongolie, Japon) et une organisation internationale, le PNUD, Programme des Nations-Unies pour le Développement. Son but est d'utiliser les richesses et le savoir-faire spécifiques de chacun pour transformer l'Asir du Nord-Est en vaste zone de libre-échange attractive pour le commerce, les investisseurs du monde entier, et destinée à accroître le bien-être de la population.
Jusque-là, l'estuaire n'avait strictement aucun intérêt pour personne. Pourtant si l'on considère en dehors de la position géographique, déjà évoquée, les richesses naturelles de toute lea région (charbon, fer, pétrole, minerais de toutes sortes, produits manufacturés), l'idée jaillit, et elle a jaillit pour la première fois en 1989dans les papiers d'un chercheur de Hawaii, d'entreprendre un grand projet qui ferait de cette zone un pôle de développement et de coopération pour les pays riverains de la mer du Japon. Il s'agirait de mettre en commun, les capitaux et le savoir-faire technique de la Corée du Sud et du Japon, les ressources naturelles de la Russie, la main d'œuvre et les ressources agricole de la Chine, ainsi que les ressources naturelles et la main d'œuvre nord-coréenne.
Les Américains, qui ont des intérêts importants dans la zone, apportent leur savoir-faire et les capitaux nécessaires aux études préalables par l'intermédiaire de l'ONU. Enfin, la Mongolie, qui voit là une chance de désenclavement, s'est aussi mise sur les rangs. La synergie ainsi créée par ces alliances complémentaires devrait être capable de créer une vaste zone économique dynamique, telle une Association des Nations-Unies de l'Asie du Nord-Est (ANEAN), pendant de sa voisine l'ASEAN.
Le projet comporte trois phases de développement :
Bien que les obstacles soient nombreux, le climat politique plutôt tourné vers la détente et la volonté de développement économique sont somme toute propices. Cela n'empêche pas chacun des protagonistes d'avoir des idées particulières sur leur contribution, les bénéfices qu'ils peuvent en tirer, et les obstacles qui se présentent.
Ainsi, la Chine qui est la plus volontariste a déjà l'expérience de zones économiques spéciales comme celles de Shenzen, ou de Canton. Le développement de Tumen, qui en a le potentiel, serait donc copié sur des modèles déjà éprouvés et permettrait le rééquilibrage de cette région frontalière quelque peu oubliée. Les maires des villes de Yanji, Tumen et Hunchun (jumelée avec Cerritos en Californie) font preuve d'un bel optimisme et soutiennent le plan du PNUD. Ils évaluent les avantages comparés à se tourner vers la Russie et la Corée du Sud, mais n'oublient pas l'importance pour la province de Jilin des ports nord-coréens en permanence libre de glace. La province est au cœur du développement des infrastructures ferrovières et routières, lesquelles sont planifiées ou déjà en voir de développement.
La Corée du Nord est dans une situation économique désastreuse, forçant la population à survivre de rations largement insuffisantes. Le pays a un besoin urgent d'aide extérieure massive. Il est par conséquent tenté par un projet de développement à ses portes et par une coopération qui pourrait, à terme, constituer une source de bénéfices non négligeable. Selon le ministre du commerce extérieur, Pyongyang réoriente aujourd'hui sa politique et veut développer des liens étroits avec l'économie capitaliste. Mais le régime craint par dessus tout la contamination politique qui suivrait forcément la libéralisation des échanges, l'ouverture de la frontière et le bien-être relatif qui, petit à petit , transforme les esprits. Actuellement la Corée du Nord développe, elle aussi, ses propres zones économiques spéciales à quelques kilomètres de l'embouchure : la zone de Najin-Sonbong pour laquelle des entreprises internationales ont donné 100 millions de dollars.
La Corée du Sud suppose qu'un tel projet de développement, incluant tous les pays de la région, serait propice au rapprochement avec le Nord. En avril 1996, elle a débloqué un million de dollars de crédit. Son dynamisme économique la pousse à engager des capitaux dans des projets à long terme. Le marché chinois sur lequel elle est déjà bien implantée est pour elle une occasion prometteuse de développement.
La Mongolie, dernière arrivée dans le "Club", apprécierait d'avoir un débouché sur la mer pour pouvoir exporter ses ressources minières (cuivre, or, argent, uranium, charbon, etc.).
Comme la Corée du Sud, le Japon cherche de nouveaux débouchés et une main d'œuvre bon marché. Le transit vers l'Europe, à partir de la côte ouest, serait grandement raccourci (1 700 kilomètres en moins). Tokyo sait que ses capitaux sont indispensables. Cette position de bailleur de fonds pourrait à terme lui conférer une position de force sur cette partie du continent.
La Russie, quoiqu'intéressée par les bénéfices possibles et les sommes considérables qui ont été engagées, est réticente parce qu'elle craint que les retombées dont elle bénéficierait soient moins importantes que celles de la Chine. Elle craint également la concurrence évidente qui se produirait contre ses propres zones économiques spéciales – au sein desquelles on trouve le projet de grand Vladivostok et Nakhodka – et contre ses lignes ferrovières du Baïkal-Amour et du Transsibérien. La position russe dans l'Est est faible face à un monde asiatique expansif. Moscou a bien compris que la coopération économique est le moyen le plus sûr de développement stable. Lorsque l'on parle des réticences russes, il faut bien comprendre qu'il s'agit de réticences de la province maritime qui se trouve là, prise entre la politique chinoise de Moscou – politique d'ouverture qui a été annoncée par le président Gorbatchev dans son discours de Vladivostck en juillet 1986, puis dans celui de Krasnoyarsk en 1988 – et la crainte d'un voisin puissant auquel l'histoire l'a souvent confrontée. En même temps, les difficultés économiques de la Russie créent des distorsions graves dans la distribution des crédits. Les restrictions décidées pour empêcher l'immigration clandestine ont, du même coup, réduit largement les bénéfices commerciaux. En fait, la province serait presque tentée de négocier elle-même sa propre destinée, que ce soit avec le gouvernement central ou avec ses voisins immédiats.
Le 30 mai 1995, les acteurs se sont mis d'accord pour créer des commissions chargées de coordonner les initiatives en matière de commerce, investissements, infrastructures, banques, finances, protection de l'environnement et développement social ; ces commissions ne sont pas encore des instances de décision. Mais le 31 octobre de la même année, le bureau du PNUD pour le TREDA avait dépensé 3,5 millions de dollars prévus pour l'étude de faisabilité et fermé son bureau de New York pour ne garder que celui de Pékin.
{mospagebreak title=5. Conclusion}
Selon les estimations du PNUD à la fin des année 1995, l'aide de l'ONU aurait stimulé les investissements à hauteur d'environ 282 millions de dollars dans la zone TREDA, dont 191 millions de dollars pour la préfecture de Yanbian, 70 pour la province de Primorié et 20 pour la région de Rajin-Sonbong en Corée du Nord. Une banque d'Asie du Nord-Est a été créée. Si l'on considère cela comme une première étape, on ne peut pas dire non plus que les progrès soient importants. Le suivi de la presse spécialisée montre que le projet hésite entre l'échec et les avancées à petits pas. Les comptes rendus chinois et sud-coréens sont optimistes, les relations nord-coréennes balancent entre hésitation et volontarisme, les Japonais sont tentés mais ne veulent pas financer seuls, les Américains sont bienveillants, les Russes tergiversent mais le président Eltsine, en avril 1996 à Pékin, annonçait un partenariat stratégique pour le XXXIème siècle avec la Chine. Le projet a été lancé ; franchira-t-il les obstacles bureaucratiques ? Il mérite d'être poursuivi car il constitue la première tentative de mise en place d'une zone internationale de libre-échange. Les crédits viendront de l'extérieur et ils ne s'adressent qu'à des projets réalistes, inscrits dans des zones stables. Naturellement tout cela ne se réalisera que sur le long termeet, si le TRADP ne débouche pas sous la forme initialement échafaudée, il aura créé un début de synergie qui aura des conséquences favorable au développement commercial. Les zones économiques spéciales qui fleurissent partout auront des résultats à peu près semblables, à cela près que la concurrence sera moins encadrée et les gaspillages financiers moins contrôlés. Cette concurrence ne sera pas propice aux moins dynamiques et la proximité des centres de décision jouera en faveur des acteurs qui sont les moins éloignés. Dans cette zone où États-Unis, Russie, Chine, Corées et Japon sont au contact, la coopération économique semble raisonnable et représente un bon exutoire aux tensions politiques. La fuite d'un haut dignitaire nord-coréen, la mort de Deng Xiao Ping, les soubresauts de la politique sociale sud-coréenne, les revendications territoriales, l'hypothétique réunification des deux Corées sont autant d'évènements qui focalisent l'attention. Leur mode de règlement seront indicateurs de la volonté des uns et des autres d'aller vers plus de stabilité ou vers des tensions accrues.
La carte de la mer du Japon et de ses riverains évoque une mini Méditerranée. Si son développement se concrétisait, le concept de pont terrestre Eurasiatique lancé par le chercheur japonais Takashi Sugimoto pourrait alors voir le jour. .
{mospagebreak title=6. ResSources}
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