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Tout est déjà joué avant les années 1960

 

Les années 1960 sont toujours présentées comme déterminantes pour cette évolution car c'est alors qu'un puissant lobby scientifique, industriel et financier a pu imposer ses normes sur cet espace encore largement gratuit. Cette période est donc riche en transformations et ruptures :

rupture juridique : les pays capitalistes développés adoptent des législations visant à assurer la gestion intégrée du cycle des eaux terrestres, qui entraîneront une refonte des systèmes organisationnels ;
rupture lexicale marquant le nouveau mode de pensée : dans le discours technique et administratif le terme de "gestion" se substitue à celui "d'aménagement" des eaux ;
domination de la technostructure dans les mécanismes décisionnels au dépends de l'usager qui se trouve dépossédé de tout pouvoir réel ;
extension du monopole discret de grands groupes capitalistes sur des pans entiers du cycle de l'eau (cette évolution s'accentuant avec le triomphe de la pensée néo-libérale des années 1980).

En France, ces nouvelles orientations apparaissent dans les travaux de la Commission Eau du 4ème plan. Cette équipe, composée d'une soixantaine d'ingénieurs et d'administrateurs civils formule des propositions qui marquent une rupture fondamentale dans l'histoire de l'hydraulique française. Reprenant l'approche Pigouvienne, sous couvert de lutte antipollution, ils donnent une valeur monétaire à tous les usages des eaux courantes, et instaurent un nouvel échelon de décision indépendant des échelons traditionnels : les agences financières de bassin.

Pourtant, une mise en perspective historique montre que les transformations des années 1960 ne sont que l'aboutissement d'un long processus d'intégration au marché. En effet, à cette date, les eaux courantes sont déjà structurées en filières d'usages (hydraulique agricole, assainissement et eau potable, eau à usage industriel, hydroélectricité), dont certaines sont dominées par des groupes industriels (distribution-assainissement, travaux publics, fabricants de tuyaux) ; toutes fonctionnent déjà selon des dispositifs législatifs, institutionnels ou idéologiques qui leur permettront d'intégrer facilement le marché.

Il nous semble donc indispensable de remonter dans le temps pour trouver les racines de cette marchandisation.